Cette nuit, la justice béninoise a condamné l’opposante à Patrice Talon, Reckya Madougou, à vingt ans de prison, lors d’une parodie de procès, selon ses avocats.
Le constat, pour l’avocat français de Reckya Madougou, est terrible : « Jugée à 6 heures du matin, sans témoins, sans pièces, sans preuve », l’opposante béninois a été condamnée à vingt ans de prison « par trois suppôts du pouvoir ». Antoine Vey, qui a quitté la salle d’audience très tôt dans la journée de vendredi, estime que le seul crime de la Béninoise est d’« avoir incarné une alternative démocratique au régime de Patrice Talon. On le redoutait : il n’a pas de justice au Bénin ».
Vendredi matin, à 9 heures du matin, à l’ouverture de l’audience, la défense de Reckya Madougou ne se faisait aucune illusion : trois jours plus tôt, un autre opposant, Joël Aïvo, avait écopé de dix ans de prison pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » notamment. Reckya Madougou, ancienne Garde des Sceaux du Bénin, était accusée de « financement du terrorisme » devant un tribunal spécial de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET).
« Comment peut-on monter une telle histoire ? »
Un dossier vide, des conditions de détention humiliantes, selon ses avocats, mais une volonté de se défendre malgré une justice « aux ordres »… Reckya Madougou n’avait que peu d’espoirs. A la barre, l’opposante béninoise s’est dite « abasourdie », s’interrogeant depuis neuf mois « sur comment on peut monter une telle histoire ». Le scénario est en effet très grossier : après avoir tenté de se présenter, sans succès, à l’élection présidentielle du 11 avril dernier, la Béninoise a été arrêtée, accusée d’avoir financé une opération qui visait à assassiner des personnalités politiques.
Mais pour la CRIET, les jeux étaient faits dès le premier jour. Selon nos informations, la défense de Reckya Madougou a tenté d’innocenter l’ex-ministre en approchant des témoins, qui s’étaient murés dans le silence sous la pression du pouvoir en place. Lors de l’audience, « nous avons demandé à faire entendre des témoins, ce qui a été rejeté immédiatement par la cour qui ne m’a donné que cinq minutes pour développer l’irrégularité du dossier », a expliqué l’avocat Antoine Vey, qui a donc quitté la salle d’audience dans la matinée de vendredi.
Une « pièce de théâtre »
Toujours défendue par ses avocats béninois, Reckya Madougou a donc assisté, impuissante, à son procès. Au terme de celui-ci, elle écope donc d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle pour « complicité d’acte de terrorisme ». « Malgré une vacuité totale de son dossier, les vices de procédures et les traitements inhumains infligés, elle s’est tenue debout, plus résiliante que jamais, devant les juges de la CRIET », indique un communiqué de presse du comité de soutien à Reckya Madougou.
Pour l’avocat français de Reckya Madougou, les dés étaient pipés : « Arrivé devant la juridiction ‘spéciale’, il était absolument manifeste qu’il est impossible d’exercer des voies de recours internes, puisque l’appareil judiciaire est totalement noyauté par le pouvoir. Il n’y a aucun formalisme, aucune procédure », écrit Antoine Vey sur Twitter, ajoutant qu’« il n’y a pas de droits effectifs de la défense ». Une « pièce de théâtre », selon les mots du juriste, qui aurait été écrite sur mesure pour faire tomber l’opposante.
Abandonnée par Faure Gnassingbé
Reste que si une mobilisation a été observée sur les réseaux sociaux, où le hashtag #FreeReckya a fleuri ces sept dernier jours, c’est le silence de certains chefs d’Etat qui étonne. Notamment celui de Faure Gnassingbé. L’accusée était en effet la conseillère spéciale du président togolais et disposait d’un passeport diplomatique, avant de se lancer dans la bataille, perdue d’avance, de la campagne présidentielle.
En mai dernier, Reckya Madougou avait accompagné le chef de l’Etat togolais aux funérailles de l’ancien Premier ministre ivoirien Amadou Gon Coulibaly. Après avoir démissionné pour pouvoir devenir candidate au Bénin, Reckya Madougou a rapidement été accusée par le pouvoir béninois d’être envoyée faire campagne par le président togolais. Reckya Madougou « débarque avec des valises d’argent, des sponsors de chefs d’Etat des pays voisins », déplorait Patrice Talon au moment de l’annonce de la candidature de Reckya Madougou. Depuis, Faure Gnassingbé a totalement laissé tomber son ex-conseillère, qui pourrait passer ces vingt prochaines années en prison.
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