La lutte traditionnelle touche directement le patrimoine culturel de la société sénégalaise. C’est un facteur d’éducation et d’intégration sociale qui forge et forme l’individu.
Dans la tradition africaine, la lutte joue un rôle important dans le processus de socialisation des individus. Elle est en effet vue et perçue comme un lieu de formation et d’éducation des individus. Au Sénégal, dans le monde rural en général et dans la société Joola – une communauté de la région sud du pays – en particulier, la lutte constitue un patrimoine d’intégration sociale.
La lutte a toujours occupé une place de choix dans les sociétés humaines. Toutes les informations connues aujourd’hui sur la lutte traditionnelle africaine ont été obtenues par le circuit de transmission orale, par les griots, chargés de transmettre l’histoire des tribus et par les anciens. Dans le monde rural, la lutte permet de voir des rencontres amicales entre villages voisins. Car elle est une école de formation pour les personnes issues des différentes communautés.
Dans la société Joola par exemple, la lutte reste, à côté de l’initiation, un facteur déterminant de l’insertion du jeune adolescent dans la vie sociale. Il y découvre la stratification de la société, les limites de la hiérarchie, les différences fondamentales entre les cercles des hommes et des femmes. La lutte est le reflet de l’organisation de la société.
Les fonctions sociales de la lutte peuvent être précisées selon cinq axes : les rapports entre le lutteur et son entourage, les rapports entre la lutte et la parenté, les rapports entre la lutte et l’amitié, les anciens et la lutte, et enfin la contribution de la lutte au rapprochement des peuples.
Au Sénégal, la lutte traditionnelle constitue un patrimoine culturel qui a pour vocation la socialisation des individus. Autrement dit, elle s’impose presque partout comme un moyen de valorisation de l’honneur à travers le culte de la bravoure et confère à ses champions de village ou de contrée, un important capital social à sauvegarder.
Si les sources orales nous ont permis de connaître quelques faits marquants de notre histoire, elles souffrent souvent d’un manque réel de précision ou de référence. Dès lors, en tentant d’approfondir nos connaissances concernant l’histoire africaine, nous nous heurtons à un manque quasi total de documents écrits dans bien des domaines, telle la lutte traditionnelle qui est l’objet de notre étude. Tout ce que nous savons de la lutte traditionnelle africaine en général nous est conté par les anciens qui ont constitué notre unique champ d’investigation.
Dans toutes les sociétés africaines la lutte, outre qu’elle servait de moyen pour régler des conflits entre rois par lutteurs interposés, était pratiquée sous forme de jeu récréatif, disaient les anciens.
La lutte était une école de formation pour tous les jeunes garçons, et à travers elle les adultes mesuraient leur courage, leur volonté de vaincre et leur esprit d’abnégation.
Un patrimoine culturel à sauvegarder
La lutte dans la société traditionnelle est une activité culturelle globale, expression naturelle d’une communauté ethnique, tribale ou classique. Elle fait appel à un ensemble de réalités caractéristiques d’un groupe social donné : réalités sociales, culturelles, techniques, ethniques et morales.
Lutter dans la société traditionnelle, c’était manifester la vitalité d’un groupe, en polarisant toutes ses forces autour d’un personnage qui en est le représentant. Il y avait, dès lors, identification du groupe à son lutteur et par conséquent référence constante de ce dernier à son groupe. Ainsi donc, nous avions :
- La relation entre le lutteur-champion et son groupe ou sa communauté : le lutteur puisait sa force dans le groupe qui, à sa manière, participait au combat que menait son champion. Il était de notoriété qu’un champion qui se coupe de son groupe perd une part de sa force.
- La société d’âge : elle représente les jeunes du même âge. C’est au sein de ce groupe d’âge qu’on peut mesurer la force d’un lutteur sur les autres.
- Le rôle de la mère, de la sœur et des « savants » qui se sentaient mobilisés plus particulièrement pour protéger leurs “fils” et assurer sa victoire. On luttait en endossant le pagne de la sœur, envoyé et donné par la mère, autant de symboles du « gonflement et du ressourcement » moral et physique.
Réalités culturelles
La lutte au sein de la communauté sérère – les Sérères sont une communauté du centre du Sénégal -, c’est aussi une littérature, des rites, une fête. Le chant de lutte est un rythme qui est fonction du rythme du lutteur et du groupe participant, lent, silencieux, rapide, saccadé, enflammant, il est ponctué par les différents tambours. Il est histoire, référence, encouragement, enseignement, conseil et redynamisation, parlant directement au lutteur, mais aussi à tous les participants.
Des chants comme « Les poitrines hurlent quand un grand lutteur terrasse, allons-y il fait déjà nuit ! », ou encore: « Je suis un habitué des arènes, mais je ne parcourrai pas les contrées à chercher des talismans, ma force me suffit » sont souvent entonnés par leurs supporters.
La lutte n’est pas une simple pratique sportive, elle renferme un aspect socio-éducatif considérable.
Focus sur la lutte avec frappe
La lutte traditionnelle est d’actualité car elle touche directement le patrimoine culturel de la société sénégalaise. Ce sport est un facteur d’éducation et d’intégration sociale qui forge et forme l’individu au travers la socialisation.
Aujourd’hui, on note toutefois une faible présence de cette lutte au plan national car la plupart des gens ont tendance à mettre le focus sur la lutte professionnelle.
A part le drapeau du chef de l’État– un tournoi national de lutte dédié au chef de l’Etat regroupant des lutteurs de toutes les régions du pays – , qu’organise le Comité national de gestion (CNG), la lutte traditionnelle semble être absente des projets et programmes de politiques culturelles du pays.
Il est urgent pour le ministère des Sports et celui de la Culture de mettre en valeur tous les aspects positifs de la vie de la société traditionnelle sénégalaise tels que la lutte traditionnelle.
Docteur Ousmane Ba, chercheur, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.