La Cedeao s’est empressée de condamner le coup d’Etat militaire en Guinée et d’exiger la libération d’Alpha Condé, demandant un « retour à l’ordre constitutionnel ». La Cedeao a-t-elle encore du poids ? Et surtout une utilité ?
La Cedeao « note avec grande préoccupation », « condamne avec la plus grande fermeté » ou encore « exige sans conditions »… Des termes génériques, adressés aux putschistes guinéens, signés par la présidence de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). L’organisation intergouvernementale ouest-africaine, qui regroupe quinze Etats, est devenue, depuis longtemps, inefficace dans plusieurs domaines. Et plus particulièrement depuis qu’elle tente de jouer un rôle diplomatique dans la région.
Pourtant, ce n’est pas par manque de moyens ou d’influence. Une source proche de l’instance ironise : « La Cedeao est devenue le syndicat des présidents ouest-africains » à chaque crise politique. On se souvient lors du coup d’Etat au Mali que la Cedeao avait demandé le rétablissement d’brahim Boubacar Keïta. Un échec. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest est-elle encore un médiateur crédible dans la sous-région ? Et que valent réellement les positions des chefs d’Etat de la Cedeao ?
Avec le coup d’Etat militaire en Guinée, qui a eu lieu ce dimanche 5 septembre, ces questions sont revenues dans l’actualité. La chute du président guinéen Alpha Condé, désormais aux mains d’une unité militaire de 500 hommes — le Groupe des forces spéciales (GPS) — commandée par Mamady Doumbouya, a montré la fragilité de régimes pourtant a priori indéboulonnables. Un coup dur pour l’institution : Alpha Condé était un acteur influent de la Cedeao. Une condamnation du putsch était-elle inévitable ?
Divisions internes au sein de la Cedeao
Lors du coup d’Etat malien par Assimi Goïta et ses hommes, la Cedeao a semblé parler d’une seule voix. Pourtant, les chefs d’Etat de l’institution étaient divisés. Et si les présidents ouest-africains ont longtemps joué la carte de la paix pour mettre en garde les putschistes, ce sont surtout leurs intérêts qu’ils cherchent à défendre.
L’opinion publique n’est pas dupe : la réaction des instances africaines semble peu crédible. « Pourquoi la Cedeao n’a-t-elle pas réagi lorsqu’Alpha Condé a brigué un troisième mandat inconstitutionnel ? », demande la militante panafricaine Natalie Yamb. Une question qui est loin d’être anodine. La Cedeao, qui suspend et condamne les putschistes, comme au Mali récemment, accueille des chefs d’Etat peu enclins à mettre en place des démocraties. En effet, comment Alassane Ouattara, Faure Gnassingbé ou Patrice Talon peuvent-ils défendre un « retour à l’ordre institutionnel » en Guinée, alors qu’ils ont, dans leurs propres pays, installé des régimes anticonstitutionnels ?
Sauf que piétiner la Constitution, emprisonner de façon arbitraire l’opposition politique ou bâtir sa gouvernance sur le népotisme, la violence et l’oppression des populations, c’est justement ce qui a précipité la chute d’Alpha Condé. Et ce même si le président guinéen bénéficiait d’une certaine légitimité, vu son passé militant.
Les atouts inutiles de la Cedeao
A sa décharge, la Cedeao dispose de trois atouts. Tout d’abord, l’influence de la BCEAO et de la BOAD, qui n’englobent donc pas la Guinée, munie de sa propre monnaie. Deuxièmement, les Casques Blancs de l’Ecomog. Mais là encore, cet atout peut se transformer en faiblesse. On se souvient que l’Ecomog, par le passé, est intervenue pour protéger le régime de Samuel Doe au Libéria. Un échec : les images de la torture et de l’assassinat de Samuel Doe en 1990 ont fait le tour du monde. Troisièmement, une palette de médiateurs, pour certains d’anciens présidents comme Goodluck Jonathan, médiateur actuel de la Cedeao au Mali ou Mahamadou Issoufou. Ce dernier serait d’ailleurs l’éventuel représentant logique de la Cedeao dans la crise guinéenne. Il avait souvent attaqué Alpha Condé sur la question du troisième mandat, et jouit d’un certain prestige aux yeux de certains chefs d’Etats de la Cedeao.
Si la Cedeao se cachera derrière sa diplomatie pour se positionner en faveur d’un Etat civil en Guinée, le pari est risqué. Le chef des putschistes en Guinée, Mamady Doumbouya, assume pleinement le contraste entre ses actions et les usages politiques. Il tient Alpha Condé en otage et ne risque pas de le libérer sur simple demande de la Cedeao, il est impossible, aussi de voir Alpha Condé retrouver sa place en Guinée. Les anciens ministres et généraux d’Alpha Condé ont tous répondu présent à l’invitation de Doumbouya lors d’une réunion qui s’est tenue ce lundi 6 septembre à Conakry. Il soutiennent donc, bien malgré eux, le coup d’Etat.
La réelle question est aujourd’hui de savoir si la Cedeao trouvera un compromis sur le cas Doumbouya, comme ce fut le cas avec Assimi Goïta. Mais, qu’importent les options, l’instance montrera forcément sa vulnérabilité et son influence réduite. Le seul moyen pour le groupement de chefs d’Etat de gagner en crédibilité devrait passer par le boycott des régimes gangrenés comme l’était celui de Condé en Guinée. Mais tant que des autocrates feront partie de la Cedeao, cela ne risque pas d’arriver.
La Cedeao, bien muette en Guinée
Il semble d’ailleurs « impossible que le mode opératoire de la Cedeao change du jour au lendemain », assure une source sur place. En Guinée, explique le Dr. Gilles Olakounlé Yabi, auteur d’un rapport de la Friedrich-Ebet-Stiftung (FES), « la Guinée est un membre important de la Cedeao ». Les crises politiques au Libéria et en Sierra Leone avaient fait de la Guinée — alors sous Lansana Conté — un acteur clé de la sécurité régionale.
Ensuite, sous Alpha Condé, la volonté de l’Etat guinéen d’adhérer à la nouvelle monnaie unique, l’Eco, représentait une opportunité pour la France. Même si cette dernière condamne le coup d’Etat, c’est en partie parce qu’elle perd un allié dans le but de développer sa nouvelle monnaie. Le contexte politique, lui, contrairement au Mali, arrange Paris : Mamady Doumbouya est un produit de la légion étrangère française. A-t-il pu agir indépendamment de la France ?
Lorsque la Guinée vacillait sous la répression d’un Lansana Conté sanguinaire, malade et en fin de règne en 2007, « la Cedeao avait déployé les présidents Olusegun Obasanjo du Nigéria et Abdoulaye Wade du Sénégal afin d’aider à la résolution de la crise », explique le Dr. Yabi. Résultat : au moins 200 morts et des milliers de blessés civils. Du côté de la Cedeao, on « déplore la perte élevée en vies humaines » et on « en appelle aux autorités guinéennes pour qu’elles garantissent la paix et la sécurité de leurs concitoyens en particulier lorsque ceux-ci exercent leurs droits constitutionnels, à savoir la liberté d’association et d’expression ».
Ces engagements, évidents, de la Cedeao en Guinée ont cependant disparu du jour au lendemain à la mort de Lansana Conté, suivie par la prise de pouvoir de Moussa Dadis Camara par les armes. Puis, en 2010, lorsqu’Alpha Condé gagna sa première élection, dont les résultats restent encore contestés, les observateurs de la Cedeao ont été favorables à sa victoire.
Au début du mandat d’Alpha Condé, la Cedeao n’a rien eu à redire après les premiers actes de répression du président guinéen, qui a même représenté la Cedeao lors des conflits politiques en Côté d’Ivoire, en Gambie, au Togo et en Guinée-Bissau. Certes, Alpha Condé a eu un premier mandat irréprochable, malgré un scrutin controversé. Toutefois, en 2019, lorsqu’il a proposé son référendum pour modifier la constitution guinéenne, la Cedeao aurait pu et dû s’opposer à l’idée. En 2020, Alpha Condé réélu pour un troisième mandat, douze chefs d’Etat ont participé à l’investiture.
Les intérêts individuels avant tout
Ce n’est qu’aujourd’hui, une fois Alpha Condé renversé, que la Cedeao opine. Mais à l’exception d’une perte de sa crédibilité, que peut faire la Cedeao ?
Avec le prix de la bauxite, dont la Guinée est le deuxième exportateur au monde, qui ne cesse de grimper depuis le coup d’Etat, le Ghana (15e au monde) pourrait même profiter du chaos. Cela explique la déclaration surréaliste de la Cedeao, dont le président Nana Akufo-Addo est aussi le chef. Cependant, à la tête des autres Etats de la Cedeao, la chute d’Alpha Condé est une aubaine. Macky Sall au Sénégal, Adama Barrow en Gambie, Umaro Sissoco Embaló en Guinée-Bissau et Muhammadu Buhari au Nigéria se sont toujours opposés à la xénophobie d’Alpha Condé, qui attisait la haine contre les Peuls en Guinée dans la sous-région. Tout comme Issoufou s’était ouvertement opposé au troisième mandat d’Alpha Condé. Du côté du Libéria voisin, la priorité est surtout à la sécurité des frontières.
Néanmoins, dans le cas du Togo et de la Côte d’Ivoire, tout coup d’Etat militaire en Afrique est un problème. Ces régimes, qui s’appuient sur la force publique et l’armée pour asseoir leur domination, risquent de voir leurs officiers prendre exemple sur leurs confrères. Le président du Niger, Mohamed Bazoum, a déjà au bout de quelques mois eu ses propres soucis avec l’armée. Visé par une tentative de coup d’Etat en mars, il s’était prononcé contre les régimes militaires, notamment celui du Mali sous Assimi Goïta. Ce dernier, qui connaitrait personnellement Mamady Doumbouya, ne peut que soutenir le coup d’Etat en Guinée, rien que pour raffermir ses propres revendications.
Il n’y a donc, potentiellement, que peu de chefs d’Etat de la Cedeao qui semblent vouloir taper du pied et agir contre le nouveau pouvoir militaire guinéen. La Cedeao, obligée de demander des comptes, semble elle prise de court. Ses membres restent bien silencieux et même la réunion d’urgence a été reportée à plusieurs reprises. Elle aura finalement lieu demain, de façon virtuelle et non à Accra, comme initialement prévu.