Le vêtement est central dans la construction de l’image en politique. Il est un symbole d’appartenance socioculturelle, un facteur de distinction et un vecteur de socialisation politique.
Au Cameroun, le vêtement est central dans la construction de l’image en politique. Il est un symbole d’appartenance socioculturelle, un facteur de distinction et un vecteur de socialisation politique à partir duquel se négocie l’identification des entrepreneurs politiques. C’est ainsi que plusieurs acteurs politiques dont Edith Kahbang Walla, Paul Biya (costume bleu), Ni John Fru Ndi (boubou blanc) sont immédiatement identifiables par leur mise vestimentaire.
Cette quête de singularité par le vêtement est également observée au niveau des actions collectives de contestations au Cameroun. À cet effet, la plate-forme “Stand-up for Cameroon”, dans son appel pour la transition politique, fait le choix de vêtements noirs comme symbole de contestation politique.
Si le champ de la contestation politique est symbolisé par une singularité vestimentaire, il en est de même pour celui de la conquête du pouvoir. Cette incursion de la symbolique vestimentaire dans la conquête du pouvoir s’est donnée à voir dès les premières élections pluralistes organisées au Cameroun après la période de libéralisation du champ politique. Ainsi, lors de la campagne électorale pour l’élection présidentielle du 11 octobre 1992, Ni John Fru Ndi, alors leader du parti d’opposition Social Democratic Front (SDF), associe son image vestimentaire au combat politique qu’il incarne. Autour du slogan “power to the people”, il apparaît régulièrement vêtu d’un boubou blanc sans manches qui lui permet, le poing levé, de montrer ses muscles.
Au cours de cette même période électorale, Paul Biya, président sortant, se présente vêtu d’un costume bleu. Par la suite, ses apparitions régulières en costume bleu ont permis l’assignation de celui-ci à son nom : “le bleu Biya” ou “bleu présidentiel”.
Le vêtement comme média
Selon le sociologue,Abdou Ndiaye, les vêtements correspondent à l’ensemble de l’habillement porté par l’individu afin de couvrir et parer son corps. Il correspond aussi à un “système de valeurs et de représentations sociales” qui gouverne les frontières entre le corps visible dénudé et le corps couvert. Il opère symboliquement et matériellement dans le champ de la compétition politique comme un média. Il se donne à voir enfin comme un marqueur de la décence, une incorporation des interdits et, surtout, comme le respect de la culture des apparences.
Dès lors, la littérature qui traite des questions liées au vêtement envisage ce dernier à partir de trois fonctions : la protection, la pudeur et la parure.
Sous certains aspects, le vêtement définit un système d’appartenance qui établit les circonscriptions de l’altérité sur de multiples plans (culturel, social, économique et politique) et, “parce qu’il se fait l’interprète le plus direct du corps, caractérise au premier coup d’œil l’idéologie affichée du corps politique”. D’autres travaux de recherche se saisissent du vêtement en tant que signe idéologique ou politique qui résonne avec les différents travaux questionnant la mode, sa critique postcoloniale et la circulation de la mode africaine.
L’élection présidentielle du 7 octobre 2018 au Cameroun permet, dans un contexte de libéralisation du champ politique, de questionner les usages politiques du vêtement. Il s’agit de rendre compte de comment, à partir d’une étude ethnographique, la diversification vestimentaire en période de campagne électorale offre un prétexte pour analyser le recours aux mécanismes de séduction afin de rallier l’électorat.
Dans une étude publiée récemment, je me focalise sur trois des neuf candidats à cette échéance électorale, à savoir Paul Biya, Maurice Kamto et Cabral Libi’i. La politique symbolique que nous entreprenons de questionner repose sur l’étude des dispositifs sensibles forgés par ces acteurs politiques en campagne. Il s’agit de rendre compte de l’instrumentalisation du lien social d’un groupe autour des signes symboliques vestimentaires par les acteurs politiques en compétition électorale.
Symbolique du vêtement
Nous partons du postulat que ces acteurs politiques aux expériences contrastées reconnaissent à l’apparence une place capitale dans le champ politique. Cette fixation de l’objet d’étude vise à repenser la pratique des processus politiques en contexte africain en centrant le regard sur la symbolique de la vêture des hommes politiques en campagne électorale.
Les pratiques vestimentaires de la campagne électorale qui en découlent sont observables à partir à la fois du style vestimentaire et de la palette de couleurs que choisissent ces acteurs.
Pour ce qui est du style vestimentaire, il s’accorde avec les représentations de la mode en vigueur dans la société camerounaise. Le costume occidental et le boubou africain constituent les principales parures vestimentaires de la campagne.
Quant aux couleurs, elles varient pour les costumes entre le bleu dans ses différentes nuances et le noir. Comme nous l’avons déjà souligné, Paul Biya en a fait un élément de son identité vestimentaire. Sur les affiches produites pour cette campagne, il arbore une veste royale. Maurice Kamto apparaît vêtu dans les nuances sombres du bleu, à l’instar du bleu nuit. Cabral Libi’i s’illustre par une mise vestimentaire dominée par le bleu marine. Ce recours au costume bleu chez les hommes politiques camerounais peut trouver une explication dans sa perception comme “couleur symbolique de la dignité royale”.
Le vêtement comme discours de campagne
Ces pratiques vestimentaires révèlent le vêtement lui-même en tant que discours de la campagne électorale. Celui-ci est repérable dans l’usage qui en est fait dans certains lieux et les enjeux qui accompagnent le choix du vêtement de campagne. Ainsi, les candidats de l’opposition Cabral Libi’i et Maurice Kamto ne s’habillent pas au nord Cameroun comme ils s’habilleraient au Sud ou dans leur région d’origine.
Par ailleurs, le choix du vêtement de campagne est au cœur d’enjeux divergents, tant au sein de certaines équipes de campagne qu’entre certains candidats.
Pour ce qui est des enjeux du vêtement de campagne, on observe que les équipes de campagne des deux candidats de l’opposition sont traversées par des luttes quant aux choix du vêtement à adopter pour une étape de la campagne. Ces enjeux de choix du vêtement contrastent avec la singularité en la matière du candidat sortant.
Pour le candidat cabral Libi’i par exemple, le choix du vêtement de la photo officielle de campagne a opposé ceux qui souhaitaient le port du boubou appelé “la tenue du Nord” (en vue de l’inscription dans l’africanité et la séduction du plus grand électorat qui est nordiste) à ceux qui préféraient le costume occidental qui correspondait plus à une image administrative et présidentielle. 66 membres de l’équipe de campagne sur les 86 qui la composent opteront pour le choix de la « tenue du Nord ».
Séduction par le vêtement
En définitive, il est de prime abord clair que tous les candidats à cette élection présidentielle usent du vêtement comme média. Il ressort alors clairement que, lors de l’élection présidentielle de 2018, les différents candidats ont opéré des choix vestimentaires qui reflètent leurs personnalités mais qui traduisent aussi leurs ambitions présidentielles.
Ces choix contrastent avec le discours social qui fait des élections présidentielles une mascarade dont les jeux sont faits d’avance. La séduction de l’électorat par le vêtement fait de la campagne un révélateur du caractère compétitif du jeu électoral. Il subsiste une zone d’incertitude, un espace de probabilité de la défaite ou de la victoire qui influencent l’accès à la compétition électorale au Cameroun.
À travers le vêtement de campagne se lit aussi l’engagement pour le jeu démocratique. La variabilité et l’adaptabilité du vêtement des prétendants tout comme la constance du style vestimentaire du président-candidat traduisent au moins l’idée de la compétitivité du jeu électoral.
Jean Daniel Bombela, Enseignant chercheur, Université de Yaoundé II
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.