Madagascar semble se diriger vers une nouvelle crise politique, beaucoup plus complexe et probablement plus violente que les précédentes.
Plusieurs hauts responsables de l’armée et de la police malgaches ont été arrêtés après une tentative d’assassinat présumée contre le président Andry Rajoelina. Moina Spooner, de The Conversation Africa, a demandé à l’expert politique Solofo Randrianja de donner un aperçu du mandat de Rajoelina et de ce qui pourrait avoir contribué à ces développements.
Madagascar a un passé connu de troubles politiques. Quelles en sont les principales causes?
L’histoire politique tumultueuse de Madagascar est caractérisée par plusieurs coups d’État. Depuis son accession à l’indépendance vis-à-vis de la France en 1960, il y a eu quatre crises politiques majeures en 1972, en 1991, en 2002 et en 2009. Chacune d’entre elles a entraîné un changement de régime et de constitution. Elles ont également provoqué de graves crises économiques.
La crise politique commence généralement de la même manière : grèves et manifestations de rue dans les zones urbaines. Mais ces mouvements ne sont généralement pas organisés par l’opposition, ils sont surtout surtout causés par l’effondrement du gouvernement et de ses partisans.
Cela est dû à une longue emprise sur le pouvoir – comme nous l’avons vu avec Didier Ratsiraka, le président de Madagascar le plus longtemps en fonction – qui est caractérisée par la corruption, le népotisme et l’érosion de la démocratie. Depuis 1972, un autre facteur aggravant est la participation d’éléments de l’armée à la politique.
Compte tenu de ces facteurs, Madagascar semble se diriger vers une nouvelle crise politique, beaucoup plus complexe et probablement plus violente que les précédentes. Cela s’explique par le fait que Rajoelina a montré sa détermination à rester au pouvoir et a utilisé des méthodes extraconstitutionnelles dans le passé.
Les rumeurs de tentative d’assassinat montrent que tout ne va pas pour le mieux. Il convient de noter que ce n’est pas la première fois que Rajoelina affirme que son leadership ou sa vie est l’objet de menaces. Au cours de son mandat, qui a débuté en 2009, Rajoelina a affirmé avoir été menacé par au moins quatre attaques.
Nous ne savons pas si cette dernière « menance » est un prétexte tout trouvé par le président pour conforter davantage son pouvoir et museler l’opposition, ou si elle révèle un profond mécontentement vis-à-vis de la direction politique du pays.
Quoi qu’il en soit, c’est la manifestation de profonds bouleversements politiques.
Comment Madagascar s’en sort-elle sous la direction de Rajoelina ?
M. Rajoelina a travaillé dans l’industrie du divertissement, des médias et de la publicité. Il a décidé de se lancer dans la politique en 2007 après un affrontement avec les autorités au sujet des panneaux publicitaires dans la capitale malgache, Antananarivo. Soutenu par quelques personnalités clés de l’élite fortunée de Madagascar, Rajoelina est devenu non seulement le maire d’Antananarivo, mais aussi la figure de proue de l’opposition au gouvernement de Marc Ravalomanana.
En 2009, des manifestations de rue ont été organisées contre le gouvernement de Ravalomanana, accusé par Rajoelina de détournements de fonds publics et de dictature. Ces manifestations n’ayant pas permis d’apporter des changements, un régiment militaire a organisé un coup d’État, et Rajoelina s’est autoproclamé Président. Il a promis de rédiger une nouvelle constitution et d’organiser des élections dans un délai de deux ans. Le transfert inconstitutionnel du pouvoir de l’armée à Rajoelina a été largement condamné tant au niveau local qu’international.
Sur fond d’allégations de fraude électorale et de faible taux de participation, Rajoelina est de nouveau devenu le dirigeant de Madagascar en 2018, après une campagne qui a été soutenue par une puissante machine médiatique et propagandiste. Les principaux quotidiens malgaches, tout comme plusieurs stations de radio, ont soutenu Rajoelina.
Sous la direction de Rajoelina, Madagascar a souffert. Sa campagne était en grande partie basée sur d’impossibles promesses populistes, qu’il n’a d’ailleurs pas pu tenir parce que trop irréalistes. L’une d’entre elles est l’ambitieuse « Initiative pour l’émergence de Madagascar » qui a depuis disparu de son programme politique. Un autre projet est la construction de téléphériques à Antananarivo.
Rajoelina a fait quelques choix discutables sur le plan économique. Il a, par exemple, ouvert le pays à l’exploitation, au profit de ses amis. La coupe débridée et la vente illégale de bois de rose en sont un autre exemple. Rajoelina a dirigé le pays pour la première fois entre 2009 et 2013 – la période la plus intense dans l’histoire du pays en ce qui concerne l’exploitation du bois de rose.
Madagascar est un paradis pour les naturalistes. Plus de 80 % de la flore et de la faune de l’île ne se retrouvent nulle part ailleurs sur terre. Le bois de rose, qui constitue le principal habitat des lémuriens uniques de Madagascar, est extrêmement précieux et fait l’objet d’un trafic important. Bien que son commerce soit interdit à Madagascar depuis des décennies, sous Rajoelina, le gouvernement a accordé des dérogations de courte durée. Des militants qui tentaient de mettre fin au commerce illégal ont même été arrêtés.
Rajoelina a également entrepris plusieurs projets de prestige, dont la construction de stades sportifs colossaux, qui ne reflètent pas les besoins du pays – considéré comme l’un des plus pauvres.
En 2019, environ 75% de la population vivait sous le seuil international de pauvreté, soit avec moins de US$1,90 par jour. Madagascar a également le quatrième taux le plus élevé au monde de malnutrition chronique: près d’un enfant sur deux, âgé de moins de cinq ans, souffrant d’un retard de croissance.
Certains signes indiquent, par ailleurs, que l’espace démocratique se réduit et que le gouvernement est devenu dysfonctionnel.
Rajoelina a récemment limogé tous ses ministres.
En outre, Rajoelina a très mal géré la pandémie de COVID-19. Il a vanté les mérites d’un remède à base de plantes – COVID-19 organics – dont l’efficacité n’est pas scientifiquement prouvée, présenté comme un traitement contre le coronavirus ; il est allé jusqu’à commencer à le produire sous forme de gélules.
C’est dans ce contexte que la nouvelle d’une tentative de coup d’État ou d’assassinat, selon certains rapports, s’est répandue.
Que faire pour que la situation ne s’aggrave pas?
C’est difficile à dire, car cela semble inéluctable. Le pays est en proie à une crise économique grave. La solution idéale consisterait à réformer les institutions, par exemple en donnant plus de pouvoir aux autorités locales et aux communautés de base, en les associant à la prise de décision – la question qui se pose est de savoir qui s’en chargerait?
L’opposition ne semble pas être une alternative à elle seule. La plupart des partis politiques ne disposent pas des ressources financières pour se lancer dans la compétition. Les personnalités de l’opposition ont également subi des actes de harcèlement.
Le schéma presque habituel – mettre en place une coalition hétéroclite pour se débarrasser de ceux qui sont actuellement au pouvoir – semble être la seule façon de changer les choses. Malheureusement, une fois au pouvoir, un semblant de stabilité règnerait jusqu’à la prochaine crise, lorsque la coalition au pouvoir commencera à se disloquer.
Solofo Randrianja, Professeur, University of Toamasina
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.