Le royaume du Lesotho est en passe de devenir le troisième pays avec le plus grand nombre de meurtres dans le monde. La faute, selon plusieurs spécialistes, aux « gangs du famo », un genre musical populaire dans le petit pays d’Afrique australe.
Selon les chiffres de la fondation néerlandaise Worlds Population Foundation (WPF), le Lesotho serait le 3e pays enregistrant le plus grand nombre de meurtres dans le monde, avec 43,56 personnes tuées par 100 000 habitants, soit plus de 930 homicides par an dans le pays.
Des taux qui correspondent plus ou moins à la dernière édition de l’étude globale sur les homicides de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC). L’agence onusienne classait le Lesotho, en 2019, à la sixième place mondiale en la matière.
En somme, le petit royaume d’Afrique australe serait le pays plus meurtrier du continent. Seul autre pays africain dans le top 10 du classement, le Nigéria. Mais si ce dernier est assailli depuis longtemps par la menace des groupes terroristes et le phénomène des « bandits », le Lesotho paraissait, de prime abord, comme un pays relativement tranquille.
Or, ce n’est pas le cas si l’on en croit les chiffres. Mais outre quelques remous politiques l’année dernière, et un taux de criminalité dans la moyenne mondiale, qu’est-ce-qui explique cette anomalie ?
La musique du famo est-elle coupable ?
De récents reportages des médias britanniques The Guardian et BBC ont mis en lumière le phénomène des « gangs du famo ». Le famo est un chant traditionnel accompagné de l’accordéon, d’une basse et d’un tambour. Souvent appelé « le chant des mineurs », en référence à ses origines — puisqu’il provient des mines d’Afrique australe au début du XXe siècle —, le famo domine la scène de la musique au Lesotho.
Mais en raison de ses liens avec une certaine « culture de la rue », le famo est devenu l’épicentre du crime organisé dans le pays. Aujourd’hui, dans le petit royaume, les groupes les plus connus sont dirigés non pas par des artistes, mais par des barons de la drogue ou des mafieux. La rivalité entre les stars du famo devient ainsi le prétexte de guerres sanglantes et de plusieurs tragédies, des tueurs allant jusqu’à massacrer des familles entières.
De quoi rappeler les guerres du rap aux Etats-Unis dans les années 1990. Les « gangs du famo » au Lesotho ont pris leur forme actuelle à partir de 2004. Une star du genre musical avait été abattue, entrainant un cycle de violences et de vendettas qui continuent jusqu’à aujourd’hui. L’une des meilleures chanteuses de famo au Lesotho, Puseletso Seema, affirme qu’elle a survécu uniquement parce qu’elle est une femme.
Selon le présentateur de radio lésothan Sebonomoea Ramainoane, « des villages entiers se sont transformés en orphelinats, à cause de la musique famo ». « Ils viennent dans une maison pour vous chercher, si vous n’êtes pas là, ils tuent la femme, les enfants, ils éliminent tout le monde dans la famille », décrit-il.
Une vraie guerre de gangs
Il n’y a pas que les artistes et leurs entourages qui participent à cette guerre. Certains documentaires sur le sujet montrent que les fans d’un groupe ou d’un autre se joignent à leurs musiciens préférés, arborant des vêtements d’une couleur particulière. Selon l’artiste Ntate Lekase, exilé en Afrique du Sud à cause de cette guerre des gangs, le cercle vicieux des vendettas est tout à fait banal. Interrogé par BBC sur sa participation, il a simplement répondu : « Je me suis défendu, parce que lorsque je vois quelqu’un enterré, sachant qu’il a été tué par d’autres groupes, j’étais en colère. Alors je dois me venger ».
A mesure que s’envenime la « guerre du famo » au Lesotho, une majorité des artistes adoptent des textes provocants pour accompagner la musique. D’autres font exactement le contraire. Puseletso Seema, par exemple, affirme chanter sur son mariage, ou plus généralement sur la vie de couple.
Un autre présentateur radio, Tsepang Makakole, assure que des DJ ont été tués au nom de la musique famo. « Quand vous êtes à la radio, vous devez vous assurer que chaque jour vous passez tous les groupes. Si vous en laissez un de côté, ils disent : ‘vous ne nous aimez pas’. Puis ils vous tirent dessus », a-t-il déclaré.
Autre problème, des éléments des forces de l’ordre sont de mèche avec certains groupes de famo. En novembre 2021, des dizaines d’armes à feu ont disparu d’un poste de police à Mafeteng, la troisième plus grande ville du Lesotho. Le vice-ministre de l’Intérieur, Maomane Maphate, avait annoncé l’implication de policiers, qui auraient vendu les armes à des groupes famo.