Deux mois après avoir condamné les bombardements israéliens en Palestine, l’Union africaine a offert à l’Etat hébreu un statut d’observateur. Le début d’une relation contre-nature ?
Le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a reçu, ce jeudi 22 juillet, les lettres de créances du nouvel ambassadeur israélien auprès de l’UA, Aleli Admasu. Il y a deux mois à peine, l’UA condamnait les bombardements israéliens en Palestine occupée, affirmant que l’Etat hébreu avait fait preuve d’« une force abusive et gratuite contre des manifestants palestiniens largement pacifiques ces derniers jours ». L’Union africaine dénonçait « une flagrante violation du droit international ». Il n’aura fallu que soixante-dix jours entre cette condamnation et aujourd’hui pour qu’Israël finisse par obtenir ce qu’il cherchait depuis des années : un poste d’observateur au sein de l’organisation africaine.
Certes, l’Etat hébreux, influent dans une bonne partie de la planète, a réussi à s’attirer les faveurs de plusieurs pays africains. Mais si la majorité des Etats du continent discutent aujourd’hui avec Israël, la diplomatie africaine a condamné depuis plusieurs décennies les agissement de l’Etat hébreu et l’apartheid qui se déroule actuellement au Proche-Orient.
Une relation historique avec Yasser Arafat et la Palestine
Le retour d’Israël au sein de la diplomatie africaine est opportuniste, c’est un fait. Car lorsqu’il s’agissait de dénoncer les actes commis par l’Etat hébreu, l’Afrique avait été unanime dans les années 1970 : l’Organisation de l’unité africaine (OUA), l’ancêtre de l’UA, avait fait le choix de se tourner vers la Palestine plutôt qu’Israël et avait demandé à ses membres de rompre, en 1975, leurs relations avec l’Etat hébreu. Omar Bongo, président du Gabon, avait alors rappelé qu’il était « membre de la Conférence islamique et je ne peux pas moi-même être musulman et reconnaître Israël, au risque de renier ma religion ». Le Zaïrois Mobutu, lui, avait trouvé une pirouette rhétorique pour expliquer son choix : « Le Zaïre se trouve à l’heure du choix. Il doit choisir entre le peuple frère palestinien et le peuple ami israélien. Or entre un frère et un ami, notre choix est clair ».
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et, jusqu’en 2002, date de dissolution de l’OUA, Israël avait fini par retrouver son statut d’observateur, un temps réservé à Yasser Arafat, le leader de l’Organisation de libération de la Palestine. Depuis 2002, on ne peut pas dire que l’Union africaine soit friande de la politique intérieure israélienne. En 2011, les colons israéliens avaient lancé une large campagne médiatique sur le « blackwashing », qui consistait à dénoncer les pays africains soutenant la cause palestinienne. Les propos, un an plus tôt, du ministre israélien des Affaires Etrangères Avigdor Lieberman avaient choqué : « Les Ashkénazes sont les sauveurs blancs des Africains ». « L’Etat d’Israël nourrira l’Afrique car c’est un Etat bénévole et moral », poursuivait-il en évoquant la crise alimentaire du Nil. En 2012, le ministre israélien de l’Intérieur, Eli Yishai, s’était lui aussi laissé aller à une sortie raciste, en disant que « les musulmans qui arrivent ici ne réalisent pas que cette terre nous appartient, à nous les hommes blancs ».
Le pragmatisme économique plus fort que la lutte politique
Bien avant les années 1970, les plus grands héros panafricains ont, dans leur totalité, condamné Israël pour ses crimes en Palestine, comme en Afrique. Nelson Mandela, chantre de la libération des Noirs en Afrique du Sud, disait même : « Notre indépendance ne sera accomplie que lorsque la Palestine sera libre ». En 1961, le Ghana de Kwame Nkrumah, alors allié d’Israël, avait signé, comme onze autres chefs d’Etat africains, la résolution identifiant Israël comme un « instrument au service de l’impérialisme et du néo-colonialisme au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie ». Plus tard, en 1984, Thomas Sankara avait évoqué, devant les Nations unies, le cas d’Israël : « A propos de la paix dans le monde, l’exemple le plus pathétique est celui que présente – avec insolence, insistance et arrogance – un petit pays. Israël, pour plus de 20 ans, défie la communauté internationale avec la complicité des Etats-Unis ».
Les exemples historiques sont nombreux. L’Afrique, en tant que diplomatie, n’a jamais soutenu, du moins ouvertement, Israël. Aujourd’hui encore, les populations africaines militent et manifestent pour faire pression sur l’Etat hébreu pour les crimes dont il est coupable en Palestine, comme ce fut le cas en mai dernier. Mais Israël n’a jamais hésité à pactiser avec les pays qui dénonçaient sa politique. Au milieu des années 1960, Tel-Aviv a réussi à entretenir des relations avec une quarantaine de pays africains. Des échanges dans les domaines agricole et militaire, qui se sont petit à petit transformées en relations dans le domaine de la sécurité, ont aidé l’Etat hébreu à toujours garder un pied sur le continent. Israël offrait également des bourses pour leurs étudiants africains. Malgré le soutien global de l’Afrique à la Palestine, le pragmatisme économique d’Israël a été le plus fort.
Le racisme d’Etat israélien ne dérange pas l’UA
Si Israël est désormais un allié de l’Union africaine, il reste à voir comment l’organisation gèrera diplomatiquement ce qui se déroule sur le sol israélien. Depuis 2018, l’armée d’occupation expulse en masse les Hébreux noirs israélites du territoire palestinien occupé. On compte à ce jour des milliers de Falachas, dont certains étaient nés en Palestine, qui ont été conduits en Afrique. Des centaines de familles noires ont vu leurs biens confisquées et ont subi l’humiliation du départ forcé, simplement à cause de la couleur de leur peau. En juin dernier, les derniers Noirs d’Israël ont quitté la Palestine, une majorité se trouve actuellement en Ethiopie. Le ministère israélien de l’Immigration avait osé déclarer que les hébreux noirs « ne figurent pas sur la liste des membres de la communauté (israélienne, ndlr) et ne répondent pas aux critères ».
Outre ce racisme anti-Noirs en Israël, l’Afrique va devoir gérer un autre problème : les crimes d’Etat commis par l’Etat hébreu en Afrique. Notamment, l’assassinat de l’ingénieur Mohamed Zouari en Tunisie, les tentatives d’assassinat de Yasser Arafat en Afrique du Sud, en Egypte, en Tunisie et au Sénégal, ou plus récemment les actes d’espionnage en République démocratique du Congo,en Algérie ou encore au Bénin. Une enquête récente sur le logiciel espion Pegasus a montré comment Israël avait tissé sa toile en Afrique dans le domaine de la cybersurveillance.