Même au pouvoir, Ousmane Sonko, le Premier ministre sénégalais, agit comme à l’époque où il était opposant. Le fondateur des Pastef veut-il le chaos ?
Au Sénégal, l’alliance autrefois solide entre le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko, cofondateur du parti Pastef, montre des signes de fracture. Lors d’un discours prononcé ce jeudi 10 juillet lors d’une réunion du parti, Sonko a critiqué son allié frontalement, fustigeant un manque de soutien et pointant une faille d’autorité au sommet de l’État. Cette prise de position publique révèle des failles profondes dans la gouvernance sénégalaise et soulève des questions sur l’avenir politique du pays. Il dit aussi beaucoup de la personnalité d’Ousmane Sonko.
Lors de la réunion des Pastef, Ousmane Sonko ne s’est pas retenu. Exprimant sa colère face à ce qu’il appelle « la haine et les attaques » dont il fait l’objet, il a dénoncé « un problème d’autorité » au sommet de l’État, pointant du doigt le silence complice du président Faye : « Il peut arrêter ces attaques […] quand il le souhaite. Pourquoi ne le fait-il pas ? », a-t-il lancé. Nous voici revenus à l’époque où Sonko se posait en victime lorsqu’il était accusé de viols. Sauf que, désormais, Sonko est Premier ministre du Sénégal. Et son attitude, forcément, interpelle. « Pourquoi notre parti n’a aucune réaction ? […] Certains créent des clans », s’est étonné Ousmane Sonko. Le malaise au sein des Pastef est palpable…
À l’origine de la dispute
Élu en mars 2024, Bassirou Diomaye Faye, loyal cadre des Pastef, a pris le pouvoir après l’inéligibilité de Sonko. Il nomme alors Sonko Premier ministre en avril, cimentant une alliance symbolique entre le président et son mentor. Ensemble, ils mènent des actions fortes pour consolider leur pouvoir : dissolution de l’Assemblée, législatives anticipées où les Pastef raflent la majorité absolue. Mais dans cette dynamique, les tensions s’accumulent : des critiques émergent sur le style de gouvernance de Faye — à la fois jugé trop prudent et autoritaire. En retour, Sonko est accusé par des militants et la société civile de museler la dissidence et de ne pas tenir certaines promesses. Les arrestations pour offense se poursuivent et Sonko, autrefois critique de Macky Sall pour un supposé musèlement de l’opposition, profite des lois pour installer son autorité.
L’étincelle est venue lorsque Sonko a qualifié d’« inadmissibles » ces attaques répétées envers lui, dénonçant la formation de « clans » au sein de PASTEF . Il accuse son propre parti — et implicitement le président — de ne rien faire pour arrêter des offensives. Cette critique révèle un malaise plus profond : la montée de pratiques jugées clientélistes, voire autoritaires, dans un parti censé incarner l’éthique et la fraternité. Des activistes et chroniqueurs hostiles à Sonko ou au pouvoir sont également visés : l’arrestation récente du journaliste radio Badara Gadiaga l’illustre. Un signe que, malgré ses déclarations progressistes, le gouvernement tolère peu la contestation médiatique, renforçant l’impression de dérive autoritaire.
Une dérive autoritaire ?
Ce face-à-face public entre deux figures clés du pouvoir signe une crise de confiance inédite. L’un accuse l’autre de laxisme, l’autre se retrouve piégé entre loyauté et préservation du calme institutionnel. Des analystes comme Moussa Diaw y voient des « divergences significatives au sommet de l’État ». D’autres estiment que Faye empêche Sonko de dérouler son plan, celui de rester coûte que coûte au pouvoir, malgré un bilan pour le moins mitigé. Cette tension s’inscrit dans un contexte plus large : des appels à la réforme constitutionnelle, un appareil législatif refondé par les Pastef, et une société civile exigeante. Le chef du gouvernement s’en prend à la faiblesse du président, tandis que ce dernier doit maintenir la stabilité d’un État fragile, d’autant que le duo Faye-Sonko semble naviguer à vue.
L’incident révèle une question essentielle : à qui appartient réellement le pouvoir exécutif ? Si Sonko incarne la force populaire des Pastef, il est toujours considéré comme un trublion de la politique. Faye, lui, incarne l’autorité institutionnelle. Et Sonko ne semble pas aimer l’autorité… Leur brouille risque de paralyser l’action gouvernementale et de diviser la majorité parlementaire. Dans un pays habitué à des transitions pacifiques, cette crise interne pourrait ouvrir la voie à un conflit institutionnel plus large. Le véritable enjeu reste la cohérence d’un programme de rupture : comment les Pastef peuvent-ils avancer s’ils sont minés de l’intérieur ? Et comment faire face aux défis de développement, de sécurité et d’emploi sans unité au sommet ?