Un tribunal égyptien a condamné, dimanche, l’ex-candidat à la présidentielle Abdel Mouneim Aboul Foutouh à 15 ans de prison ferme pour « complot visant à renverser l’Etat ».
En Egypte, accuser le régime d’Abdel Fattah al-Sissi de « dérive autoritaire » est devenu une lapalissade. Au « pays des deux terres », l’ambiance est à la répression. Car après avoir tué et emprisonné par milliers ses opposants du mouvement Frères musulmans, Abdel Fattah al-Sissi s’est rapidement retourné contre l’opposition « laïque », communément appelée « les modérés » par les médias égyptiens.
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L’un de ces derniers est celui qu’on surnomme « L’Erdoğan égyptien », le médecin et militant syndicaliste Abdel Moneim Aboul Foutouh. Au début des manifestations précédant le renversement du président égyptien Mohamed Morsi en 2013, le syndicaliste faisait partie de ceux qui appelaient à la chute du président islamiste. Au moins, jusqu’à ce qu’Abdel Fattah al-Sissi prenne les choses en main, faisant arrêter Morsi et décimant des milliers des militants des Frères musulmans dans les rues du Caire.
Aboul Foutouh était lui-même l’un des dirigeants du mouvement islamiste avant la chute de Hosni Moubarak en 2011. Il représentait l’aile réformatrice du mouvement, et était plutôt populaire en Egypte parmi les jeunes, qui voyaient en lui le premier leader politique « centriste » de l’Histoire du pays. En 2012, Aboul Foutouh s’était présenté à l’élection présidentielle, où il avait récolté 20 % des suffrages, s’opposant de facto au candidat des Frères musulmans, qui l’avaient exclu du mouvement.
Malgré son opposition à Mohamed Morsi, Aboul Foutouh a rapidement condamné le coup d’Etat militaire d’al-Sissi, après le massacre de la place Rabia-El-Adaouïa le 14 août 2013. Il se place dans l’opposition depuis.
Un procès « inéquitable et sans fondement légal »
Mais en 2018, Abdel Mouneim Aboul Foutouh a été détenu, puis accusé d’être en contact avec « des entités hostiles à l’Etat et de diffuser de fausses informations ». Une longue détention provisoire, illégale selon Amnesty International, s’en est suivie.
En effet, la loi égyptienne ne permet pas le renouvellement d’une détention provisoire de plus de 45 jours, renouvelables une fois. Quant à l’arrestation, elle ne peut dans tous les cas dépasser les deux ans. Or, Aboul Foutouh a été jugé après plus de 4 ans dans les geôles d’al-Sissi.
Dimanche dernier, le tribunal de première instance du Caire a jugé Abdel Mouneim Aboul Foutouh à 15 ans d’emprisonnement, après un procès jugé « inéquitable et sans fondement légal », selon des dizaines de groupes de défense des droits de l’homme.
Le « complot visant à renverser l’Etat », dont le syndicaliste est accusé, qui n’est toujours pas prouvé par le parquet, se résume à « des rencontres avec des militants du groupe Frères musulmans en vue de causer des troubles en Egypte ».
Aucune preuve tangible n’a été avancée à ce jour, ce qui, dans un Etat de droit, pourrait laisser un espoir d’acquittement en appel. Mais en Egypte, la justice n’est pas forcément clémente, même sans preuves.
Aboul Foutouh, le dernier des Mohicans
Deux autres hommes politiques ont été condamnés dans le cadre du même procès, pourtant considérés comme étant les ennemis politiques d’Aboul Foutouh. Mahmoud Ezzat, ancien chef des Frères musulmans, a écopé de la même peine, et Ibrahim Mounir, un autre cadre du mouvement, toujours exilé, qui a été condamné à la perpétuité.
Dans le cas d’Abdel Mouneim Aboul Foutouh, son arrestation était survenue peu de temps après qu’il avait signé une lettre ouverte dénonçant « le climat de terreur » en Egypte, en 2018. Aboul Foutouh, ainsi que plusieurs figures politiques égyptiennes déploraient alors les conditions de présentation à la dernière élection présidentielle.
Tous les signataires, dont des chefs de partis politiques, des figures médiatiques et d’anciens ministres et militaires ont été emprisonnés ou sont morts dans d’étranges circonstances depuis. Aboul Foutouh, ainsi que ses deux co-accusés en sont les derniers survivants.
Ahead of 🇪🇬elections, Sisi takes no risks. Another major Egyptian politician (and former presidential candidate), moderate Islamist Aboul-Foutouh, arrested. https://t.co/NsLd4sZ5pi
— Yaroslav Trofimov (@yarotrof) February 15, 2018