Les meurtres de manifestants se poursuivent au Soudan, où les populations s’opposent aux militaires. Pendant ce temps, al-Burhan renforce sa position, adoubé par le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et conforté par le silence de la communauté internationale et de l’Union africaine.
Au moins 118 manifestants, dont 18 enfants, ont été tués depuis le coup d’Etat au Soudan en octobre dernier. Entre jeudi et dimanche, 13 civils ont été abattus par les forces de l’ordre à Khartoum. Les ONG dénoncent des crimes contre l’humanité : exécutions sommaires, détention illégale et viols d’opposants.
Le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), dont la cheffe Michelle Bachelet s’est dite « alarmée », a demandé l’ouverture d’une « enquête indépendante ».
Mais du côté des Etats africains comme étrangers, ainsi que des autres institutions internationales, les manifestations au Soudan ne semblent émouvoir personne. L’Union africaine (UA) a, certes, appelé au dialogue entre le Soudan et l’Ethiopie après les escarmouches frontalières entre les soldats des deux pays. Mais les instances occidentales, elles, semblent plus préoccupées par la reprise des combats au Darfour.
L’Egypte, de son côté, continue à mettre la pression sur la junte soudanaise, la maintenant dans son giron pour participer à la crise diplomatique avec l’Ethiopie, alors que l’on assistera prochainement au troisième remplissage du barrage éthiopien de la Renaissance (GERD). Le leader militaire du Soudan, Abdel Fattah al-Burhan, lui, semble vouloir imiter son voisin du nord, Abdel Fattah al-Sissi.
Soudan et Egypte, même propagande ?
En effet, qu’al-Burhan ne soit pas inquiété par la « communauté internationale » rappelle le coup d’Etat d’al-Sissi à bien des égards. En Egypte, en 2013, le meurtre de milliers de manifestants n’avait pas empêché les pays étrangers d’aider al-Sissi à se maintenir au pouvoir. Al-Burhan semble avoir emprunté le même chemin.
La junte du Soudan a, en revanche, rejeté la faute des meurtres des opposants sur « des groupes armés du Darfour ». Pourtant, les vidéos montrent bien des policiers et des soldats ouvrant le feu sur les opposants, notamment pendant les marches de ce weekend.
Human Rights Watch (HRW) a déclaré : « La communauté internationale doit être solidaire du peuple soudanais. Elle devrait faire comprendre à la junte que le recours à la violence contre les manifestants ne sera pas toléré et définir les conséquences pour les responsables ».
Toutefois, dans la presse internationale, le sang des manifestants soudanais ne semble pas provoquer l’émoi. Les titres des journaux tournent surtout autour du conflit entre le Soudan et l’Egypte d’un côté, et l’Ethiopie de l’autre. Ou, dans une moindre mesure, la reprise des violences au Darfour.
Al-Sissi, l’Harpocrate d’al-Burhan
La semaine dernière, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, en déplacement à Oman, y a rencontré Abdel Fattah al-Burhan et lui a « présenté ses condoléances pour la mort des martyrs du devoir », soit 7 soldats soudanais le long de la frontière éthiopienne. Les deux leaders militaires partagent, en effet, une position diplomatique anti-éthiopienne, alors qu’approche le troisième remplissage du barrage GERD sur le Nil bleu.
Al-Burhan et al-Sissi partagent également la même politique anti-islamiste. En effet, ce samedi, le Soudan a remis à l’Egypte 27 personnes affiliées à l’organisation des Frères musulmans, accusées par Le Caire d’avoir participé à un attentat en 2013. Khartoum se prépare également à extrader 32 autres membres de l’organisation vers l’Arabie saoudite.
Sur le plan géopolitique, l’affaire du GERD aide beaucoup l’Occident à botter en touche face aux exactions du régime soudanais contre les manifestants. Ce qui rappelle « l’opération antiterroriste » égyptienne dans le Sinaï entre 2013 et 2016. Une opération qui avait fourni un cadre crédible pour l’Europe et les Etats-Unis pour reprendre les relations diplomatiques avec l’Egypte d’al-Sissi, pourtant impliquée dans un pogrom de manifestants au Caire.
Autre raison possible pour l’état de grâce dont semble bénéficier al-Burhan : son rôle d’acteur central de la normalisation des relations entre le Soudan et Israël depuis 2020. L’Etat hébreux est, en effet, un allié proche de l’Union européenne et des Etats-Unis.
L’Union africaine sourde, muette et aveugle
La position de l’Union africaine (UA) vis-à-vis des autorités militaires soudanaises ressemble aussi à celle de l’Occident ou de l’Egypte. L’UA n’a pas, depuis le coup d’Etat d’al-Burhan, condamné Khartoum. Ni pour le meurtre des manifestants, ni pour les crimes contre l’humanité, ni pour la détention des membres du gouvernement civil dont l’ancien Premier ministre Abdallah Hamdok.
Le président de la commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, s’est contenté mercredi dernier d’appeler l’Ethiopie et le Soudan « à la retenue et au dialogue » pour régler leur conflit frontalier.
Mais ni la présidence de l’UA, assurée actuellement par Macky Sall, ni la commission de l’UA n’ont réellement sanctionné le Soudan comme d’autres pays dirigés par des militaires. Le Mali, la Guinée et le Burkina Faso n’étaient d’ailleurs pas invités au dernier Sommet de l’UA à Malabo, mais le Soudan et le Tchad l’étaient.
Pourtant, le Tchad a été suspendu de l’UA en avril 2021. Le Soudan également, depuis juin 2019, lorsque Cyril Ramaphosa a suspendu Khartoum de toute participation aux activités de l’UA.
Un deux poids-deux mesures flagrant qui ne risque pas de changer de sitôt. En effet, le numéro 2 de l’UA, Moussa Faki, protège activement les militaires de Khartoum et de N’Djaména, étant à la fois l’artisan du statut d’observateur d’Israël à l’UA, et un proche des Déby. Quant à l’actuel président de l’UA Macky Sall, il lui convient grandement de maintenir la pression surtout contre les militaires ouest-africains. Mais le président de l’UA ne parait avoir aucun intérêt dans les affaires d’Afrique de l’Est.