« Nous luttons, les armes à la main. Nous avons été forcés de le faire, pour liquider la domination coloniale ». Ainsi Djassi, comme on le surnommait, fit simplement état des lieux avant de partir à la Conférence des peuples africains en 1961 pour prononcer les paroles de son peuple, le peuple de ce qui devint la Guinée-Bissau et le Cap-Vert.
Connaitre son ennemi
L’idéal d’Amílcar Cabral était le fruit d’une enfance perturbée par l’injustice coloniale et la précarité qui en résulta. On ne peut attribuer Amílcar à un seul pays, mais il grandit dans une terre soumise au régime vorace du Troisième Empire colonial portugais. Son père était enseignant et sa mère commerçante.
Amílcar Cabral avait à peine 11 ans lorsque la famine causée par le blocus de l’armée coloniale a causé des milliers de morts cap-verdiens. Il avait beaucoup déménagé entre la Guinée et le Cap-Vert. Malgré cela, c’était un excellent élève. En 1945 il obtint une bourse d’études pour étudier l’agronomie à Lisbonne, où il peaufine sa maitrise de la littérature afro-lusophone et fait de la poésie un outil de s’affirmer parmi les militants opposés à l’occupation portugaise.
Une lutte partagée
Le groupe de militants indépendantistes auquel appartenait Amílcar Cabral comptait aussi parmi ses rangs de nombreux combattants, issus d’autres nations africaines sous le joug de la colonisation, comme Eduardo Mondlane Chivambo (Front de libération du Mozambique) ou António Agostinho Neto (Mouvement populaire de libération de l’Angola).
Ce groupe clandestin, qui s’est formé dans la capitale même du régime de Salazar, était le sésame de la liberté future pour quatre pays africains. Ils portaient de fortes convictions panafricaines et marxistes. Amílcar Cabral en particulier était expert en négritude et croyait profondément en une révolution classiste menée par les intellectuels et les prolétaires.
« Trahir la révolution ou se suicider comme classe, ainsi est le choix de la bourgeoisie lorsqu’arrivera la libération nationale ». Quelques jours séparaient le moment où Amílcar Cabral prononça ces mots, à la Conférence tricontinentale à Cuba et celui où Fidel Castro prononça ceux-là : « Cette vague de rancœur extrême et de justice exigée pour les droits bafoués des peuples libres ne s’arrêtera jamais ».
La révolution dans le sang
Pour Amílcar Cabral, il s’agissait surtout de trouver des alliés dans la lutte contre le colonialisme. De ce fait, pour lui les groupes sociaux n’étaient que deux conglomérat, peu importe le pays colonisé, il y’avait les corrompus et les insoumis.
La fidélisation des activistes passait forcément par l’adoption d’une culture nationale chez les bases et par l’alphabétisation. Concrètement, la lutte armée n’a été envisagée par Amílcar Cabral que lorsqu’il s’est rendu compte qu’il n’avait pas tant d’alliés africains que ça. Ses convictions panafricaines attendraient l’indépendance de son propre pays. Dans son texte « Mettre en pratique les principes du parti » il écrira : « Ne pas craindre le peuple et l’amener à participer à la prise des décisions qui le concernent, telle est la condition fondamentale de la démocratie révolutionnaire que nous devons réaliser progressivement ».
En septembre 1953, il mène une enquête agricole de la Guinée pour l’Empire, et en profite pour voyager partout dans le pays et tisser des liens avec des résistants locaux. En 1956, il forme le PAIGC, l’organisation qui luttera contre l’Empire portugais, en compagnie de son demi-frère Luís Cabral (qui deviendra le premier président de l’Etat bissau-guinéen. Lors de son séjour en Angloa, en 1957, il participa à la création du PLUA et connut la fameuse Ana María qui deviendra son épouse ensuite.
En 1959, Amílcar Cabral a renoncé à son travail d’agronome. Lors des grèves des dockers de la même année, il a pu constater le massacre de Pidjiguiti, lorsque les soldats portugais ont tiré sur plusieurs manifestants et en ont tué des dizaines. C’est à ce moment-là que le PAIGC se joignit à la lutte armée et qu’Amílcar Cabral commença la formation militaire de ses partisans dans les zones rurales, certains à l’étranger.
Cette phase de la lutte pour l’indépendance a duré pendant trois ans, Amílcar a obtenu beaucoup d’aide de la part de ses amis Fellaga algériens, mais aussi de son allié le plus précieux, Sékou Touré (Guinée Conakry).
Entre 1962 et 1966, les opérations de guérilla du PAIGC avaient un succès phénoménal. Les tentatives de l’armée portugaise de changer la donne n’ont fait que rallier plus de soldats autour d’Amílcar Cabral.
En désespoir de cause, l’armée de l’Empire a commis beaucoup de crimes de guerre, comme des bombardements au phosphore blanc et des massacres de civils dans leurs propres fiefs. Après leur tentative de renverser Sékou Touré, les forces portugaises ont perdu toute crédibilité, ce qui a valu aux rebelles la reconnaissance du PAIGC par la communauté internationale. Cependant, Amílcar Cabral n’y assistera pas.
La trahison
La loyauté et la résistance vont de pair, comme la soumission avec la trahison. Inocêncio Kani, paradoxalement, n’était pas innocent. Ce vétéran du PAIGC et homme fort de la branche militaire du parti travaillait secrètement avec les agents de la Pide (police secrète portugaise).
Amílcar Cabral savait que les cadres de son mouvement succomberaient à leur propre faiblesse. Il n’avait pas anticipé son propre assassinat mais il savait que la petite bourgeoisie infiltrée dans le PAIGC serait son pire ennemi sur le long terme.
Le 20 janvier 1973, Kani assassina Amílcar Cabral devant sa demeure à Conakry, en présence d’Ana María Cabral.
Anthologie
La bravoure d’Amílcar Cabral a guidé le peuple guinéen et cap-verdien vers l’indépendance à posteriori. Après la tragédie, le mouvement a refait un peu d’ordre dans ses rangs. Le frère d’Amílcar, Luíz de Almeida Cabral, accompagné du futur président du Cap-Vert Artisdes Pereira, a mené les six mois suivants jusqu’à l’aboutissement de la révolution des œillets en 1974.
L’assassinat d’Amílcar Cabral a semé la graine du doute chez les cadres moyens du parti. Après l’indépendance, des conflits internes ont éclaté au sein du nouveau gouvernement de Luíz Cabral. Cependant, rien n’a entaché la mémoire du héros Amílcar dont le nom est porté par les écoles partout en Afrique. Ça l’aurait sans doute fait sourire.