Ancien village de pêcheurs devenu station balnéaire dans les années 1970, Saly, au Sénégal, cherche des solutions au recul du tourisme international.
Saly : dans l’imaginaire de nombreux touristes et retraités européens, et notamment français, le nom même de cet ancien petit village côtier sénégalais, situé sur la Petite-Côte, à quelque 90 km au sud de Dakar, évoque le modèle typique de la station balnéaire.
Cette vision est désormais quelque peu dépassée. À Saly, la vie économique et sociale a longtemps reposé sur le dynamisme des complexes hôteliers et autres clubs de vacances célèbres gérés par les grands tour-opérateurs. Ce modèle qui s’essoufflait déjà a été profondément affecté par la pandémie de Covid-19. Certains hôtels historiques sont laissés à l’abandon, le principal restaurant est fermé et le centre commercial originel vivote.
Pour autant, loin de dépérir, la ville se transforme, attirant davantage la clientèle sénégalaise, tandis que les formes de la présence des Européens se transforment progressivement.
Le recul du tourisme de masse
La crise sanitaire mondiale de 2019 a incité les touristes de l’UE à opter pour des destinations moins éloignées que par le passé. Et cette tendance à un tourisme « de proximité » semble perdurer.
Les pratiques touristiques ont évolué vers de nouvelles formes, comme les Digital nomads (ces personnes qui choisissent de travailler à distance, souvent depuis un lieu de villégiature), qui correspondent moins aux standards du tourisme de masse. Les nouveaux voyageurs fréquentent moins les clubs et leurs besoins s’éloignent dorénavant de plus en plus du modèle « Sea, sun and sand ».
La pandémie a également généré une croissance du tourisme intérieur. Le Sénégal ayant été l’un des premiers pays à fermer ses frontières au moment de l’épidémie, les touristes sénégalais se sont réapproprié les espaces balnéaires côtiers désertés par les Européens. Certains hôteliers de prestations haut de gamme relatent qu’au moment des confinements, ils ont développé une offre promotionnelle essentiellement adressée à une clientèle dakaroise afin d’assurer un minimum d’activité dans leurs établissements.
La tendance a confirmé l’attrait, en nette augmentation depuis deux décennies, que suscitent les espaces côtiers chez les Dakarois. Chaque fin de semaine, l’accès à la seule plage de Saly qui soit dotée d’un parking, est pris d’assaut par des centaines de familles venant de Dakar et possédant une résidence secondaire ou séjournant en location dans des auberges alentour. Les habitants en profitent pour installer des gargotes éphémères où sont vendus poissons grillés, fruits et autres jus. Le temps d’un week-end, les Sénégalais semblent reprendre leurs droits, alors que durant la semaine cette plage est plutôt fréquentée par les touristes et résidents européens, voire leur est exclusivement réservée.
Nouvelles formes de présence européenne
Si le modèle de la station balnéaire dédiée au tourisme international semble avoir fait son temps, d’autres présences européennes se sont imposées localement. Dans un premier temps, Saly n’a pas échappé, à l’instar de nombreuses destinations des pays du Sud, à l’arrivée de Français retraités venus passer « l’hiver au chaud ». Pour les retraités célibataires, ces séjours longs sont parfois associés à la recherche d’un projet de vie en couple au Sénégal, de préférence avec un ou une partenaire plus jeune. Ces démarches sont assez fréquentes et pleinement assumées malgré le regard peu approbatif des populations locales, qui y voient parfois une pratique immorale compte tenu des grandes différences d’âge et de ressources.
Toujours est-il que le phénomène s’est développé depuis le début des années 2000 et se localise principalement dans une dizaine de résidences collectives fermées qui essaiment au sud de l’ancienne station balnéaire. L’autonomie de ces nouveaux résidents, par rapport à ceux des hôtels et clubs, a donné naissance à une nouvelle économie locale orientée vers l’accès à l’alimentation (multiplication des supermarchés, de grandes enseignes), vers des services résidentiels (femmes de ménage, gardiennage, piscinistes, etc.) et vers la restauration (bars, restaurants). Cette seconde forme de l’expansion de Saly semble aujourd’hui diluée à son tour par le développement de nouvelles extensions résidentielles vers le nord et vers le sud de la commune.
Au début des années 2020, de nouvelles implantations transforment le paysage local. Aux côtés des complexes hôteliers et des résidences collectives fermées pour retraités apparaissent de nouveaux espaces résidentiels construits de manière plus anarchique sur le modèle de la villa individuelle ou du groupement de villas. Ce mode d’expansion est dopé par l’arrivée plus récente d’entrepreneurs européens.
Armelle et Hervé (les prénoms ont été changés) se sont installés en location dans une villa meublée de bord de mer au moment du Covid pour fuir le confinement en France. Leur séjour les a décidés à venir s’installer définitivement à Saly. Ils ont laissé en gestion en France leur réseau de boutiques de prêt-à-porter pour venir développer de nouvelles entreprises au Sénégal. Après un premier achat immobilier sur la côte au nord de la station, ils envisagent aujourd’hui de déménager vers les extensions récentes d’un quartier au nom évocateur « La Piste des milliardaires », où les constructions se multiplient autour du golf, vers l’intérieur, en rognant sur les espaces de culture des villages environnants.
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De nombreux jeunes entrepreneurs ont rapidement cerné les besoins de consommation de cette nouvelle population huppée de Saly. Jean vient d’ouvrir un fast food sur l’artère principale de la ville. Ses hamburgers sont vendus aux prix que l’on retrouve en Europe avec des produits « bio » garantis « fraîcheur ». Il a bien ciblé sa clientèle. Le secteur dans lequel il exerce concentre essentiellement des résidents européens, principalement belges et français, et des résidents secondaires de l’élite dakaroise et libanaise. On retrouve également dans sa clientèle des Sénégalais anciennement émigrés de retour d’Europe. Ces derniers se sont approprié les pratiques touristiques des pays d’immigration et sont de plus en plus nombreux à investir dans l’immobilier sur la Petite Côte.
Avec le développement du modèle de la villa individuelle, qui rompt avec le modèle hôtelier classique, de nouvelles activités émergent dans différents domaines. On observe, par exemple, la multiplication des centres commerciaux. Sidy, qui a vécu 35 ans en France, a ainsi lancé son enseigne de grande distribution pour concurrencer les groupes internationaux qui ouvrent des magasins à travers tout le Sénégal et encore davantage à Saly. Jean a, lui, mis en place une offre de livraison de burgers à domicile pour diversifier la clientèle de son fast food. Ce modèle commercial occidental assez peu développé dans la région rencontre un franc succès. D’autres activités émergent sous l’effet des présences européennes. C’est le cas du padel, ce jeu de raquette importé d’Espagne, qui réunit en vase clos des adeptes exclusivement d’origine européenne.
L’évolution des paysages
Ces tendances récentes ont un impact notable sur les paysages. Elles se traduisent par la multiplication des chantiers de construction, participent à l’expansion rapide de la zone des villas tout en opérant la jonction au nord avec le front d’urbanisation dakarois. Cet axe (zone verte sur la carte) est principalement animé par les investissements provenant d’Européens et de la diaspora sénégalaise.
De nouvelles constructions sont en plein développement sur le littoral en direction de Ngaparou. Sur cet axe, l’urbanisation est continue jusqu’à Somone. C’est aussi dans le domaine des terres agricoles périphériques, en direction de l’intérieur (vers l’autoroute), que de grandes villas et résidences privées fleurissent. C’est ici que se trouve la « piste des milliardaires » évoquée plus haut.
Plus au sud et vers l’intérieur, l’expansion, également très rapide, est plutôt alimentée par les migrants originaires du Sénégal ou de la sous-région (Gambie, Guinée, Niger, Mali, Mauritanie). Ces derniers sont attirés par les perspectives d’emplois générés par ce développement local soudain et cherchent à s’installer à proximité de leur lieu de travail. Ils participent ainsi à l’urbanisation du quartier « Saly Carrefour » qui rejoint désormais la ville voisine de M’Bour (zone violette sur la carte).
Chaque matin, la route qui relie M’Bour à Saly est prise d’assaut par des taxis informels (nommés les « clandos ») qui acheminent les travailleurs domestiques vers les zones résidentielles. Ibrahim, embauché par des propriétaires français pour surveiller un groupement de 23 villas, doit prendre trois moyens de transport différents pour venir travailler. Cela représente plus d’une heure de transport et un quart de son maigre salaire (70 000 francs CFA par mois soir un peu plus de 100 euros) prélevé chaque mois pour rejoindre son lieu de travail, six jours sur sept.
D’une certaine manière, l’expansion rapide observée dans le secteur résidentiel aisé vers le nord de la commune et dans celui des extensions populaires vers l’est et vers le sud éloigne encore davantage les populations locales et européennes les unes des autres. Elle renforce ainsi la ségrégation et complique l’accès à l’emploi des travailleurs locaux qui ne disposent pas des ressources pour se loger sur place.
La dynamique d’expansion de Saly initialement stimulée par l’État dès les années 1970 à travers la promotion du tourisme balnéaire international, puis par la mise en place des grands projets d’infrastructures (nouvel aéroport, autoroute à péage) est aujourd’hui relayée par le foisonnement de nouveaux acteurs privés. Plusieurs modèles de présence européenne co-existent désormais : celui des complexes hôteliers en déclin, des résidences fermées pour seniors, des villas individuelles des entrepreneurs et de la diaspora sénégalaise. En marge, de nouveaux quartiers populaires se développent vers le sud et l’intérieur en lieu et place des anciens villages. De part et d’autre de l’ancien cœur de station, ces deux formes d’extension au contenu social très contrasté participent à la fabrique originale d’une ville satellite de Dakar devenue cosmopolite.
Sébastien Fleuret, Directeur de recherche au CNRS, géographe de la santé, Université d’Angers; David Lessault, Chargé de recherche au CNRS, spécialiste des migrations et mobilités internationales, Université d’Angers, and Pape Sakho, Maître de conférences CAMES, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.