L’ancien président centrafricain François Bozizé est sorti de son silence, appelant à poursuivre, en RCA, la transition sans le président Faustin-Archange Touadéra. Que prépare l’ex-chef d’Etat ?
L’ex-président de Centrafrique, et chef du groupe rebelle de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), François Bozizé, a publié la semaine dernière une déclaration. Sa première sortie depuis des mois.
Bozizé y dénonce « les manœuvres ‘pouvoiristes’ du régime Touadéra » et appelle à une « transition » sans ce dernier, qui serait, selon lui, « l’alternative crédible pour mettre fin à la crise ». Des propos surprenants, alors que Faustin-Archange Touadéra a entamé un nouveau mandat en décembre 2020. D’autant que la RCA est relativement stable depuis plusieurs mois. La seule partie accusée de provoquer le désordre, aussi bien par Bangui que par les Nations unies, est actuellement le mouvement rebelle CPC, dont Bozizé est le chef.
Depuis son exil à N’Djaména, la capitale du Tchad, des mouvements inquiétants ont lieu. Des évènements récents portent à croire que François Bozizé compte reprendre les hostilités en Centrafrique, avec l’aide des milices.
Entre le Tchad et la France, la course à l’armement de Baba Laddé
Africa Intelligence révèle les détails d’un voyage parisien, en mai, du numéro 2 des renseignements étrangers tchadiens, le chef peul Abdelkader Mahamat, alias Baba Laddé. Ce dernier aurait « tenté de faire passer aux officiels français une feuille de route intitulée ‘Marche pour la restauration et la sécurisation de l’administration centrafricaine’ ». Sans succès, selon le journal d’investigation. Toutefois, Baba Laddé aurait accompagné son document d’une « liste de courses » riche en matériel militaire : 20 000 kalachnikovs, 2 000 lance-roquettes, 2 000 véhicules, 1 000 drones armés, autant de snipers et 200 000 cagoules…
Une audace incroyable du Tchadien, dont on suppose que le chef de la junte tchadienne Mahamat Déby le « garde sous la main » afin de gérer toute tension avec la Centrafrique. Par ailleurs, Baba Laddé, accusé de crimes de guerre, avait été brièvement nommé chef des renseignements par Déby en octobre dernier.
A cette époque, des tensions avaient éclaté sur la frontière tchado-centrafricaine. Des soldats tchadiens avaient couvert la retraite de rebelles 3R – appartenant à la CPC. Une confrontation meurtrière s’en est suivie entre les soldats tchadiens d’un côté, et les paramilitaires Wagner et l’armée centrafricaine de l’autre. L’incident diplomatique a rapidement été apaisé dans les couloirs de la CEEAC.
Reste que, depuis, le Tchad protège François Bozizé et Baba Laddé. Ce dernier est aussi considéré comme le chef, de facto, des 3R depuis la mort de leur chef Sidiki Abass. Baba Laddé, très proche de la cause de Bozizé en Centrafrique, ainsi que des intérêts français dans la région, aurait également repris les discussions avec l’ennemi numéro 1 de Bangui : Ali Darassa. Le chef du groupe rebelle Union pour la paix en Centrafrique (UPC), appartenant également à la CPC de Bozizé.
La déclaration de Bozizé, une menace ?
Bangui avait annoncé, l’année dernière, que Darassa allait se rendre, après des discussions avec le gouvernement. Or, il semblerait qu’il y ait eu un quiproquo de… traduction. Darassa ne parlant pas français, son traducteur de l’époque et actuel ministre centrafricain de l’Elevage, Hassan Bouba, l’aurait roulé dans la farine. Bouba a avancé que Darassa se rendrait à condition qu’il — Bouba — soit nommé au gouvernement. Hassan Bouba a ainsi provoqué une scission au sein de l’UPC, qui a grandement profité à Touadéra et réduit la force des rebelles.
Mais maintenant qu’Ali Darassa et Baba Laddé sont de nouveau proches, et que ce dernier partage avec Bozizé l’exil tchadien, les deux hommes planifient-ils de rompre le cessez-le-feu en Centrafrique et de relancer les hostilités avec l’aide des 3R et de l’UPC, armés par la France ?
Vu sous cet angle, la déclaration de François Bozizé ressemble plus que tout à une menace pour Bangui. Pour rappel, Bozizé avait été éliminé de la dernière présidentielle de 2020. D’un autre côté, il est activement soutenu par la France et le Tchad. Par ailleurs, l’espion français Juan Rémy Quignolot, arrêté en Centrafrique, ainsi que les 4 soldats français arrêtés en février dernier, s’étaient avérés proches de Bozizé. Ils faisaient partie de son escorte en 2013, à la chute de Bangui.
Toutefois, si Bozizé relance les combats en Centrafrique dans le futur, ce ne sera pas sans l’accord de N’Djaména et Paris. Mais si cela venait à se réaliser, Mahamat Déby serait dans le collimateur de tous les chefs d’Etat de la région. La France, elle, prouverait que ses méthodes en RCA n’auront pas changé depuis Bokassa.