Au Sénégal, après l’alliance des deux ailes de l’opposition autour du farouche opposant Ousmane Sonko, ce sera l’ancienne Première ministre Aminata Touré qui dirigera la coalition du parti du pouvoir, Benno Bokk Yakaar (BBY).
L’annonce de l’alliance, avec pour objectif une victoire aux élections législatives, entre les coalitions Yewwi Askan Wi d’Ousmane Sonko et Khalifa Sall, et Wallu Sénégal de l’ancien président Abdoulaye Wade a provoqué la riposte immédiate de la coalition du parti du pouvoir Alliance pour la République (APR), Benno Bokk Yakaar (BBY). Les membres de BBY se sont mis en ordre de marche : la campagne est lancée et sera dirigée par l’ex-Première ministre Aminata Touré.
Il y a quelques mois, on n’aurait jamais imaginé cela. Aminata Touré, malgré son influence au sein du parti du président du Sénégal Macky Sall, est considérée par ses partisans comme un électron libre. Forte de caractère, « Mimi » avait perdu son poste à la primature en 2014 après un peu moins d’un an. En 2019, après s’être réconciliée avec les cadres du parti, Aminata Touré avait écrit une grande partie du programme de Macky Sall pour la présidentielle. Trois mois après sa victoire, le chef de l’Etat sénégalais avait alors nommé Touré à la tête du Conseil économique, social et environnemental (CESE), le troisième poste plus important de l’Etat sénégalais.
Mais Macky Sall s’était lancé dans une stratégie risquée qui consistait à écarter ses alliés pour s’entourer de ses ennemis politiques et ainsi affaiblir l’opposition. Il avait alors décidé de limoger Aminata Touré en novembre 2020, la remplaçant par son meilleur ennemi, l’ex-Premier ministre de Wade, Idrissa Seck.
Une décision qui avait provoqué une tempête au sein de l’APR. De proche du président, Aminata Touré était devenue l’une des personnalités les plus critiques vis-à-vis de Macky Sall, jusque dans les colonnes de la presse sénégalaise. Tout en continuant de militer pour le parti présidentiel. Elle s’était d’ailleurs montrée très virulente envers le maire de Dakar, Barthélémy Dias, lors des élections municipales de janvier.
Aminata Touré et la difficile conquête des électeurs
Aminata Touré est-elle donc de retour au bercail ? En réalité, l’ancienne cheffe du gouvernement n’a jamais tourné le dos à l’APR. Toutefois, et on le remarque depuis sa nomination comme tête de liste nationale de BBY, « Mimi » doit composer avec les partisans les plus zélés du président, qui ne sont pas forcément tendres avec elle.
Mais la stratégie n’est pas sans intérêt : Aminata Touré doit notamment permettre d’attirer quelques soutiens de l’opposition dans le camp de BBY. L’ex-Première ministre aura jusqu’au 31 juillet pour rallier autour de son camp. Mais en face, l’opposition est de plus en plus populaire. Et la coalition présidentielle, plutôt divisée, aura fort à faire pour convaincre. Les dernières élections municipales ont mis en exergue la fragilité de l’APR, qui a perdu ses bastions du centre et du sud pour confirmer dans les régions du nord, où Macky Sall a encore du répondant.
Aminata Touré, elle, a ses bases plutôt dans l’est, une région oubliée du pays, et pourra bénéficier de ce qui la caractérise : un charisme fort, une stature internationale et une connaissance du sérail politique sénégalais. Reste que ce qui pourrait être considéré comme un atout — être une femme et avoir des convictions féministes — ne le sera pas forcément au Sénégal où, selon le professeur et homme des médias Songué Diouf, « être une femme est un supplice ».
Ousmane Sonko attendu au tournant
D’autant que face aux colistiers d’Aminata Touré, on retrouve en face une opposition qui fait front. En effet, Ousmane Sonko, fort de sa victoire aux municipales, est en embuscade. Il peut désormais compter sur les soutiens de Khalifa Sall et Abdoulaye Wade. L’opposant sénégalais a fait bouger les lignes depuis mars 2021. Arrêté pour des accusations de viol, sa brève incarcération a secoué le Sénégal, où les émeutes du mouvement #FreeSénégal se sont soldées par la mort de plusieurs jeunes. Le pays a vécu une vague de violences sans précédent.
Jugé populiste par certains, source d’espoir pour d’autres, Ousmane Sonko pourrait jouer les trouble-fêtes lors des législatives de juillet. Il ne passe pas une semaine sans que l’opposant organise des sorties publiques, dans le cadre de manifestations ou de meetings. Ses partisans en ont fait le totem de l’opposition dans le pays ouest-africain, allant à l’appeler « Président », le poste que Sonko convoitera sans doute en 2024.
Le duel entre Ousmane Sonko et Aminata Touré promet donc d’être tendu. Depuis l’année dernière, il en faut peu pour que la politique entraîne des violences au Sénégal. Mais au-delà de ça, entre Sonko qui cherche à trouver un second souffle, et Aminata Touré qui pourrait bien relancer une carrière politique déjà bien fournie, les chefs de file de l’opposition et du pouvoir joueront gros l’été prochain.