La justice malienne a convoqué le ministre français d’Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian dans une affaire d’attribution d’un marché de fabrication de passeports.
C’est une affaire qui date de 2015. A l’époque, Jean-Yves Le Drian était encore ministre de la Défense. Et selon plusieurs enquêtes, il faisait profiter son fils, Thomas Le Drian, de son carnet d’adresses. Au Moyen-Orient comme en Afrique, Thomas le Drian représentait les intérêts de plusieurs entreprises françaises. En l’occurrence, le fabriquant de solutions de sécurité embarquées, Oberthur Technologies. Officiellement, Le Drian fils était dans l’immobilier, président du directoire de la Société nationale immobilière (SNI).
Un autre personnage composait, avec le père et le fils Le Drian, un trio indissociable à cette époque : l’ancien directeur de la sécurité intérieure (DGSI) Bernard Squarcini. De nombreuses entreprises françaises ont bénéficié du lobbying qui accompagnait l’initiation de Thomas Le Drian par son père et Squarcini, raflant des marchés aux Emirats arabes unis (EAU), en Arabie saoudite, en Egypte, en Libye, au Togo ou encore en Afrique du Sud.
Le contrat de fabrication de passeports biométriques pour le Mali d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), remporté par Oberthur, est aujourd’hui sur le devant de la scène. A l’époque, Le Drian était le « commercial » de plusieurs entreprises françaises qui vendaient des d’armes — pour 16 milliards de dollars en 2016. Oberthur Technologies bénéficiait alors d’un traitement un peu particulière. Basée en Bretagne, où Le Drian avait fait ses armes et où les industriels appuyaient ses ambitions gouvernementales, l’entreprise avait décroché plusieurs marchés intéressants.
De vendeur d’armes à vendeur de passeports ?
Selon une enquête de Jeune Afrique, Jean-Yves Le Drian aurait quasiment menacé IBK pour forcer l’Etat malien à s’associer avec Oberthur dans le domaine de la fabrication de passeports. Le marché était détenu par la société canadienne Canadian Bank Note (CBN) entre 2001 et 2014, avec des conditions beaucoup plus avantageuses pour le Mali que celles offertes par l’entreprise française.
« Le Drian y tenait tellement qu’il a mentionné l’engagement militaire français au Mali lors des négociations, expliquant que les soldats des deux pays mourraient ensemble au front. Il était déjà arrivé que Hollande demande d’aider les entreprises françaises, mais jamais de manière si insistante. Alors on s’est posé des questions. Le président n’avait rien contre les Canadiens, il était d’abord réticent à changer », indiquait un proche d’IBK au magazine panafricain.
Lire : Jean-Yves Le Drian, le problème de la France au Mali ?
Or, à cette époque, Thomas Le Drian, fils de Jean-Yves Le Drian, était associé chez Oberthur. L’association Maliko, qui s’est emparé de l’affaire depuis, a présenté des documents prouvant l’intervention d’IBK pour attribuer le marché de fabrication de passeports à Oberthur, à la justice. Thomas Le Drian a été convoqué en début d’année. Aujourd’hui, c’est au tour de Jean-Yves Le Drian, sur fond de « complicité pour prise illégale d’intérêt et favoritisme », d’être inquiété.
Pour Maliko, comme pour le Parquet de Bamako, la difficulté résidera dans l’apport de preuves quant à l’intervention directe de Jean-Yves Le Drian. Il se pourrait que « les proches d’IBK qui avaient dénoncé l’acte anonymement à la presse témoignent à cet effet », dit la presse malienne. Mais alors que le Mali et la France sont à couteaux tirés, il est impossible de voir Le Drian répondre positivement à la convocation de la justice malienne, que le ministre français nie d’ailleurs avoir reçue.
Jean-Yves Le Drian et sa clientèle de choix
Toutefois, cette affaire ternit un peu plus l’image en Afrique de Jean-Yves Le Drian, pendant ses mandats à la Défense, puis aux Affaires étrangères.
Pendant le mandat de Jean-Yves Le Drian, la France est intervenue militairement au Sahel — Serval, puis Barkhane. Une intervention pour le moins ratée, qui a creusé davantage le fossé entre Paris et l’Afrique subsaharienne. C’est également durant son mandat à la Défense que la France a vendu des armes à certains des régimes plus violents : Arabie saoudite, Egypte et Togo surtout. Le Drian n’évite pas l’opprobre, cependant. « Nos concurrents n’ont ni tabous ni limites », s’explique-t-il, pour justifier la vente d’armes aux dictateurs.
Une note interne du ministère français de la Défense statuait en 2013 : « Le ministère de la défense égyptien, fort d’une autonomie financière estimée à plus de 10 milliards d’euros, a pour objectif immédiat de moderniser tant ses matériels que ses infrastructures avant qu’un nouveau pouvoir démocratique ne lui demande éventuellement des comptes ». De quoi expliquer la ruée des armuriers français au soutien du dictateur Abdel Fattah al-Sissi.
Lire : L’Egypte bombarde des civils, avec l’aide de Paris
Idem au Togo en 2016, où la vente des hélicoptères français avait été freinée par le prédécesseur de Jean-Yves Le Drian aux Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault. Ce dernier craignait que « le pouvoir togolais n’utilise ces hélicoptères contre des civils ou des opposants ». Mais dès l’arrivée de Jean-Yves Le Drian au Quai d’Orsay, l’affaire avait été conclue. Depuis, d’ailleurs, les entreprises d’armement françaises multiplient les accords avec Faure Gnassingbé.
Encore des arrangements français avec des régimes répressifs, donc. Selon Sébastien Fontenelle, l’un des auteurs du livre « Vente d’armes, une honte française », « la France se glisse dans des interstices et se constitue une clientèle de régimes tous plus effroyables les uns que les autres ». « On a les pires juntes latino-américaines – Brésil ou Argentine –, la Grèce des Colonels, l’Espagne de Franco, le Portugal de Salazar – une atrocité qui mène des guerres coloniales effroyables avec des armes françaises. Et l’Afrique du Sud de l’Apartheid, excusez du peu ! », s’indigne le journaliste.