L’arrestation des frères Rajesh et Atul Gupta à Dubaï, lundi dernier, a secoué l’opinion publique sud-africaine. Elle relance l’affaire concernant l’ancien président Jacob Zuma, mais précipite aussi la chute de popularité de l’ANC.
Les affaires de corruption visant l’ancien président sud-africain Jacob Zuma sont, sans aucun doute, le plus gros scandale politique depuis l’apartheid. Parmi les griefs contre Zuma, celui d’avoir collaboré avec la famille Gupta pour mettre en place un monopole sur les contrats de l’Etat. Blanchiment d’argent, trafic d’influence… Tout est réuni pour faire tomber l’ex-président. Zuma et trois membres de la famille Gupta auraient siphonné 82,6 milliards de dollars appartenant à l’Etat, soit plus du quart du PIB de l’Afrique du Sud.
Un scandale qui avait provoqué, en février 2018, la démission de Jacob Zuma et la fuite à l’étranger de tous les membres de la famille Gupta. L’année dernière débutait en Afrique du Sud le procès de Jacob Zuma. L’ancien président a tout fait pour éviter la justice : absences pour raisons de santé, requêtes d’expertises, accusations contre les juges… Finalement, début juillet 2021, il s’est rendu et a été emprisonné. L’arrestation de Jacob Zuma a d’ailleurs mis le pays à feu et à sang.
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Jacob Zuma, âgé de 79 ans, a finalement été condamné à 15 mois de prison, avant d’être libéré en septembre pour raisons médicales. Et même si la Cour constitutionnelle a révoqué, en décembre dernier, sa liberté conditionnelle, il demeure barricadé dans son bastion du KwaZulu-Natal, protégé par des milliers de militants du Congrès national africain (ANC).
Un coup fatal pour l’ANC ?
Un contexte qui a rendu la vie difficile à l’actuel président Cyril Ramaphosa, issu également du parti historique de Nelson Mandela. Depuis 2016 déjà, Ramaphosa a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Or, les affaires de corruption ont touché Zuma, mais aussi des dizaines de responsables de l’ANC. Bien que le président sud-africain tente de se dissocier de l’aile du parti qui soutient Zuma, il ne gagne pas au change sur le plan de la popularité.
Alors que le calme commençait à peine à s’installer, les frères Gupta ont été arrêtés à Dubaï. De premier abord, la future extradition des hommes d’affaires serait une bonne nouvelle pour Pretoria. Mais pas pour Ramaphosa, qui voit de plus en plus l’effritement de l’ANC devenir une réalité.
Selon Al Jazeera, « l’Etat sud-africain doit faire preuve de prudence pour s’assurer que cette victoire ne se transforme pas en une occasion manquée, ou pire, le début d’une nouvelle période de violences politiques en Afrique du Sud ». Une hypothèse plus que crédible car l’extradition des Gupta en Afrique du Sud raviverait les flammes de l’affaire Zuma, mais aussi de la haine raciale, intrinsèquement liée à la crise politique.
L’ANC se tourne de plus en plus vers Thuli Madonsela
Deux personnes seulement sont sures de sortir gagnantes de la mise sous verrous des deux hommes d’affaires indiens. D’abord, la militante de l’ANC, ancienne médiatrice du parquet, l’avocate Thuli Madonsela. Madonsela a été à l’origine de l’affaire Zuma. Et si, au départ, sa lutte contre la corruption au sein de son propre parti a été accueillie favorablement, l’opinion publique lui impute aujourd’hui la destruction de l’ANC, autant que les massacres de l’été dernier.
Aujourd’hui simple universitaire, Thuli Madonsela est de plus en plus vue comme la future leader de l’ANC, surtout si l’affaire Zuma emporte Ramaphosa, accusé lui aussi de corruption par l’ancien chef des renseignements Arthur Fraser, dans sa chute.
Pour les militants de l’ANC, il s’agit donc surtout de trouver un moyen de sauver le parti dont les chefs historiques tombent en disgrâce un par un, et qui perd du terrain au bénéfice des Combattants pour la liberté économique (EFF), le parti de l’éternel révolutionnaire Julius Malema.
Une opportunité pour Julius Malema ?
Malema, lui, a su quitter l’ANC au bon moment, en 2012. Figure principale pour la jeunesse sud-africaine, et africaine en général, Julius Malema et l’EFF ne cessent de prendre du poids sur la scène politique. Or, Julius Malema est aussi l’ennemi de Thuli Madonsela, qui l’avait trainé devant la justice en 2012 pour des accusations de pots de vin.
C’est justement depuis cette histoire d’ailleurs que Julius Malema accuse fréquemment l’ANC de soutenir un retour du pouvoir de la minorité blanche en Afrique du Sud. Quant à l’affaire Zuma, c’était simplement du pain béni pour Julius Malema. En 2014, l’EFF a fait son entrée dans le pouvoir législatif avec 6% des sièges du Parlement. En 2019, le score a doublé. Et les derniers sondages montrent que Malema est de plus en plus populaire (62% de taux d’approbation), et pourrait devenir l’homme politique plus populaire d’Afrique du Sud.
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L’unique obstacle qui se dresse aujourd’hui face à Julius Malema est, en effet, son ancien parti. Le journaliste Romain Chanson note d’ailleurs que « c’est justement l’ANC que Julius Malema s’est donné pour mission de couler ».
Et, méthodiquement, Malema a multiplié les attaques contre le parti au pouvoir. Si l’ANC est donc à genoux aujourd’hui, et se trouve menacé par une future vague de violences résultant du retour forcé des Gupta en Afrique du Sud, cela propulserait sans doute Julius Malema au premier rang de la scène politique. A un peu plus d’un an des élections générales, l’homme au béret rouge deviendra-t-il le seul candidat crédible à pouvoir diriger le pays ?
Interrogé sur le sujet, Malema s’est d’ailleurs contenté de déclarer : « Montrez-moi les frères Gupta en prison d’abord, après on en parlera ! »