Après la guerre civile, le Rwanda a réformé le secteur de l’éducation pour rattraper le temps perdu, écrit Miho Taka, de l’Université de Coventry en Angleterre.
Les situations humanitaires, en particulier les conflits violents prolongés,constituent de sérieux obstacles à l’accès à l’éducation. C’est pourquoi, depuis 30 ans, les professionnels de l’aide plaident pour « l’éducation dans les situations d’urgence ». L’idée est d’essayer de garantir « le droit à l’éducation dans les situations d’urgence et de reconstruction après un conflit».
Mais assurer l’éducation dans les situations d’urgence associées à des conflits violents est un défi considérable à relever. À titre d’exemple, au Rwanda, l’enseignement s’est rapidement dégradé lorsque la guerre civile de 1990 a éclaté. La scolarité s’est complètement arrêtée en avril 1994, puis a repris en septembre 1994.
Entretemps, le génocide des Tutsis avait pris fin. Environ 75 % des enseignants du primaire et du secondaire avaient été tués, avaient fui ou étaient en prison. Bien qu’il n’existe pas de données précises sur les enfants non scolarisés pendant cette situation d’urgence, le taux net de scolarisation est passé de 61 % en 1992 à 75 % en 2002.
J’ai effectué des recherches sur les répercussions du conflit violent rwandais sur l’éducation, avant et après le génocide de 1994.
Ces recherches ont consisté en 23 entretiens sous forme de récits biographiques avec des Rwandais et d’anciens réfugiés congolais et ougandais qui avaient été contraints de quitter l’école. Ces entretiens m’ont permis d’établir que certains apprenants avaient, depuis lors, su saisir leur deuxième chance d’étudier. Je me suis également rendu compte que beaucoup d’entre eux avaient abandonné l’école bien avant 1994, du fait de la discrimination fondée sur l’ethnie, la région et la religion.
Les situations d’urgence peuvent durer des années et entraîner des retard en matière d’éducation. Ainsi, les gouvernements, les acteurs humanitaires et les organismes d’aide doivent planifier et se préparer à saisir les opportunités de seconde chance en matière d’éducation formelle. D’après mes recherches, cette dernière doit être accessible, flexible et inclusive.
Les récits
Il y avait huit femmes et 15 hommes parmi les personnes interrogées. Celles-ci avaient toutes 16 ans au plus, lorsqu’il leur a fallu quitter l’école et avaient 52 ans lorsqu’elles ont saisi l’occasion d’étudier de nouveau. Quinze d’entre elles ont réussi à terminer leurs études secondaires, et 13 sont allées à l’université.
Je leur ai demandé de décrire leurs parcours scolaires longs et complexes et les circonstances, ainsi que la manière dont elles ont poursuivi leur scolarité de la deuxième chance à l’âge adulte.
Ces personnes m’ont expliqué comment, bien avant 1994, les élèves issus de familles tutsis, des régions du sud et de la communauté musulmane, ne pouvaient pas accéder au secondaire en raison de la discrimination. Lorsque le conflit s’est intensifié dans les années 1990, les cohortes d’élèves n’ayant pas pu poursuivre leurs études ont augmenté, parce que les écoles étaient fermées ou à cause de la pauvreté ou de la perte de leurs parents.
Les apprenants adultes ont déclaré qu’ils avaient dû relever divers défis pour achever leur parcours scolaire de la deuxième chance.
Ils ont dû, par exemple, jongler entre leur apprentissage et d’autres responsabilités, comme le travail et s’occuper des enfants. Certains ont dû faire face à la stigmatisation liée au fait de suivre des cours de l’enseignement primaire alors qu’ils étaient « vieux », et ont fait l’objet de moqueries.
Pour les anciens réfugiés rwandais provenant d’Ouganda, la difficulté consistait à fournir l’homologation (certificat) de leurs études antérieures leur permettant de reprendre les études au niveau approprié.
La langue a, par ailleurs, constitué un obstacle pour certains. L’enseignement en anglais uniquement a été introduit à partir du CE2 en 2008 au Rwanda. Cela a affecté les Rwandais qui avaient auparavant étudié en français au Rwanda ou en République démocratique du Congo.
Valeur de l’éducation
Néanmoins, l’éducation avait énormément de valeur pour eux. Ils ne la considéraient pas uniquement comme un moyen d’acquérir des qualifications et des compétences pour trouver un emploi, ni comme un investissement. De nombreux apprenants voulaient simplement apprendre des choses qu’ils ignoraient. Pour certains, l’apprentissage représentait une distraction par rapport aux expériences et souvenirs violents.
Plus de la moitié des apprenants souhaitaient pouvoir aider leur famille et être utiles à la société. Ils pensaient être une honte et un fardeau pour les autres et ne pas pouvoir s’intégrer dans la société sans éducation. Selon eux, l’éducation était nécessaire pour ouvrir et développer leur esprit.
De plus, les apprenants avaient besoin de guérir les plaies du passé pour reprendre une vie normale. Pour bon nombre d’entre eux, retourner à l’école était le point de départ de leur vie.
Ce qui a pu aider
Mes conclusions font ressortir un certain nombre d’idées qui peuvent contribuer à étayer la façon de concevoir des interventions en matière d’éducation en situation d’urgence.
Premièrement, le rôle des gouvernements peut être primordial. Dans le cas du Rwanda, le gouvernement s’est engagé à réformer le secteur de l’éducation et il a, par exemple, mis fin aux politiques discriminatoires et a aboli les frais de scolarité.
Le gouvernement a, en outre, offert la possibilité d’étudier en lançant un « programme de rattrapage » et un programme de candidats libres.
Le programme de rattrapage était un programme d’apprentissage accéléré proposant un enseignement condensé du primaire à un grand nombre d’enfants et d’adolescents qui avaient raté l’école, dans les années 1990. Il a pris fin en 2015.
Le programme des candidats libres, qui est toujours en vigueur, permet aux intéressés de passer des examens équivalents au baccalauréat sans s’inscrire dans une école secondaire. Bon nombre d’adultes qui n’avaient pas pu achever le cycle de l’enseignement secondaire par le passé ont pu suivre des cours du soir, à titre privé, pour se préparer aux examens de niveau Bac.
Ces programmes offraient aux apprenants adultes l’accès à l’éducation formelle et la flexibilité nécessaire pour y parvenir. Ils ont joué un rôle crucial dans des parcours scolaires longs, complexes et ponctués de nombreux abandons et reprises.
Il est possible d’améliorer cette situation. Il suffirait, par exemple, de valider l’apprentissage antérieur pour ceux qui n’ont pas de certificat. Et puis un soutien linguistique faciliterait les transitions entre les systèmes éducatifs.
Mais c’est un bon début et une source d’enseignements pour d’autres responsables politiques désireux d’offrir aux gens une seconde chance d’accéder à l’éducation.
Miho Taka, Assistant Professor, Centre for Trust, Peace and Social Relations, Coventry University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.