La gestion internationale des épidémies consiste parfois à céder leur contrôle à un groupe d’experts étrangers qui possèdent une compréhension superficielle d’une région très complexe, estiment plusieurs chercheurs.
Le 1er août 2018, la 10e épidémie de la Maladie à Virus Ebola (MVE) a été déclarée en République Démocratique du Congo (RDC) dans la Province du Nord-Kivu. La réponse internationale à l’épidémie a été énorme avec un afflux de plus d’un demi-milliard de dollars américains d’aide internationale. Un vaccin hautement protecteur nouvellement approuvé a été utilisé et de nouveaux médicaments comme agents thérapeutiques ont été testés et se sont avérés effiaces dans la réduction du taux de mortalité due à la MVE.
Pourtant, le 25 juin 2020, jour de déclaration officielle de la fin de la 10e l’épidémie de la MVE causant 2,287 morts sur une période de 23 mois, il s’est avéré qu’elle a été la plus virulente épidémie à affecter le Congo et la deuxième riposte la plus grande et la plus longue au monde jusqu’à ce jour.
Le vaste dispositif de santé publique mis en place pour lutter contre Ebola a généré des problèmes, y compris des abus sexuels et des conflits. Bien qu’officiellement, le nombre exact ne soit pas connu, il y a eu probablement quelque 200 à 300 épisodes de violence directement liés à l’épidémie ou à l’égard des efforts nationaux et internationaux connus localement sous le nom de « Riposte ».
Nous avons voulu déterminer pourquoi la « Riposte » avait causé tant de frictions dans les communautés. Pour y arriver, nous avons étudié les différentes manières dont les communautés locales et la Riposte abordaient la prévention, le traitement et le suivi de cas d’Ebola.
Des analyses de l’action humanitaire requièrent une rigueur dans la recommandation des voies et moyens d’améliorer la gestion internationale des épidémies. Ainsi, dans notre série d’articles nous proposons une approche tout à fait différente. Nous alléguons que la gestion internationale des épidémies, consiste parfois à céder leur contrôle à un groupe d’experts étrangers qui possèdent, au mieux, une compréhension superficielle d’une région très complexe. Et nous suggérons que le savoir-faire local et les institutions congolaises pourraient avoir des capacités à mieux gérer une épidémie d’Ebola d’une manière efficace que les partenaires internationaux.
Repenser la gestion des épidémies
Notre recherche a été réalisée – de la conception à la publication – par un groupe des chercheurs congolais de différents horizons tant universitaire que professionnel. Nos quatre articles récemment publiés offrent des points de vue uniques à partir desquels on peut visualiser une épidémie par ailleurs fortement étudiée. Lorsqu’ils sont lus isolément, leurs conclusions peuvent sembler modestes : des analyses minutieuses des aspects importants de la 10e épidémie de la MVE. Cependant, pris dans leur ensemble, ils remettent en cause les fondements mêmes de la gestion internationale des épidémies.
Dans le premier de nos quatre articles, nous nous concentrons sur Mangina, une cité du Nord-Kivu. Cette zone de santé a été le point de départ de la propagation de l’épidémie. Des cas d’Ebola avaient été documentés localement trois mois avant que l’épidémie ne soit officiellement déclarée et qu’une réponse internationale (la Riposte) ne soit déployée. A travers un suivi minutieux de la chaîne de transmission initiale, nous démontrons que les méthodes traditionnelles pour combattre la transmission des infections étaient remarquablement efficaces pour contrôler la propagation d’Ebola. Celles-ci comprenaient l’isolement des malades et l’utilisation de sacs en plastique pour enterrer les morts.
L’article montre comment les mécanismes de prévention et de soins développés localement ont ralenti la propagation de l’épidémie, qui a explosé de 26 cas dans les trois mois précédant le déploiement de la Riposte à 250 cas dans les trois mois suivants, quand les gens ont eu peur et ont commencé à se disperser davantage. Le cas de Mangina offre des leçons précieuses sur l’importance de promouvoir des stratégies de riposte aux épidémies qui soient inclusives, fiables et acceptées.
Dans le deuxième de nos quatre articles, nous décrivons le dispositif de dépistage et de traitement de la MVE développé par la Riposte. Nous illustrons les effets pervers de l’approche militarisée de la Riposte, fondée sur la peur en matière de dépistage et de traitement. Cette approche a incité les patients à fuir la Riposte, ce qui a eu un impact négatif sur le taux de propagation, la morbidité et la mortalité de l’épidémie.
Nous arguons que si le personnel et les structures institutionnelles existants étaient utilisés pour gérer Ebola au lieu d’imposer de nouvelles structures, des décennies de confiance dans le système de santé congolais auraient pu être mises à profit pour impliquer la population dans les mesures de surveillance et de contrôle.
Dans le troisième de nos quatre articles, nous considérons les défis auxquels les survivants sont confrontés. L’amélioration des traitements a considérablement réduit la mortalité lors de la 10e épidémie de la MVE en RDC. Pour ceux qui se sont présentés tôt dans l’évolution de leur maladie, Ebola n’était plus une condamnation à mort mais plutôt une maladie évitable et traitable. Ainsi, de nouvelles mesures ont été introduites pour les survivants. Ils recevaient des biens matériels à la sortie du centre de traitement ; ils étaient inscrits dans des groupes de soutien; et ils devaient suivre un processus de contrôle sanitaire très rigoureux.
Dans cet article, nous démontrons que les approches coercitives de la Riposte ont entrainé la peur des survivants et renforcé leur stigmatisation au sein de la communauté locale. Nous contestons également l’hypothèse selon laquelle les organisations humanitaires internationales devraient jouer un rôle de premier plan dans la réintégration des survivants au sein de la communauté.
Le dernier de nos quatre articlesconstitue une conclusion à la série. Il évalue les enjeux stratégiques et opérationnels autour de l’épidémie et les efforts entrepris par la Riposte pour la contenir. Nous soulignons comment le manque de communication efficace, la fourniture non décisive de soins de santé gratuits et le fait de fermer les yeux sur la situation de l’époque, caractérisée par les tensions électorales et la contestation de la politique locale ont conduit à une mauvaise acceptation de ces efforts. En conséquence, la Riposte a été localement perçue par beaucoup comme une vaste machine d’extraction économique, ce qui a encore accru la méfiance des populations.
Faire appel au local
Sur la base de ces résultats, nous proposons des recommandations concrètes suivantes pour une meilleure gestion des épidémies.
Premièrement, tenir compte du contexte socioculturel, politique et économique de la région d’intervention.
Deuxièmement, renforcer, améliorer ou étendre le système de santé existant au lieu de créer un système parallèle qui l’affaiblit.
Troisièmement, écouter et intégrer les acteurs, les compétences et les pratiques locales, plutôt que de les marginaliser ou de les exclure.
Quatrièmement, créer des conditions favorables fournissant de l’espace aux communautés locales de s’approprier la lutte contre l’épidémie.
Plus profondément, nous proposons également la possibilité d’une nomenclature différente dans les épidémies, une nomenclature qui tient compte de la confiance et du devoir familial au lieu de « suspects d’Ebola » et une nomenclature qui tient compte de la dignité et du respect et non par exemple les « enterrements dignes et sécurisés ».
Il faudra du temps pour changer tout cela. Mais cela doit arriver. Comme beaucoup de Congolais l’ont fait remarquer lors de la 10e épidémie, « les communautés voient beaucoup plus loin que la Riposte ».
Rachel Niehuus, Chirurgien et anthropologue médical, Emory University; Ben Radley, Maître de conférences en développement international, University of Bath; Bienvenu Mukungilwa, Chercheur au Centre de recherches Universitaires du Kivu (CERUKI); Christoph Vogel, Directeur de recherches à l’Insecure Livelihoods Project, Ghent University, et Serge Kambale Sivyavugha, Chercheur, Université catholique de Bukavu
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.