Lors de la présidentielle sénégalaise, la participation massive des jeunes, cette fois-ci, a été salutaire : ils ont massivement voté et ont participé à sécuriser le vote.
Les Sénégalais se sont rendus aux urnes le 24 mars pour élire le président de la République. Les résultats provisoires non officiels placent le principal candidat de l’opposition, Bassirou Diomaye Faye, en tête avec plus de 57 % des suffrages, devant Amadou Ba, le candidat de la coalition au pouvoir, crédité de près de 30 %. il a reçu les félicitations de ses principaux concurrents et du président Macky Sall. Alassane Beye, enseignant en sciences politiques, spécialiste des questions électorales, revient pour The Conversation Afrique sur les résultats des élections.
Comment expliquez-vous les résultats de cette élection ?
L’explication des résultats n’est pas si simple parce que ces élections sont assez complexes et se sont déroulées dans un contexte particulier. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que l’élection remet en cause une dynamique structurelle dans l’expression territoriale du vote au Senegal. Cela veut dire qu’au Sénégal, l’élection présidentielle se déroulait ,jusqu’ici, d’une certaine manière. Si l’opposition avait la possibilité de gagner dans les grands centres urbains, le pouvoir restait maître dans les zones rurales. Donc, l’enseignement majeur qu’on tire de cette élection, c’est que cette dynamique structurelle a été complètement remise en question : les résultats de Bassirou Diomaye Faye sont en effet élevés dans le milieu urbain comme dans les espaces ruraux.
Les causes sont multiples. On peut noter que la victoire dans les centres urbains n’est pas quelque chose de nouveau. C’est ce qu’on observe depuis des années au Sénégal, notamment lors des élections présidentielles de 2000, 2007, 2012 et 2019. Les partis d’opposition ont gagné dans les centres urbains lors de ces scrutins, et cela s’explique par la configuration sociologique et économique des grands centres urbains. Les dynamiques de médiations électorales en oeuvre dans les zones rurales sont moins efficaces dans les zones urbaines. De plus, les attentes et exigences en terme d’emploi, de démocratie et de changement étaient plus marquées dans les zones urbaines.
Ce qui est extraordinaire et étonnant, c’est la percée de Bassirou Diomaye Faye dans les espaces périphériques, notamment dans le monde rural. C’est inédit dans l’histoire électorale du Sénégal. Si les explications de la victoire sont assez diverses, on peut essentiellement retenir deux causes. D’abord, c’est le besoin de changement qui s’est exprimé par un vote-sanction contre le pouvoir en place. Ce besoin de changement, qui était réel, s’est traduit dans les urnes. Ensuite, la conjoncture qui a joué un rôle important, à savoir la décision de reporter l’élection. Tous les événements qui se sont passés ont accentué la colère des Sénégalais et se sont soldés par ce vote-sanction.
L’élection a suscité un rare enthousiasme, avec un taux de participation de plus de 60 %. Comment expliquez cet engouement ?
Il faut toujours regarder dans une dynamique historique. Ce n’est pas la première fois aussi qu’on retrouve un taux de participation assez élevé de 60 % pour des elections preidentielles . Déjà, en 2007, Abdoulaye Wade avait gagné au premier tour avec un taux de participation 70,5 %. En 2019 aussi, le président Macky Sall l’avait emporté au premier tour avec un taux de participation de 66,23 %. Ce n’est donc pas nouveau d’observer un vote massif des Sénégalais lors d’un scrutin présidentiel.
Il y avait beaucoup d’inquiétudes et d’équations autour de ces élections par rapport au contexte de ramadan et de carême. Il y avait des interrogations concernant la mobilisation des électeurs. Il y a aussi le fait que la campagne électorale a été raccourcie, il y avait beaucoup d’inquiétudes sur la possibilité de voir les Sénégalais sortir pour voter massivement. Toutes ces inquiétudes ont été balayées et on a vu une participation massive des jeunes. Nous qui travaillons sur la sociologie électorale parvenons toujours à des conclusions fortes selon lesquelles les jeunes ne votent pas. La participation massive des jeunes, cette fois-ci, a été salutaire : ils ont massivement voté et ont participé à sécuriser le vote.
En outre, il faut retenir aussi le vote massif des personnes âgées et des femmes en faveur du changement ce qui est aussi un élément nouveau dans le contexte seneglais.
La conjoncture politique a accentué l’intérêt des Sénégalais pour l’institution électorale du fait des débats autour de ce report. Cet environnement a contribué à rendre attractive l’élection. Les Sénégalais se sont intéressés au processus électoral. Autre élément: depuis l’élection de 2019, le Sénégal est traversé par des crises. Il y a eu des morts. Depuis 2019, l’électeur sénégalais n’était pas impliqué dans le processus décisionnel et ce scrutin était une occasion en or pour lui de s’exprimer.
Quelles sont les premières mesures que Diomaye doit prendre en tant que président ?
Il ne faut pas chercher midi à 14 heures. Diomaye a présenté un programme, même si on dit souvent que les citoyens ne votent pas pour des programmes il est attendu sur des engagements qu’il a à prendre lors de la campagne. Il y a eu un débat sur des questions cruciales. Des engagements et le président Diomaye est attendu sur leur respect, à savoir une gouvernance de rupture. Parmi les premières mesures figure une rupture radicale par rapport à ce qui se faisait. La gouvernance de rupture consiste à faire autrement, notamment dans l’administration, la justice, la gestion des ressources. Il a parlé de la nécessité de valoriser les compétences, de faire un appel à candidatures pour les postes de responsabilité. On a vu, avec la seconde alternance de 2012 (sous Macky Sall, de 2012 à 2024), qu’il y a une politisation à outrance de l’administration donc il faut rompre avec ces pratiques.
Il est aussi attendu sur les ruptures nécessaires dans la gouvernance judiciaire et dans l’organisation du pouvoir exécutif caractérisé jusque là par un hyper-presidentialisme. Ce sont des éléments qu’on retrouve dans le programme de Diomaye Faye. Par rapport à l’instruction présidentielle, il évoque l’hyperprésidentialisme et la nécessité de réorganiser les pouvoirs du président de la République. Selon lui, il faut un équilibre consistant à diminuer ses pouvoirs et à renforcer soit le Premier ministre soit à créer le poste de vice-président.
Le maître mot, ce sont les ruptures radicales avec des pratiques qu’on observait depuis plus de 40 ans dans les instruments de régulation, dans la manière d’organiser et de gérer le pays. Le choix des électeurs pour Diomaye Faye repose sur des principes. Il repose sur l’attachement des Sénégalais aux valeurs et aux principes démocratiques. En conséquence, il doit y avoir des avancées et des actes forts qui doivent être posés dans la gouvernance institutionnelle et économique. Il faut réformer le design institutionnel, et Diomaye Faye a dit qu’il allait s’inspirer des conclusions de la Commission nationale de réformes des institutions (CNRI) et des Assises nationales. Les Assises nationales ont fait un travail important sur les réformes à apporter à l’architecture institutionnelle, sur l’équilibre des pouvoirs, les pouvoirs du président de la République, les pouvoirs du Parlement, l’indépendance de la justice, etc. Il est également très attendu sur la gouvernance économique pour des ruptures qu’il doit apporter très rapidement.
Alassane Bèye, enseignant chercheur, Université Gaston Berger
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.