Plus d’un mois après le début de la crise diplomatique entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, due notamment au soutien rwandais aux rebelles M23, les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame se rencontrent ce mercredi à Luanda, en Angola.
Le 20 juin dernier, le Sommet de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) a été particulièrement tendu pour les chefs d’Etat présents. Une rencontre qui était destinée à stabiliser l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Mais si le bloc s’est accordé pour déployer une force militaire dans la région, le Rwanda avait été, sans surprise, exclu.
Car, justement, depuis mai, l’état-major de RDC, suivi par le gouvernement, accuse le Rwanda de soutenir activement le mouvement rebelle M23. Ce groupe, en hibernation depuis 2013, a repris depuis quelques mois les attentats dans la région du lac Kivu.
Le président d’Angola, João Lourenço, avait été chargé d’effectuer la médiation entre ses homologues Félix Tshisekedi et Paul Kagame par l’Union africaine. Il avait réussi à convaincre Kinshasa de relâcher deux soldats rwandais détenus en RDC. Mais depuis, les choses ont dégénéré.
En effet, si l’on en croit les Nations unies, la RDC et ses forces armées (FARDC), ainsi que la société civile congolaise, le Rwanda ne se contente plus de soutenir logistiquement le M23. Des forces spéciales rwandaises auraient en effet été déployées dans l’est de la RDC. Et la puissance de l’offensive du M23, qui occupe littéralement une partie du Nord-Kivu, ne cesse de prendre de l’ampleur.
Sur le plan diplomatique, donc, João Lourenço tentera de réconcilier Tshisekedi et Kagame avant que ce qui se limite aujourd’hui à de simples escarmouches ne se transforme en véritable guerre entre les pays voisins.
Un casse-tête pour Tshisekedi
Le pari est loin d’être gagné. Non pas que João Lourenço manque de persuasion ou de moyens de pression. Mais surtout parce que Kagame et Tshisekedi — surtout ce dernier d’ailleurs — sont au pied du mur vis-à-vis de leurs propres pays et de l’image qu’ils projettent.
Pour Paul Kagame, il y a l’enjeu de la puissance militaire rwandaise, qui soutient son règne qui dure désormais depuis 22 ans. Cette image « d’homme fort » de Kagame lui a permis de gagner la confiance d’une grande partie de ses concitoyens et de profiter de la paix dans son pays pour renforcer sa position. Ce qui n’était pas gagné d’avance, Kagame est arrivé au pouvoir après l’un des pires génocides de l’Histoire et avait personnellement participé à l’invasion du Zaïre et au renversement de Mobutu. Une guerre dont il a profité pour persécuter les Hutus rwandais et congolais, et établir une influence indéniable dans l’Est de la RDC.
Du côté de Tshisekedi, qui a absolument tout fait pour réconcilier Kinshasa avec Kigali, le président congolais doit composer avec ses propres concitoyens, qui ne comprennent pas l’implication du Rwanda dans l’offensive du M23. Un élan nationaliste s’est emparé des peuples congolais : une dizaine de partis et de mouvements ont d’ailleurs mis Tshisekedi en garde, l’exhortant « de ne pas engager la République dans des accords supplémentaires qui mettraient davantage en péril la souveraineté économique et territoriale du pays ». On peut également croire que l’armée congolaise est du même avis.
Mais Félix Tshisekedi sait aussi pertinemment que l’escalade ne joue pas en sa faveur. Le gouvernement congolais a déjà explicitement exigé une condamnation internationale du Rwanda. Sans grand succès : seuls les Etats-Unis et les Nations unies l’ont fait, et de manière très équivoque.
La Russie lorgne du côté de Kinshasa
Le Conseil de sécurité de l’ONU avait, fin juin, reconduit son embargo sur les armes contre la RDC, avant de le lever partiellement le lendemain. Une position ambigüe alors que la France, les Etats-Unis et Londres sont en désaccord sur la question.
En effet, la Russie porte une attention particulière à la situation en RDC et ne cache pas son ambition de s’introduire dans la brèche. Le 21 juin dernier, Moscou a reçu le nouvel ambassadeur congolais Ivan Vangu Ngimbi. Et depuis quelques jours, le chargé d’affaires russe à Kinshasa, Victor Tokmakov, multiplie les rencontres avec les officiels congolais.
Kinshasa sait pertinemment que la Russie est l’une des rares puissances mondiales à avoir tout à gagner à fournir la RDC en armes malgré l’embargo, et sans risque de fâcher Kagame outre mesure — le Rwanda et la Russie travaillent en parfaite harmonie en RCA. La RDC détient de bonnes réserves de devises occidentales, et Moscou a l’infrastructure nécessaire (depuis l’Angola, le Mozambique, la Centrafrique ou le Sud-Soudan) pour exporter du matériel aux FARDC.
Sur l’autre rive, les Occidentaux n’ont que très peu d’arguments pour convaincre Kinshasa. Aucune puissance occidentale ne risquerait de provoquer Kagame ou de s’ingérer dans une crise diplomatique concernant le Rwanda. Mais en plus, depuis la poussée chinoise et américaine dans le secteur minier en RDC, les Européens en particulier n’ont que peu d’intérêts au Congo.
Lourenço en arbitre entre Tshisekedi et Kagame
Ainsi donc, João Lourenço aura fort à faire pour trouver un compromis entre Kagame et Tshisekedi. Pour les deux chefs d’Etat, cette crise ne les empêchera pas de discuter. On l’a vu lors du Sommet de l’EAC, les tensions existent, mais après plus de trois ans d’un mandat axé sur la diplomatie, Tshisekedi sait « danser sous la pluie ». Quant à Kagame, son approche hostile est confortée par son influence dans la région. De surcroît, malgré leurs efforts, les FARDC sont en train de perdre sur le plan militaire. Et le risque de voir Kinshasa privée du soutien des 20 000 Casques bleus dans l’est du pays est de plus en plus crédible.
Néanmoins, le médiateur de l’UA a un atout dans sa manche. João Lourenço et son homologue mozambicain Filipe Nyusi, extrêmement proches, pourraient convaincre Kagame comme Tshisekedi de faire un accord officieux. Ce qui permettrait aux deux voisins de garder la face.
En effet, Nyusi sait que Kagame convoite grandement les ressources minières dans le nord du Mozambique dont il a accordé l’exploitation au Rwanda. Quant à João Lourenço, des frontières poreuses le séparent de la RDC, et la crise migratoire est prioritaire pour l’élite kinoise, même par rapport à la menace sécuritaire dans l’Est.
Ce sera donc entre backchanneling et intérêts stratégiques que se déroulera la rencontre de mercredi entre Kagame et Tshisekedi. João Lourenço, préoccupé par sa propre réélection en Angola le mois prochain, est susceptible d’y mettre les moyens.