En Libye, Fathi Bachagha a proposé son nouveau gouvernement au parlement de Tobrouk, qui l’a désigné comme remplaçant d’Abdel Hamid Dbeibah. L’Egypte soutient Bachagha, alors que l’Algérie vient de signer un accord pétrolier et gazier avec Dbeibah.
Lundi prochain se tiendra, dans l’est de la Libye, une session de la Chambre des représentants (HoR) d’Aguila Salah. Les députés procèderont au vote de confiance envers le nouveau gouvernement. Fathi Bachagha, nommé Premier ministre par le HoR le 10 février, vient de dévoiler sa liste ministérielle.
Et si les puissances occidentales sont aujourd’hui concentrées sur le dossier ukrainien, certains pays africains se focalisent toujours sur la Libye. La désignation, en tant que Premier ministre de Fathi Bachagha, a été appuyée par l’Egypte.
Face au clan Bachagha, à Tripoli, le Premier ministre sortant, Abdel Hamid Dbeibah, ne compte toujours pas lâcher. Au-delà du fait de s’accrocher à son poste, Dbeibah tente aujourd’hui de s’opposer à une prolongation de la transition libyenne, qui pourrait durer jusqu’à 14 mois supplémentaires. Le Premier ministre sortant tente également d’affaiblir Khalifa Haftar, allié de Bachagha et de Salah, et chef militaire de l’est libyen, accusé de crimes de guerre.
Après le vote du parlement, qui lui sera sans aucun doute favorable, Fathi Bachagha devra être offensif. Il a, d’ores et déjà, préparé le terrain en obtenant des soutiens militaires dans la Tripolitaine. Il a avec lui, notamment, la force policière Stabilization Support Appartus, qui fait office de garde-côtes et de gendarmerie dans l’ouest libyen. Mais également les deux puissantes brigades Nawasi de Mustapha Gaddour et Ghneiwa, du puissant homme d’affaires Abdel Ghani al-Kikli.
Une coalition puissante sur le terrain, bien supérieure aux milices Rada et à la brigade 444 de Dbeibah. Afin de se maintenir au pouvoir, donc, ce dernier a annoncé des élections législatives fin juin. Abandonné par la cheffe de la MANUL, l’Américaine Stephanie Williams, et bénéficiant d’un très timide soutien turc en sa faveur, Dbeibah cherche à s’octroyer les faveurs d’un autre acteur régional puissant : l’Algérie, qui a toujours évité de s’ingérer en Libye.
La fin de la cordialité entre l’Algérie et l’Egypte ?
Une opération diplomatique de Dbeibah qui ne lui assure aucunement de garder la primature libyenne, mais qui lui donnerait, éventuellement, un pouvoir suffisant pour revenir au premier plan, sur la scène politique.
Dbeibah a rencontré le président algérien Abdelmadjid Tebboune lors du 6e sommet du Forum des pays exportateurs de gaz (GECF), au Qatar. Une rencontre « technique », qui a permis de consolider le récent accord pétrolier et gazier entre la National Oil Corporation (NOC) libyenne et la puissante Sonatrach algérienne. De quoi bouleverser l’équilibre gazier en Afrique du Nord, alors que la mutualisation des ressources devient un enjeu géopolitique en raison de la guerre en Ukraine, qui a fait grimper les prix du gaz naturel.
Toutefois, peu importe ce dont ont discuté Dbeibah et Tebboune, la rencontre a grandement fâché le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi. Au point que ce dernier, attendu mardi dernier au Koweït, pour une rencontre tripartite avec Tebboune et l’émir du Koweït, a décidé de reporter son voyage. Al-Sissi a fini par rejoindre le Koweït jeudi soir, avant de le quitter à nouveau, à la première heure, vendredi.
Le désaccord n’est pas surprenant : l’Algérie et l’Egypte étaient aux antipodes sur tous les dossiers géopolitiques, à l’exception de la Libye. Mais il semble que les divergences d’opinions à propos du Premier ministre libyen soient définitives. Un différend qui va au-delà de la bataille entre Dbeibah et Bachagha…
Influence algérienne et « perfidie » égyptienne
En Libye, l’Algérie et l’Egypte ont souvent évité de se marcher sur les pieds. Mais le nouveau dispositif diplomatique algérien, installé rapidement et avec brio par le ministre algérien des Affaires étrangères Ramtane Lamamra, permet à Alger d’étendre son influence en Afrique. Ce qui déplait au Caire.
La création du G4 africain, regroupant l’Algérie, le Nigéria, l’Afrique du Sud et… l’Ethiopie, en marge du dernier sommet UE-UA à Bruxelles, a pris Abdel Fattah al-Sissi de court. La crise du Barrage de la renaissance (GERD) oppose, depuis longtemps, l’Ethiopie à l’Egypte. Le président du Nigéria, Muhammadu Buhari, a déclaré mardi que le G4 veillerait « à résoudre les différents problèmes auxquels est confronté le continent africain, comme les questions malienne et libyenne ».
De plus, les positions de Pretoria et d’Alger sur le Sahara occidental déplaisent au Maroc, qui a adopté la même que l’Egypte en Libye.
Tripoli est donc devenu le théâtre des tensions entre l’Algérie et l’Egypte. Mais alors que la presse algérienne accuse l’Egypte de « perfidie » et déplore le timing de la déclaration de l’ambassadeur égyptien au Maroc, soutenant la « marocanité du Sahara occidental », nul doute que la réplique diplomatique d’Alger se fera entendre sur le dossier libyen.
Le soutien occidental en Libye, toujours mouvant
Si Fathi Bachagha accède à la primature, probablement par la force et en s’appuyant sur le soutien égypto-marocain, la Libye pourrait voir son seul secteur fonctionnel menacé. En effet, avec le prix du baril de pétrole qui a dépassé les 100 dollars et les enjeux de la fourniture en gaz qui fait paniquer l’Europe, la production libyenne en hydrocarbures est devenue le principal argument diplomatique.
Pour rappel, la crise du gaz n’a pas démarré avec la guerre russo-ukrainienne. La production libyenne a chuté l’année dernière en raison de la difficulté de produire et d’acheminer les hydrocarbures.
Or, l’accord entre la NOC et Sonatrach a été signé par l’Algérie d’un côté et le gouvernement de Dbeibah de l’autre. Un accord qui doit permettre d’accélérer la production libyenne destinée à l’Europe de 300 000 barils par jour, et qui prévoit le transport du GNL libyen jusqu’à l’Union européenne, en passant par l’Algérie.
En panique, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont exhorté les autorités libyennes à « soutenir l’indépendance de la NOC » qui devrait rester « apolitique », pour « l’intérêt de tous les Libyens ». Et le leur, évidemment.
Les cinq pays occidentaux ont finalement décidé de soutenir Bachagha. Mais alors que le dossier des hydrocarbures libyens est tenu par Tripoli et Alger, la position internationale concernant le Premier ministre libyen pourrait à nouveau changer.