Plus de 32 000 personnes trouvent la mort chaque année en Afrique à la suite de morsures de serpent. Beaucoup de gens mordus par des serpents recourent à des guérisseurs, les hôpitaux manquant d’antivenins.
Plus de 32 000 personnes trouvent la mort chaque année en Afrique sub-Saharienne à la suite de morsures de serpent, selon une étude publiée en septembre 2017 dans la revue Nature.
Cette étude venait en quelque sorte corroborer l’action de l’OMS qui, en avril de la même année, avait ajouté l’envenimation par les serpents à la liste des maladies tropicales négligées prioritaires.
L’objectif, qui s’inspirait de la stratégie du groupe de travail de l’OMS sur les morsures de serpent étant de réduire de 50% les conséquences des morsures de serpent (décès et handicaps) d’ici 2030.
Les premiers concernés par cette mesure étant les habitants des régions pauvres et rurales dans les pays en développement.
Dans une nouvelle étude dite One Health (une seule santé), publiée en juin 2022, une équipe de chercheurs a analysé les expériences de victimes de morsures de serpent en matière d’accès aux soins formels (à l’hôpital) et informels (chez les guérisseurs traditionnels).
L’étude s’intéresse aussi aux circonstances, par exemple les activités durant lesquelles les victimes ont été attaquées par le serpent.
Si on ne dispose pas de chiffres concernant les morsures de serpent au Rwanda, selon un modèle basé sur des données régionales, il y aurait chaque année dans le pays 4172 cas de morsures de serpent, entraînant 196 morts.
Janna M. Schurer, auteure principale de la nouvelle étude, indique que ses collègues et elle-même ont mené cette étude pour mieux comprendre comment les personnes interagissaient avec les serpents dans des environnements partagés, pourquoi elles avaient été mordues, et les raisons de leurs choix de se faire soigner par un guérisseur traditionnel ou dans un hôpital.
Cette étude a été réalisée pendant la pandémie de COVID-19. En conséquence, le principal obstacle a été d’entrer en contact avec des victimes de morsures de serpent et de trouver des moyens pour communiquer avec elles à distance.
La chercheure ajoute que « par le passé nous avons utilisé les dossiers des hôpitaux pour les patients EPS[1]. En ce qui concerne le cadre temporel, nous nous sommes limités à 2017 et 2018. Dans cette étude de suivi, nous avons recruté des patients de l’étude initiale, mais nous avons prolongé le cadre temporel pour pouvoir recueillir le point de vue de victimes qui ne sont pas allées à l’hôpital. »
Pratiques dangereuses
Le Rwanda compte treize serpents venimeux considérés comme un problème de santé publique, dont le cobra cracheur à cou noir, le serpent oiseau, le cobra d’eau, le cobra des forêts, ou encore le pseudohaje goldii.
Il y a également les vipères bouffées dont plus de 50% des envenimations graves qui ne sont pas traitées entraînent la mort ; et dont le serpent adulte peut avoir suffisamment de venin pour tuer jusqu’à cinq personnes.
Le mamba de Jameson qui est aussi un serpent très venimeux, le serpent de vigne forestier, le mamba noir… sont aussi quelques-uns de ces serpents dont le venin entraîne une paralysie, des difficultés respiratoires. Dans la plupart des cas, des personnes sont attaquées sur la voie publique ou sur des sites agricoles.
Les venins de serpents ont des compositions qui varient, et les manifestations cliniques vont des lésions du tissu local et des saignements à la cardiotoxicité et à la paralysie respiratoire.
« J’ai été surprise par le nombre de victimes qui ont été l’objet de pratiques non sûres, où l’on fait des entailles sur la blessure, où on la brûle. Ces pratiques sont dangereuses car elles retardent l’accès au traitement et peuvent aggraver la situation. Chaque minute compte une fois qu’une personne a été mordue par un serpent venimeux », souligne Janna M. Schurer, par ailleurs maître de conférences au Centre « One Health » de l’University of Global Health Equity (Université de l’équité en santé mondiale) basée au Rwanda.
Les morsures de serpent non traitées peuvent entraîner des lésions organiques très graves, une perturbation des fonctions organiques et, bien sûr, la mort. Comme SciDev.Net l’a rapporté dans un dossier publié en 2018, on pense que les morsures de serpent accentuent la vulnérabilité des femmes et des enfants.
Médecine traditionnelle
Sur 363 patients qui ont demandé à être soignés en milieu hospitalier entre 2017 et 2018, 116 ont donné un numéro de téléphone et 56 ont accepté de prendre part à l’étude dirigée par Janna M. Schurer.
Des agents de santé communautaire ont aussi recruté neuf patients supplémentaires qui ont demandé à être soignés en milieu hospitalier et 40 qui ont fait confiance aux guérisseurs traditionnels.
Au total, les chercheurs ont donc interviewé 65 personnes qui ont demandé à être soignées en milieu hospitalier, dont plus de la moitié étaient des femmes.
Pour ce qui est des patients qui ont choisi la médecine traditionnelle, il y avait 40 victimes qui ont eu recours à un guérisseur. La majorité de ce deuxième groupe étaient des hommes.
Janna M. Schurer explique que « cette étude est d’une importance capitale pour comprendre pourquoi de nombreuses victimes de morsures de serpent consultent des guérisseurs traditionnels plutôt que des médecins et ce que nous pouvons faire pour modifier ce comportement. »
« Nous avons aussi identifié des pratiques de premiers soins nocives qui peuvent être prises en compte dans des campagnes d’information sur la prévention et la gestion des morsures de serpent. Si on veut développer des interventions fondées sur des données factuelles qui réduisent la fréquence et la gravité de l’envenimation par les serpents, nous devons comprendre pourquoi et où les gens sont mordus. »
Rupture de stock
À en juger par les réponses des participants, dans la plupart des cas, ils ont tout de suite demandé des soins informels et formels. Dans certains cas, ceux qui ont demandé assistance dans un hôpital sont ensuite allés voir un guérisseur traditionnel. Enfin, certains ont attendu que leurs symptômes empirent. D’autres n’ont eu que des prières…
Un des participants de l’étude a par exemple rapporté que « la seule aide que j’ai reçue a pris la forme de prières. Des chrétiens sont venus et ont prié pour moi, même le pasteur est venu. »
Un des patients s’est d’abord rendu à un hôpital : « Après mon arrivée à l’hôpital, on n’a pas pris soin de moi correctement. J’ai pris un comprimé qu’ils m’ont donné, mais je n’ai pas eu de piqûre car ils étaient en rupture de stock. Alors ils m’ont envoyé à une pharmacie en dehors de l’hôpital pour acheter ces piqûres. J’ai payé pour ces piqûres et j’ai attendu tellement longtemps qu’il était trop tard. Je me suis dit que je pouvais mourir… J’ai décidé de quitter l’hôpital et je suis allé voir des guérisseurs traditionnels pour demander leur aide. »
Un autre a cherché à être traité à l’hôpital lorsque la médecine traditionnelle n’a pas livré de résultats concrets : « Je me suis précipité vers le guérisseur traditionnel qui a dit être spécialiste des traitements pour les victimes des morsures de serpent. Mais il ne m’a pas aidé. Je suis rentré chez moi le soir. Je suis devenu gravement malade, et j’avais l’impression que j’allais mourir. J’ai donc décidé d’aller à l’hôpital ».
Lorsqu’il s’agit de couvrir les frais médicaux, les patients ont recours à leurs économies, font des emprunts, ou, comme l’a confié un des patients « nous avons vendu notre vache pour payer l’hôpital », confie un des participants à l’étude.
Délais entre la morsure et le traitement
Janna M. Schurer note que « les revenus des agriculteurs dépendent de leur bétail. Lorsque le bétail doit être vendu pour régler des factures médicales ou si les animaux eux-mêmes sont victimes d’une morsure de serpent, la famille va en pâtir. »
Les résultats de l’étude ont démontré que ceux qui ont demandé à être traités en milieu hospitalier étaient généralement satisfaits des soins qu’ils ont reçus ; mais aussi que dans la plupart des cas, les serpents les ont attaqués sur des voies publiques, sur des sites agricoles, voire à leur domicile, et qu’ils n’étaient pas en mesure d’identifier le serpent.
Les délais entre la morsure et le traitement présentent un énorme problème. Les principales causes des retards sont les distances et les ambulances qui ne peuvent pas transférer les patients.
Peter S. Larson, chercheur postdoctoral à l’université du Michigan est l’auteur de l’étude intitulée : « Profils des victimes de morsures de serpent et comportement en matière de recherche de traitement dans deux régions du Kenya : résultats d’un système de surveillance démographique ».
Il s’est intéressé aux morsures de serpent lorsqu’il a commencé à rencontrer des personnes gravement blessées alors qu’il travaillait sur le terrain sur des projets portant sur d’autres questions de santé publique.
Selon lui « les études sur les morsures de serpent sont particulièrement importantes pour l’Afrique de l’est, étant donné que pratiquement tout le monde dans les zones rurales est exposé à un certain risque de morsures de toutes sortes d’espèces venimeuses de serpents ».
« Vu le haut risque et les problèmes d’accès à des options appropriées de traitement pour des raisons d’infrastructures ou financières, la question est hautement importante pour la région », ajoute-t-il.
Contexte culturel
Peter S. Larson précise par ailleurs qu’à long terme, les études de ce type ont un rôle important à jouer en encourageant les décideurs au plan local et national à travailler de façon proactive avec les communautés locales pour que les morsures soient signalées lorsqu’elles ont lieu et pour encourager les individus à se rendre à des centres de soins formels dès que possible.
Nicklaus Brandehoff, maître de conférences en médecine clinique d’urgence à la faculté de médecine de l’université du Colorado (Etats-Unis) est également président et directeur médical de la Fondation Esculape pour les morsures de serpent.
Pour ce dernier qui n’a pas collaboré à cette étude, ce travail montre l’efficacité d’un bon traitement en milieu hospitalier et montre que les patients sont satisfaits d’être traités dans un hôpital.
Par ailleurs, les guérisseurs traditionnels sont bien intégrés au contexte culturel pour les traitements, même si bon nombre de leurs interventions sont inefficaces et peuvent même faire plus de tort que de bien.
« Ceci est une des premières études que j’ai vues où l’on a mesuré la satisfaction des patients et démontré que les patients donnaient un score de satisfaction plus élevé aux hôpitaux qu’aux guérisseurs traditionnels. L’ OMS et les organisations locales cherchent à recueillir le plus d’informations possibles, mais tout le monde qui travaille dans ce domaine sait qu’il y a un nombre important de morsures qui ne sont jamais officiellement recensées », analyse Nicklaus Brandehoff.
Situation grave
Quant à Johan Marais, directeur de l’African Snakebite Institute (Institut africain pour les morsures de serpent) et spécialiste en herpétologie avec plus de 40 ans d’expérience, si les chiffres de l’OMS sont les plus fiables dont on dispose, la situation pourrait bien être beaucoup plus grave ; car il est difficile de recueillir de bonnes données.
« Beaucoup de victimes des morsures de serpent meurent puis sont enterrées et on ne sait rien de ces cas, dit-il. Environ 80% des victimes qui ont des symptômes ont des symptômes cytotoxiques[2] légers, à savoir un peu de douleur et d’enflure localisée. », dit-il.
Cette même source ajoute que « environ 10% des victimes de morsures de serpent qui sont hospitalisées ont besoin d’un antivenin et il est important de l’administrer au plus tôt. Mais cela revient très cher et l’antivenin seul, par traitement, peut couter de 1000 à 2000 dollars en Afrique. Il n’est pas en libre accès et beaucoup d’hôpitaux ne l’ont pas en stock. »
« Cela étant, l’antivenin sauve des vies et, s’il est administré rapidement, il pourrait mener à une réduction spectaculaire des lésions de tissu dans le cas des morsures du cobra cracheur à cou noir ou de la vipère heurtante », remarque Johan Marais.
« Mais, regrette ce dernier, il est rare que les victimes accèdent à des soins en milieu hospitalier. Car, en Afrique, le temps moyen qui s’écoule entre une morsure et une hospitalisation est de cinq à seize heures. À ce stade-là, il y aura des lésions de tissu dans les cas graves et cela donne souvent lieu à des séjours prolongés à l’hôpital et à des interventions chirurgicales. »
Ressources
« Maintenant que l’envenimation par les serpents a été ajoutée à la liste des maladies tropicales négligées, le sujet fait l’objet d’une attention bien méritée sur le plan global », rechérit Janna M. Schurer.
« Il nous faut plus de ressources pour développer des solutions au conflit humains/serpents et pour trouver une solution à la crise globale des antivenins. Il y a actuellement une pénurie globale d’antivenins sûrs, appropriés et disponibles à un prix abordable, surtout en Afrique sub-Saharienne », ajoute la chercheure.
Janna M. Schurer poursuit en disant que « c’est un problème majeur bien connu en matière de gestion des patients. L’envenimation par les serpents est sous-déclarée. Il y a aussi un déficit de financement et une insuffisance de travaux de recherche. »
« Les premières victimes sont des personnes qui sont marginalisées en raison d’autres facteurs tels que la pauvreté ou le fait qu’elles sont loin des grands centres urbains. Cela explique probablement pourquoi il y a eu peu de recherches sur ce sujet par le passé au Rwanda. »
Sur la question de savoir quelle est la meilleure solution pour fournir un traitement de qualité contre les morsures de serpent aux habitants des régions rurales du Rwanda, et par où commencer, Nicklaus Brandehoff explique que la solution la plus simple consiste à donner une formation au traitement de base au profit des fournisseurs de soins de santé dans ces régions et de s’assurer que des antivenins sûrs, à prix abordable et efficaces y sont disponibles.
Coopération internationale
Selon son analyse, si la qualité des soins s’améliore au fil du temps, de plus en plus de gens verront qu’il est de leur intérêt de chercher à se faire soigner dans ces institutions.
Malheureusement, dit-il, même des petits contretemps comme une brève rupture de stocks d’antivenins, ou le manque de formations adéquates pour les professionnels de la santé, peuvent entraîner une perte de confiance du public et l’amener à se tourner de nouveau vers les guérisseurs traditionnels pour la fourniture de soins.
Cette confiance devra alors être rétablie à travers des stratégies de traitement cohérentes et un accès aux antivenins. Il faut une approche de santé publique pour expliquer aux populations comment vivre avec des serpents dans leurs communautés, reconnaitre les signes d’une morsure de serpent et où amener les gens quand ils ont été mordus.
« Mon avis personnel est qu’il faut commencer par éduquer les enfants dès le plus jeune âge avant que la peur profonde des serpents ne se développe en eux. L’intégration des guérisseurs traditionnels au processus d’orientation vers les hôpitaux présenterait d’énormes avantages », reconnaît Nicklaus Brandehoff dans un entretien avec SciDev.Net.
Il poursuit en disant que « cette mesure est cependant très complexe à prendre en raison des conséquences culturelles et financières pour les guérisseurs s’ils commencent à perdre des patients.
La coopération internationale est très importante. Même si les approches efficaces seront différentes d’une région à l’autre, si on peut apprendre les uns des autres ce qui marche et ce qui ne marche pas, et les meilleures approches pour différents problèmes, cela permettra de minimiser les dépenses financières et l’effort nécessaire pour étudier les impacts sur la santé publique et les résultats cliniques ».
Stratégies
Pour Nicklaus Brandehoff, « si plusieurs pays qui manqueraient potentiellement de ressources pouvaient travailler ensemble pour soutenir la production locale d’antivenins, un pourcentage significatif de patients locaux bénéficieraient de meilleurs soins dans leurs propres pays. Cela permettrait non seulement d’alléger le fardeau médical mais aussi d’améliorer la productivité économique totale de ces nations ».
Selon Janna M. Schurer, « il y a plusieurs stratégies que les gens peuvent employer pour éviter les morsures de serpent à l’intérieur des bâtiments. Par exemple, régulièrement faire le ménage pour éviter que les rongeurs soient attirés par des déchets ou des stocks d’aliments, bloquer l’accès aux trous par lesquels les rongeurs et les serpents peuvent passer, débroussailler autour de la maison, éviter de dormir à même le sol, avoir recours à une moustiquaire bien enfilée sous le lit quand on dort, et s’assurer que l’espace est bien éclairé. »
A en croire cette dernière, les fournisseurs de services de santé reçoivent régulièrement une formation continue pour améliorer leur performance dans des domaines clés. On pourrait dans ce cadre soutenir les personnes qui offrent des soins aux humains et aux animaux afin d’améliorer les résultats pour les patients.
La chercheuse explique par ailleurs qu’il est extrêmement difficile de modifier les croyances et les comportements autour des choix concernant le lieu où les soins sont obtenus.
Elle estime qu’il est nécessaire d’inclure les victimes des morsures de serpent dans les messages adressés au public et d’utiliser leurs histoires et leurs expériences pour convaincre d’autres que les hôpitaux sont les mieux à même de traiter les morsures de serpent.
On porte un intérêt vif, aussi bien au niveau local que global, à l’éducation des populations vulnérables sur la prévention des morsures de serpent. Le centre « One Health » collabore actuellement avec le gouvernement du Rwanda et des partenaires internationaux en vue de développer des outils éducatifs qui vont d’avantage sensibiliser les populations à cette question.
Dans les régions endémiques, les habitants savent que l’envenimation par les serpents est un problème majeur. « Nous devrions nous assurer que tous les individus à risque élevé d’être mordus par un serpent reçoivent des informations sur la prévention des morsures et les lieux où ils peuvent avoir accès aux soins s’ils sont mordus », indique Janna M. Schurer.
Morbidité
De l’avis de Johan Marais, nous n’avons guère fait de progrès au niveau de notre compréhension de précisément comment les gens sont mordus (85% des morsures sont au-dessous du genou) et de ce que nous pouvons faire pour réduire le nombre de cas.
« Nous devons éduquer les gens concernant les serpents, leur comportement et comment ils devraient réagir quand ils les rencontrent. Mais la plupart des morsures surviennent la nuit quand les humains leur marchent dessus », dit-il.
« L’OMS a déclaré que les morsures de serpent sont une maladie tropicale négligée et veut réduire les morts des suites d’envenimation par un serpent de 50% d’ici huit ans. Mais cela ne tient pas compte de la morbidité et un agriculteur pauvre qui perd sa main après une morsure de serpent ne peut pas nourrir sa famille élargie » ajoute Johan Marais.
Dès lors, pour ce dernier, la prochaine question est celle de la disponibilité d’antivenins à des prix abordables et suffisamment de médecins qui savent comment traiter les morsures de serpent.
Cet article a été publié sur la version française de SciDev.net et est reproduit avec leur autorisation.