Une commission parlementaire enquête sur la pénurie de carburants au Nigéria. Le pays est le premier producteur africain de brut. Mais il n’a pas le droit de raffiner son propre pétrole et est obligé d’importer, et donc de subir les fluctuations de cours.
Au Nigéria, cela fait un peu plus d’un mois que les prix des carburants à la pompe montent. De quoi interroger. La chambre basse de l’Assemblée nationale nigériane a lancé une enquête sur le sujet, car le Nigéria est en passe, pour l’année 2022, de devenir le onzième producteur mondial de pétrole derrière l’Iran et le premier producteur africain, loin devant l’Angola, la Libye et l’Algérie.
Comment un pays qui produit autant de pétrole peut-il donc être, à ce point, aux abois dans le secteur des hydrocarbures ? C’est la question à laquelle devra répondre la commission parlementaire bipartisane qui a invité, tour à tour, les compagnies pétrolières et les responsables politiques à s’exprimer. Et lors de l’audience de ce mercredi 16 mars, les élus ont pu s’apercevoir que la situation était très grave.
Le vice-président de l’Organisation nigériane des compagnies aériennes (AON) et le PDG de la jeune compagnie aérienne Air Peace, Allen Onyema, ont en effet affirmé que l’AON allait certainement devoir augmenter les prix des billets d’avions. Selon le vice-président de l’organisation, l’augmentation des prix des carburants pour l’aviation — kérosène, diesel, Jet-A et autres — menace de mettre en péril le secteur aérien nigérian.
Pourquoi le Nigéria doit-il importer des carburants ?
« Malgré l’obtention d’un prix contrôlé, nous n’avons pu acheter que l’équivalent de trois jours de carburants. Après, nous devrons laisser les avions au sol », a assuré Onyema. Surtout, il exhorte le gouvernement à autoriser la renégociation des contrats avec les importateurs. Un constat qui pose une autre question : pourquoi le Nigéria doit-il importer des carburants ?
Comme l’indique le président de l’association Major Oil Marketers Association of Nigeria (MOMAN), Olumide Adeosun, devant la même commission, « la hausse des prix internationaux du pétrole a impacté la fourniture en carburants ». Que ce soit pour les stations-service, pour les industriels ou pour les exploitants d’aéronefs.
Adeosun déplore l’absence de production locale de carburants, malgré l’abondance du pétrole. « Au Nigéria, il existe des raffineries modulaires qui pourraient produire du diesel et d’autres carburants, mais aujourd’hui, il n’est pas possible de vendre ces produits sur le marché car ces raffineries ne sont pas encore certifiées », explique-t-il. Avant de soulever un véritable problème : « Le Nigéria est le principal producteur de brut en Afrique, mais est contraint d’importer la quasi-totalité de ses besoins en produits pétroliers raffinés de l’étranger ».
Le raffinement de pétrole au Nigéria paralysé
En effet, selon les traités signés par le Nigéria dans le secteur industriel, notamment après son adhésion à l’Organisation internationale de normalisation (ISO), Abuja n’a pas le droit de vendre des carburants raffinés dans son propre pays.
L’ONG suisse, composée de représentants de 167 pays dans le monde, a pourtant souvent été raisonnable avec les pays africains. Qu’il s’agisse de médicaments, de produits alimentaires, de métaux et autres minéraux transformés, généralement l’obtention des certifications ISO n’est qu’une formalité, même dans la production pétrolière.
Dans la production, oui, mais pas dans le raffinement. Or, cela pose un véritable problème : depuis l’adoption, au Nigéria, de la loi sur la légalisation de l’extraction pétrolière artisanale en décembre dernier, les raffineries des compagnies internationales ne suffisent plus à juguler le brut nigérian.
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Total, Eni, Shell, Exxon… les majors occidentales actives au Nigéria sont nombreuses. Mais depuis quelques mois, la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), la compagnie de l’Etat, rafle les actifs de ces compagnies, grâce notamment à des aides colossales de l’Etat. Après l’achat de 87 % des actifs de Shell l’année dernière, la NNPC est entrée en contact avec Exxon Mobil afin de participer à une future mise en vente des actifs nigérians de la major.
Or, malgré cette rapide expansion de la NNPC, qui contrôle aujourd’hui plus de 50 % des installations pétrolières du pays, ainsi que les trois plus grandes raffineries, elle n’a toujours pas obtenu de réponse de la part d’ISO quant à une licence de raffinement. Tant et si bien que l’Etat a dû retirer du marché, en janvier, les carburants mis en vente par la NNPC, car dépourvus de normalisation ISO.
La trop forte dépendance vis-à-vis d’ISO
Quoi qu’il en soit, Adeosun et Onyema ont trouvé un compromis avec la commission parlementaire, qui sera proposé à Muhammadu Buhari, à propos de la subvention des prix de carburant à plus de 20 %. Ils proposent également un prix contrôlé fixe à 1,2 dollar par litre de kérosène au lieu de 1,8 dollar actuellement. Mais tout cela se fera au détriment du budget de l’Etat.
Surtout, cette solution tampon ne pourra pas mettre fin à la crise du carburant nigérian à long terme. Depuis le conflit russo-ukrainien, les prix du pétrole importé ne cessent d’augmenter. Si le Nigéria ne réussit pas à raffiner son propre pétrole ou à vendre ses carburants nationaux, il n’aura d’autre choix que de l’importer au prix fort.
Autre solution : quitter l’Organisation internationale de normalisation. Une solution déjà adoptée par d’autres Etats africains : Tchad, Cameroun, Congo-Brazzaville, Togo, Somalie ou encore Libéria… Ces six pays refusent, depuis 1947, d’adhérer à l’ONG.