L’accès aux droits de retransmission des grands évènements sportifs pose problème en Afrique. Des solutions existent pour y remédier, estime le professeur de droit Abdoulaye Sakho.
La cherté et le mode d’attribution des droits des évènements sportifs comme la Coupe du monde de football suscitent régulièrement des batailles médiatiques, notamment au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Voici quelques propositions pour y remédier.
Pour la diffusion de la Coupe du monde du Qatar, la FIFA qui organise l’événement, a signé via un processus d’appel à concurrence, avec la société togolaise New World TV.
Comment concilier le droit pour le propriétaire de commercialiser son événement comme il l’entend avec la nécessité pour le grand public de suivre un événement qui, de plus en plus, met en scène des équipes nationales du continent africain ? La solution repose sur l’existant. Il faut s’inspirer, des solutions existantes et les adapter au contexte économique et social de l’Afrique de l’Ouest.
Le besoin actuel de l’Etat est de faire en sorte que tout citoyen puisse suivre la Coupe du monde, où qu’il se trouve et quels que soient ses moyens financiers. Pour y arriver, je suggère de consacrer dans notre espace juridique la légitimité d’un dispositif de protection des événements sportifs d’importance majeure.
Protection de l’accès aux évènements
La protection de l’accès du public aux événements d’importance majeure dans le monde. Actuellement, malgré la progressive pénétration de la télévision payante en Afrique, le mode de réception majoritaire pour ce médium demeure, sur une grande partie de la surface du globe,la voie hertzienne terrestre gratuite. Une telle situation justifie la légitimité du dispositif de protection des événements d’importance majeure.
En France, en application de la Directive européenne dite « Télévisions sans frontières », le gouvernement a adopté une réglementation qui prévoit que « les événements d’importance majeure ne peuvent être retransmis en exclusivité d’une manière qui aboutit à priver une partie importante du public de la possibilité de les suivre […] sur un service de télévision à accès libre».
D’autres pays européens, à titre d’exemple, la Belgique et le Royaume-Uni, ont mis en place une réglementation visant à limiter les droits des fédérations internationales en matière d’exploitation de la Coupe du monde et de l’Euro de football. Ces pays se basent sur l’argument fondamental selon lequel ces évènements sont “jugés d’importance majeure pour la société” et, qu’une partie du public ne doit pas être privée de la possibilité de les suivre, que ce soit en direct ou en différé à la télévision terrestre.
Quelle stratégie pour les droits de retransmission chez nous ?
La mise en place d’un stratégie pour le respect du droit du public de suivre des grands évènements repose sur un processus.
Première étape
En s’inspirant des processus déjà mis en place dans certains pays, il faudra, pour commencer, disposer d’une liste d’« événements d’importance majeure en Afrique. Par exemple, la Coupe d’Afrique des nations et certains matchs de la Coupe du monde peuvent facilement entrer dans cette catégorie. L’Union africaine de radiodiffusion (UAR, ex-URTNA) avait entamé le processus et avait même défini « quatre critères principaux, à prendre en considération pour déterminer les événements remplissant les conditions pour être jugés d’importance majeure”:
- D’abord, est-ce que l’évènement fédère un public plus large que celui qui est traditionnellement concerné, c’est-à-dire qu’il trouve un écho particulier et n’a pas simplement de l’importance pour ceux qui suivent habituellement le sport ou l’activité en question ?
- Puis, est-ce que l’évènement participe de l’identité culturelle nationale, globalement reconnue par la population de l’Etat concerné ?
- Ensuite, est-ce que l’évènement implique l’équipe nationale dans le cadre d’une manifestation d’envergure ?
- Enfin, est-ce que l’événement fait traditionnellement l’objet d’une large audience télévisée ?
Deuxième étape
Il faudra s’organiser pour avoir un important pouvoir de négociation face à l’offre de droits de retransmission en créant les conditions d’une acquisition conjointe des droits de retransmission. Celle-ci présente des avantages considérables en offrant à chaque membre de meilleures
conditions d’acquisition en vue de couvrir une grande manifestation internationale dont il n’aurait pu acquérir tout seul les droits.
L’UAR, association regroupant des chaînes de télévisions publiques et instrument d’intégration africaine, doit permettre à ses membres d’acquérir en commun des droits d’exclusivité pour la retransmission en Afrique de manifestations sportives. La stratégie de maîtrise pour l’accès des populations africaines aux grands événements sportifs doit reposer sur l’UAR qui me parait tout indiquée pour piloter et mettre en œuvre le projet.
Pour conclure, j’aimerais attirer l’attention sur la complexité résultant de la pluralité des droits applicables aux droits de retransmission. On est au moins sur deux champs de jeu, deux terrains :
- le terrain international dans lequel le match oppose le vendeur des droits et l’acheteur : on est là dans le champ du droit contractuel avec application des règles relatives à la vente dès lors que le contrat s’exécute sur le territoire ;
- le terrain local dans lequel le match oppose les acteurs économiques en compétition pour les droits mis en vente : on est ici dans le champ du droit de la concurrence. Il faudra examiner les clauses d’exclusivité et leurs effets sur la concurrence, d’où la méfiance du droit positif.
Abdoulaye Sakho, Professeur de droit, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.