Le leader du parti tunisien Ennahdha a débuté une grève de la faim, officiellement pour soutenir les prisonniers politiques. Cesser de se nourrir en prison, est-ce vraiment une arme politique qui fonctionne ?
Le chef de file d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, est en prison depuis avril dernier. Dix mois après son incarcération, le leader islamiste, âgé de 82 ans, s’est lancé dans une grève de la faim, « en solidarité avec les prisonniers en grève de la faim et pour soutenir tous les opposants dans les différentes prisons » tunisiennes. D’autres prisonniers sont en effet entrés en grève de la faim, en Tunisie, à l’instar de Jawhar Ben Mbarek ou d’Issam Chebbi, du Front du salut national, la coalition d’opposition. Ces deux-là dénoncent « des poursuites arbitraires sans fondement », autrement dit d’être des prisonniers politiques.
Mais une grève de la faim est-elle vraiment efficace ? Mbarek et Chebbi avaient déjà, en septembre dernier, entamé une grève de la faim pendant quelques jours. Sans donner des réels résultats. Si l’on trouve des traces du « jeûne de remontrance » dans les écrits d’il y a deux-mille ans, c’est Ghandi qui a été l’un des chantres de la grève de la faim, qu’il voyait comme une forme de protestation non violente.
Des grèves de la faim trop courtes
Bien après lui, plusieurs autres personnalités se sont essayées à des grèves de la faim. Le Français Juan Rémy Quignolot, arrêté en 2020 en Centrafrique pour des accusations d’espionnage, avait cessé de s’alimenter, mais aussi de boire. Cela avait permis d’accélérer le processus de libération. Le militant palestinien Khader Adnan, lui, a connu un destin plus tragique : l’an dernier, le membre du Jihad islamique a été le premier gréviste de la faim palestinien à mourir en prison depuis 1992.
Mais rares sont les cas où les grèves de la faim ont une efficacité. Ousmane Sonko, au Sénégal, a déjà fait deux grèves de la faim, qui ont respectivement duré 36 et 14 jours. Pour expliquer le fait que l’opposant politique sénégalais se nourrisse à nouveau, son avocat avait affirmé : « Il n’a jamais été dans une tendance suicidaire, il ne fallait pas qu’il épuise ses organes vitaux ».
Tenir pour négocier, une équation difficile
Dans les faits, la grève de la faim de prisonniers permet généralement de faire le buzz. Mais l’impact reste minime. « La grève de la faim a un statut un peu ambigu car c’est un mode d’action qui est souvent considéré comme individuel, résiduel, et donc peu comme un mouvement social et collectif », résume Johanna Siméant, auteure de « La grève de la faim ». Quelques exceptions ont cependant émaillé l’histoire, comme la grève de la faim lancée en 1920 par 180 membres de l’IRA, l’armée républicaine irlandaise, qui ont cessé de se nourrir pendant 94 jours.
Plus généralement, cesser de se nourrir reste une action individuelle, qui permet généralement aux prisonniers de dénoncer leurs conditions de détention. L’impact est relativement faible — en France, par exemple, près de 1 500 cas de grève de la faim ont lieu chaque année, dans un silence étourdissant. D’autant plus faible que très peu de protestataire tiennent assez de temps sans nourriture. « L’intérêt de la grève de la faim est qu’on a un risque de mort, mais qui s’étale sur 40 jours, voire 50, et c’est donc un temps qui laisse la place à la possible négociation », admet un spécialiste. Or, même les plus déterminés, comme Ousmane Sonko, ont bien du mal à laisser leur corps sans nourriture pendant plus d’un mois.