Au Sénégal, l’information officielle concernant l’hépatite B manque, ce qui pousse la population vers les médias en ligne. Faire le tri entre vraies et fausses informations est primordial.
Le rôle central des médias dans la vie des individus, corrélé à l’omniprésence des technologies de communication et à la disponibilité instantanée de l’information, en fait une source privilégiée pour répondre aux interrogations concernant des problèmes de santé. Au fil des années, les médias sociaux ont réussi à s’imposer comme une source « fiable » pour partager des informations sur des événements et d’échanger des idées.
En l’absence d’information objective sur un problème médical, ces canaux se présentent comme les sources les plus accessibles, moins contraignantes à l’usage que de s’adresser à un soignant. Il en est ainsi de l’hépatite B (due à un virus, le VHB) qui, malgré sa prévalence estimée à plus de 10 % au Sénégal, se caractérise par un manque de connaissances dans la population générale : il n’y a pas de mot local pour la nommer et elle se confond avec d’autres infections telles que le paludisme ou la fièvre jaune.
Cette situation montre que, contrairement au VIH pour lequel des informations formelles ont été construites et encadrées par la loi, l’hépatite B souffre d’un déficit d’informations officielles. D’où le fait qu’elle reste très répandue mais peu connue.
Une revue de presse en ligne significative
Comment y sont construites les connaissances sur l’hépatite B ? Quelles sont les informations véhiculées par la presse en ligne à son propos ? Comment les lecteurs réagissent-ils ? Pour répondre à ces interrogations, nous avons entrepris une revue de la presse en ligne des principaux sites d’informations sénégalais et analysé les commentaires des lecteurs.
Cette étude a permis de mieux évaluer le niveau d’information des personnes incluses dans le projet SEN-B, étude d’une cohorte d’individus vivant avec l’hépatite B basée à l’hôpital Fann (Dakar). Les données sont constituées d’articles et commentaires de lecteurs sélectionnés à partir du mot clé « hépatite B » sur 17 sites d’informations sénégalais, et d’une veille via la création d’une alerte « hépatite Sénégal » sur Google.
Au total, 73 articles issus des médias sociaux publiés entre 2009 et 2020 ont été collectés (voir la figure ci-dessous). Le nombre de lecteurs a été recueilli pour 18 articles et 17 articles ont fait l’objet de commentaires. Au total, 180 330 vues ont été enregistrées et 214 commentaires collectés – qui ont fait l’objet d’une analyse thématique assistée par le logiciel Atlas Ti.
Thématiques développées
L’analyse du contenu de ces messages révèle que plusieurs thématiques sont abordées à propos de l’hépatite B.
Les médias sociaux peuvent se comporter par exemple comme des formes d’alertes à propos d’une maladie « silencieuse » qui fait ravage dans le pays.
La majorité des articles évoque la prévalence (nombre de cas à un instant/sur une période donnée) de l’infection en population générale. Ces « chiffres qui font peur » offrent sur un plateau une ouverture à des thérapeutes pour leurs solutions « miracles ».
L’essentiel des intervenants proposant des traitements sont des tradipraticiens qui présentent des thérapeutiques traditionnelles issues de la pharmacopée. Les intervenants finissent le plus souvent par des conseils sur les aliments à éviter (oléagineux) et le régime alimentaire à adopter (fruits et légumes).
Plus rarement, les articles des médias sociaux rapportent des traitements issus de la biomédecine. Ces articles sont basés sur des interviews d’experts du champ médical. À l’inverse des interventions précédentes, sont alors traités les modes de transmission, les signes et complications de la maladie et la vaccination. Sont également soulignées les difficultés (coût élevé) de la prise en charge médicale, mais ces articles ne donnent pas d’indication sur le traitement (mode et lieu) pouvant permettre aux personnes infectées d’y avoir recours.
D’autres articles concernent des témoignages de personnes malades sur leur vécu. Les médias les rapportent dans un style jouant sur la peur.
Les personnes acceptant de témoigner sont le plus souvent issues de la seule association des personnes vivant avec l’hépatite B, Saafara Hépatites Sénégal, dont le premier président, Ibrahima Gueye, qui fait preuve d’engagement et de détermination. Les témoignages indexent souvent les difficultés de traitement à la responsabilité de l’État et à la négligence de la maladie :
« Non seulement les médicaments sont chers, mais en plus, ils sont inaccessibles. Depuis 2012, à part la journée mondiale de lutte contre les hépatites, je n’ai jamais entendu le ministre de la Santé ou le gouvernement parler d’une quelconque lutte contre cette pathologie. Ce n’est pas normal. »
« Il n’y a aucune communication sur ces maladies. Les gens ne savent pas où se faire dépister, où se faire vacciner, rien de tout cela. C’est écœurant dans un pays comme le nôtre. »
« Pour se faire soigner, elle est obligée d’attendre l’aide de sa famille. “C’est pourquoi, chaque année, je commence le traitement, mais je ne le termine pas”. »
Les articles rapportent aussi des informations sur le Programme national de lutte contre les hépatites (PNLH) incluant son histoire, ses réalisations et ses difficultés, le plus souvent basées sur les interviews de la responsable du programme en contexte de la journée mondiale de lutte contre les hépatites.
Des malades à la recherche d’informations
Les articles en ligne ne sont pas la seule source d’informations à considérer : les espaces de commentaires associés permettent en effet aux lecteurs de réagir aux publications.
Ces espaces sont souvent investis par des personnes vivant avec l’hépatite B, quand l’article traite du sujet. Leurs interventions résultent de leur propre recherche d’informations sur le sujet dans un contexte où peu de données officielles sont disponibles – même sur les espaces dédiés à leur maladie.
« J’ai besoin votre numéro svp je souffre parce qu’on m’a dépisté positif. »
« Moi je suis infecté par l’hépatite B, je ne sais pas comment faire pour le guérir. Je compte sur vous pour le traitement. »
« Avec l’hépatite B est ce que je peux continuer à allaiter mon bébé ? »
« Bonsoir papa est-ce qu’une femme enceinte peut prendre les médicaments que vous proposez ? »
La diversité des questions posées reflète les différents niveaux de préoccupations des personnes infectées. La quête de traitement pousse certains à demander des rendez-vous ou des contacts, le plus souvent avec des guérisseurs traditionnels qui proposent des remèdes dont l’efficacité n’a pas été prouvée.
En général, aucune réponse officielle n’est apportée aux questions posées.
De faux témoignages pour tromper les malades
Du fait de cette absence de retour, d’autres lecteurs vont profiter de ces espaces d’échange pour proposer des « traitements », le plus souvent à base de plantes et de prières. Parfois des interventions à distance sont proposées, via un contact téléphonique, WhatsApp ou e-mail :
« Guérir hépatites B et C sur WhatsApp numéro 0022997XXXXXX tous nos produits sont fabriqués à la base des plantes très efficaces sans effets secondaires. »
Les commentaires connectent des lecteurs issus de pays différents. Sur des articles de presses sénégalaises, des réactions de lecteurs « guérisseurs » ou « guéris » du Bénin et du Nigéria sont ainsi répertoriées.
Les témoignages de personnes soi-disant « guéries » de l’hépatite B chronique indiquant les coordonnées de leurs thérapeutes peuvent être assimilés à des stratégies développées par les guérisseurs pour attirer les « clients ». Dans un entretien, un tradipraticien montre même des bulletins d’analyses comme preuve qu’il a soigné et guéri un patient.
Une communauté qui s’entraide
Mais les commentaires sont aussi un espace que les malades ont investi pour y créer des lieux d’interactions qui leur sont utiles.
Ainsi, certains des thérapeutes virtuels qui pullulent y sont dénoncés comme des arnaqueurs : « Il est nul, il m’a pris 50 000 CFA et je n’ai rien eu comme résultat, je le jure. »
En plus de ces alertes, ces espaces virtuels permettent aussi à certains de tenter de répondre aux questions posées. Ils transmettent des informations médicales reçues ou encore partagent le numéro du programme national de lutte contre l’hépatite B.
« Un médecin m’a dit que l’hépatite B se transmet aussi par la salive d’où le nombre important de personnes atteintes au Sénégal. »
« C’est une maladie très contagieuse et la plupart des Sénégalais l’ignorent, son traitement est inaccessible pour la majorité des infectés car très cher. »
« Pour plus d’informations rapprochés vous du programme national de lutte contre les hépatites 338234496. »
Une communauté solidaire se forme donc en ligne pour s’autosoutenir, dans un contexte où les politiques sanitaires publiques font peu de place à l’hépatite B. L’État y fait souvent l’objet de critiques virulentes :
« Dans la plupart des pays européens c’est l’État qui prend en charge le traitement de cette maladie car il est très couteux. »
« Comment éviter cette maladie puisqu’on est dans un pays pauvre où l’État ne fait jamais de débat de ces genres de maladie c’est bizarre… »
Comment remédier au manque d’informations fiables ?
Les informations biomédicales à propos de l’hépatite B sont rares dans les médias sociaux sénégalais, laissant ainsi la place aux guérisseurs et pseudothérapeutes. Ceux-ci investissent à la fois les articles au travers de vidéos et les espaces de commentaires, où ils proposent des traitements dont ils vantent l’efficacité démontrée soi-disant par des bulletins d’analyses médicales qu’ils affichent. Comment le lecteur peut-il s’y retrouver ?
Ce dont manque la population, ce sont d’informations objectives. Comme le rapporte la littérature, il existe une confusion culturelle entre cette infection et d’autres, notamment le paludisme et la fièvre jaune : ce qui expose au risque de passer à côté du traitement approprié.
Qui plus est, les croyances selon lesquelles le VHB peut être transmis par la nourriture et l’eau ou par le fait de manger ensemble, présentes dans les commentaires de lecteurs, exposent les malades aux risques de stigmatisation. Un risque associé à de nombreuses maladies infectieuses.
Par ailleurs, la diffusion de certains éléments (recettes miracles, partage de contact de pseudoguérisseurs…) pose des questions légales, déjà analysées dans la littérature en termes de violation de la loi relative à l’exercice de la médecine et de publicité dissimulée interdite par le code de la presse au Sénégal.
Les médias sociaux tirent profit de l’intérêt accordé aux tradipraticiens sollicités à la fois pour soigner et « gérer l’infortune et le malheur » dans un contexte d’inaccessibilité aux traitements et informations d’ordre biomédical sur l’hépatite B.
À l’inverse, dans le domaine du VIH par exemple, l’utilisation des médias sociaux a permis d’améliorer la communication entre un large éventail d’utilisateurs, via l’anonymisation et la confidentialité dans le cadre tant de la prévention que du traitement. Au Sénégal, cette information a ainsi été très tôt contrôlée par les autorités.
Les médias offrent donc une opportunité d’information et d’échange très utile et utilisée par les personnes vivant avec le virus de l’hépatite B. Cependant, la diversité des données qui s’y côtoient, mêlant faits médicaux et fausses croyances, montre qu’il est important de cadrer les discussions et d’alerter sur les informations erronées concernant l’hépatite B.
Il est donc nécessaire, comme pour le VIH, que les autorités, y compris le programme national de lutte contre les hépatites, s’investissent dans des campagnes d’informations adaptées pour les populations.
Ces auteurs ont également contribué à la conception de cet article : Diédhiou Mariama, Diop Fatou, Ramirez Mena Adrià, Tine Judicael, Ndiaye Amady, Fortes-Déguénonvo Louise, Seydi Moussa, Wandeler Gilles et le SEN-B study group.
Albert Gautier Ndione, Socioanthropologist, enseignant-chercheur, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.