Alors que les régimes militaires au pouvoir au Mali, en Guinée et au Burkina Faso sont de plus en plus populaires, l’image de la Cedeao, elle, ne cesse de s’écorner.
En seulement sept mois, trois coups d’Etat ont amputé la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) de 20% de ses membres. Outre ce bilan purement comptable, la Cedeao a surtout perdu toute légitimité populaire. Et pas simplement dans les trois pays où les dirigeants ont été renversés par des militaires. En effet, la Cedeao est désormais raillée dans toute la région ouest-africaine, voire dans toute l’Afrique.
Il faut dire que les sanctions économiques et diplomatiques sévères, infligées par la Cedeao au Mali, à la Guinée et au Burkina Faso, ne plaisent pas plus que cela.
Selon Fahiraman Kone, chercheur à l’Institut d’études de sécurité à Bamako, ces sanctions sont vues « comme des attaques contre le peuple ». La Cedeao ne semble pas avoir pris la mesure des événements. « Si la région n’est pas étrangère aux coups d’Etat, la récente vague de putschs a une chose en commun : le soutien populaire », affirme le politologue qui met d’ailleurs en exergue le soutien occidental — de l’Union européenne, des Etats-Unis et de la France — aux sanctions de la Cedeao. Un soutien contreproductif, qui entache la réputation de la Cedeao.
L’embargo au Mali, la mauvaise bonne idée
La Cedeao a répondu à chaque coup d’Etat par une suspension de ses organes. Tout d’abord du Mali, puis de la Guinée et du Burkina Faso. A Bamako, après l’échec des pourparlers avec les militaires au pouvoir, la Cedeao a également imposé un embargo. Un acte dissuasif pour les autres pays concernés ? Pas vraiment, car si l’objectif était d’isoler les militaires qui ont renversé les présidents qu’ils jugeaient illégitimes, la stratégie de la Cedeao ne semble pas fonctionner.
Au Mali, une majorité de la population s’est ralliée au président Assimi Goïta, qui a, à son tour, exhorté les maliens à « défendre leur patrie et se mobiliser » contre les sanctions de la Cedeao. Et si, avant l’embargo, seule l’élite politique et l’armée défendaient ouvertement Goïta, son Premier ministre Choguel Maïga et leur gouvernement, ces derniers ont vu la puissante Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) passer également de leur côté.
Un communiqué de l’UNTM indique que la Cedeao aurait « une fois de plus trahi l’Afrique ». Tout un symbole, car aucune personnalité de la vie publique malienne n’a, depuis le coup d’Etat, et à ce jour, exprimé son soutien aux sanctions de la Cedeao. « Les sanctions économiques en particulier sont impopulaires. Elles ne font qu’exacerber le nationalisme et fournir une ferveur populaire à la rhétorique des militaires », résume Fahiraman Kone.
Lire : Mali : ce qu’impliquent vraiment les sanctions de la Cedeao
Au niveau international, la Cedeao a essuyé un autre échec en cherchant à « infliger une punition exemplaire » au Mali. Car plusieurs pays ont décidé d’aller à l’encontre de ces sanctions. En effet, le dirigeant militaire de Guinée, Mamady Doumbouya, a déclaré qu’il ne se conformerait pas à la décision de la Cedeao. L’Algérie et la Mauritanie aideront également certainement la transition malienne.
La Cedeao et les intérêts personnels des présidents ouest-africains
Selon Gilles Yabi, fondateur du groupe de réflexion citoyen de l’Afrique de l’Ouest (WATHI), ce seraient les élites dirigeantes qui seraient responsables du déclin démocratique en Afrique de l’Ouest. « La solidarité entre les chefs d’Etat de la Cedeao, qui ne prennent que des décisions dans leur intérêt personnel est palpable dans les décisions de la Cedeao », dénonce Yabi.
Daniel Eizenga, chercheur au Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA), estime que la Cedeao doit « tacler le problème du recul démocratique » si elle « veut répondre aux aspirations de ses populations, de plus en plus jeunes ». « Ne pas le faire s’accompagne de coûts élevés, comme en témoigne la récente série de coups d’Etat et les critiques de la Cedeao par les populations », affirme Eizenga.
Lire : Guinée-Mali : la Cedeao est-elle tombée en disgrâce ?
Pour le professeur en relations internationales Sean Jacobs, le tout récent coup d’Etat au Burkina Faso traduit, non seulement « la faillite de la démocratie libérale en Afrique », mais « promeut l’autoritarisme militaire, qui représente pour les populations une option meilleure et plus stable ». Jacobs donne l’exemple de la gouvernance de Paul Kagame au Rwanda : « Une commission parlementaire a parcouru le Rwanda, et seuls dix Rwandais ont déclaré s’opposer à son règne ». L’académicien s’interroge : « les hommes forts ou la démocratie libérale sont-ils nos seuls choix ? ».