Les opposants politiques appellent l’UGTT, le principal syndicat du pays, à les rejoindre pour lutter contre Kaïs Saïed. Mais la centrale syndicale est, pour l’heure, décidée à jouer sa propre partition.
Alors que l’homme politique tunisien Mohamed Brahmi venait d’être assassiné,en juillet 2013, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), la puissante centrale syndicale du pays, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTIC), le patronat tunisien, le Conseil de l’Ordre national des avocats de Tunisie et la Ligue tunisienne des droits de l’homme lançaient un grand dialogue national. En 2015, le quartet obtenait le Prix Nobel de la paix pour son action. Mais en réalité, c’est l’UGTT qui, à l’époque, avait été à l’origine de cet événement, en appelant à un dialogue national quatre jours après l’assassinat de Brahmi.
En Tunisie, on ne le sait que trop bien : l’UGTT a longtemps fait la pluie et le beau temps. Depuis le « Jeudi noir » de janvier 1978 et la grève générale qui avait paralysé tout le pays, mais aussi vaciller un pouvoir pourtant solidement installé, les syndicalistes ont eu l’habitude de jouer les trouble-fête en politique. De Farhat Hached à Habib Achour, les leaders de l’UGTT ont toujours eu une place à part en Tunisie. Surpassant parfois, de par leurs actions, les partis d’opposition.
Le rôle de l’UGTT dans les luttes populaires
La révolution de 2011 a d’ailleurs été en partie réussie grâce à l’UGTT. « Jamais un syndicat au Maghreb et au Proche-Orient n’a eu un rôle politique aussi important que celui de l’UGTT dans la révolution tunisienne. Dès le début du soulèvement à Kasserine, Thala et Sidi Bouzid, les locaux des unions régionales ont servi de quartier général aux manifestants, les dirigeants régionaux mettant à leur disposition tous les moyens de la centrale et soutenant leurs revendications », résume Najet Mizouni.
Sa toute puissance, l’UGTT la doit en partie à son omniprésence dans tous les secteurs de l’économie. Habib Achour disait de sa centrale syndicale qu’« elle rassemble de l’éboueur en passant par le métallo jusqu’au médecin hospitalo-universitaire et aux professeurs des universités ». Mais aussi à son histoire : son rôle dans l’indépendance n’est pas négligeable, et personne en Tunisie, ou presque, ne l’a oublié. Enfin, l’UGTT a souvent été proche du peuple, s’opposant au Néo-Destour et militant pour la démocratie.
Près de huit décennies après sa création, l’UGTT a-t-elle encore un rôle à jouer ? Assurément. Le désintérêt des électeurs pour la politique est flagrant : ce dimanche a eu lieu le second tour des législatives et le constat est terrible. En effet, avec des circonscriptions sans candidats connus et une désorganisation totale, le taux d’abstention a atteint près de 90 %. Un triste record qui montre que les Tunisiens auront bien du mal à se tourner vers les formations politiques classiques, que ce soit celle au pouvoir ou celles de l’opposition.
L’appel du pied du Front de salut national
L’opposant historique Ahmed Nejib Chebbi l’a compris : le patron du Front de salut national (FSN), une coalition de plusieurs partis d’opposition, dont les islamistes d’Ennahdha, a lancé un message à l’UGTT en lui demandant de « travailler main dans la main pour créer le changement par le départ de Kaïs Saïed et aller à une élection présidentielle anticipée ».
Reste désormais à savoir comment réagira la centrale syndicale, absente des manifestations du 14 janvier dernier, qui commémoraient la chute de Ben Ali. La raison ? L’UGTT ne voulait pas être associée aux partis politiques qui étaient descendus dans la rue. Autant dire qu’une alliance avec le FSN n’est pas forcément à l’ordre du jour. Mais son combat contre Kaïs Saïed pourrait une nouvelle fois passer par elle. L’UGTT prendra-t-elle les commandes de la lutte, comme en 2011 ou en 2013 ? Quoi qu’il arrive, la centrale ne devrait pas participer à un dialogue national proposé par Kaïs Saïed. La seule solution sera donc la confrontation. Et nul ne sait, aujourd’hui, quelles en seront les conséquences…