La réintégration par le président Abdelmadjid Tebboune d’un couplet de l’hymne algérien, évoquant le colonisateur français, fait polémique en France. Explications.
« Ô France ! Le temps des palabres est révolu. Nous l’avons clos comme on ferme un livre. Ô France ! Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes. Prépare-toi ! Voici notre réponse. Le verdict, notre révolution le rendra. Car nous avons décidé que l’Algérie vivra. Soyez-en témoin ! » Voilà un mois que le président algérien Abdelmadjid Tebboune a signé un décret qui rétablit un couplet jusque là supprimé de l’hymne national de l’Algérie. En 1986, ce couplet avait disparu de « Kassaman », l’hymne algérien, sur demande de Chadli Bendjedid, alors président de la République. Et en 2007, c’est Abdelaziz Bouteflika qui avait demandé que ce couplet soit définitivement retiré des manuels scolaires.
Un mois après la signature du décret, en France, c’est le branle-bas de combat. L’extrême droite française s’est en effet emparée de l’information, passée jusqu’ici inaperçue, pour estimer que l’Algérie provoquait la France. « Le grand air de la guerre, c’est reparti ! », écrit par exemple Marianne, magazine d’extrême droite. Suffisant pour provoquer une réponse officielle du gouvernement français. La ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a estimé « que cela peut apparaître à contretemps ». Tout en minimisant cependant la polémique. À propos du contenu de ce couplet, elle affirme en effet que « le contexte de l’époque l’explique ».
Un hymne écrit avec le sang d’un militant indépendantiste
C’est sans doute, d’ailleurs, la phrase la plus nuancée de la cheffe de la diplomatie française. Ne faut-il pas rappeler que l’hymne algérien a été écrit par Moufdi Zakaria, un poète algérien et militant indépendantiste, en 1955, soit huit ans avant qu’il ne soit adopté ? Selon la légende, Zakaria avait écrit les paroles sur les murs de sa cellule, dans laquelle il était emprisonné à cause de son appartenance au FLN, avec son sang. Les autres couplets parlent d’ailleurs, eux aussi, indirectement de la France. « Pour notre indépendance, nous sommes entrés en guerre », dit par exemple l’un d’eux. Rien d’anormal lorsque l’on connaît l’histoire de la colonisation de l’Algérie.
Et puis, critiquer l’hymne algérien parce qu’il serait trop guerrier, lorsque l’on diffuse « La Marseillaise » lors de chaque cérémonie officielle, c’est un peu gonflé ! Le vers « Qu’un sang impur abreuve nos sillons », de l’hymne français, a par exemple souvent été critiqué. Jean Jaurès voyait, dans ce couplet, un « propos abominable, car dès que les partis commencent à dire que le sang est impur qui coule dans les veines de leurs adversaires, ils se mettent à le répandre à flots et les révolutions deviennent des boucheries ».
La polémique française pose cependant plusieurs questions. A commencer par celle du non-respect de la souveraineté algérienne par Paris, d’abord. Un élu algérien demande à « la partie française de respecter la décision algérienne, il y a un passé douloureux entre les deux pays et l’hymne en exprime une partie, et cette douleur persiste jusqu’à maintenant ». L’homologue de Catherine Colonna, Ahmed Attaf, ironise lui en affirmant que la ministre française aurait « pu aussi critiquer la musique » si cette dernière « ne lui convenait pas. » La question de l’interprétation se pose également. Dans ce couplet, remis au goût du jour, « on parle de témoignage, on demande à la France de rendre des comptes, résume une source diplomatique. Parler de couplet anti-France, voire anti-français, est un peu simpliste ». Mais la presse française, dès qu’il s’agit de l’Algérie, aime ressortir le même refrain…