Assuré de rester au pouvoir jusqu’en 2035, grâce à une modification constitutionnelle, Paul Kagame surfe sur une popularité artificielle. Derrière le dirigeant modèle se cache un président autoritaire, aux méthodes dictatoriales.
L’article 101 de la Constitution rwandaise de 2003 était, il y a quelques années encore, très clair : « Le Président de la République est élu pour un mandat de sept ans renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ». Fin 2015, alors qu’il finissait son deuxième mandat, Paul Kagame a lancé une jolie campagne de communication pour rester au pouvoir, s’étonnant du succès d’une « pétition populaire » qui avait réuni près de 4 millions de signatures et qui lui demandait de rester au pouvoir.
L’occasion pour le chef de l’État rwandais de prolonger sa présidence avec une modification constitutionnelle. Parmi les articles révisés en 2015, le 101 prévoyait de conserver la limitation du nombre de mandats et réduisait même leur durée, qui allait passer de sept à cinq ans. Mais, comme pour éviter les interminables débats sur le troisième mandat en Afrique, un autre article a été créé sur mesure pour Kagame : le 172.
Un article étonnant, jouant à la fois sur la fameuse « pétition populaire » plébiscitant Kagame et sur le génocide de 1994. Cet article 172 précise en effet que, « compte tenu des pétitions présentées par le Peuple rwandais avant l’entrée en vigueur de la présente Constitution révisée », mais aussi à cause des « défis sans précédent résultant du passé tragique qu’a connu le Rwanda et la voie choisie pour les surmonter », un mandat présidentiel de sept ans « est établi et prend effet à l’expiration du mandat » actuel de Paul Kagame.
Une autoroute vers la présidence à vie
Autrement dit, entre 2017 et 2024, Paul Kagame peut continuer à être président. Puis, il peut se représenter pour deux nouveaux quinquennats. Une autoroute pour le président rwandais. Mais surtout une confiscation du poste de président, puisque le Rwandais sera, si tout va bien lui, resté au pouvoir pendant… 35 ans !
Si la communauté internationale a, timidement, appelé Kagame à la raison — comme la Maison-Blanche qui a demandé que le président rwandais « honore son engagement de respect des limites de mandats fixées lors de sa prise de fonction » —, depuis, plus rien. La faute à un travail de communication efficace : dans les médias, Kagame est autant détesté qu’aimé, autant dictatorial que populaire.
Au sein de son parti, Kagame fait l’unanimité : le Front patriotique rwandais (FPR) l’a réélu à sa tête à 99,9 % des suffrages. Nul doute, donc, qu’il sera réinvesti en 2024. Dans le paysage politique aussi, difficile de voir des voix s’élever contre le président. Une popularité hors-normes ? Kagame a surtout réussi à faire taire ses opposants. « Les commentateurs politiques ont affirmé que pour les personnes impliquées dans la politique du pays, les risques de critiquer Kagame ou son gouvernement sont tout simplement trop élevés », résume David E Kiwuwa, dans The Conversation.
Une alternance impossible ?
Le dictateur préféré des Occidentaux a en effet des méthodes expéditives : il n’hésite pas à licencier les fonctionnaires dont il n’est pas content, mais surtout à emprisonner, voire faire assassiner, certains de ses opposants. Les autres sont poussés à l’exil, voire à se taire dans le meilleur des cas.
Si Kagame s’appuie sur des indicateurs positifs — largement contestés et contestables, en réalité —, il s’est imposé au poste de président à vie. « À mesure que le Rwanda prend de la distance par rapport à son passé traumatisant et qu’il prend confiance en son avenir, il pourrait avoir besoin d’une alternance, voire l’exiger », conclut David E Kiwuwa. Mais la modification constitutionnelle et les soutiens internationaux à Kagame ne permettront sans doute pas de voir le président rwandais quitter le pouvoir de son vivant.