L’ex-président sud-africain, Frederik De Klerk, qui avait libéré Nelson Mandela, est mort ce jeudi. Avant de prendre le pouvoir, le futur chef de l’Etat nous avait confié qu’il mettrait fin à l’apartheid, lors d’un petit-déjeuner à Pretoria tenu secret.
Nous sommes en 1988. Une année forte pour l’Afrique australe. Alors que la fin de l’apartheid va être actée deux ans plus tard, les premières pierres de la paix sont posées à la fin de l’année 1988. Et j’aurai alors la chance d’être l’un des acteurs des négociations.
L’Afrique du Sud est alors à un tournant… En septembre 1988, le pape Jean-Paul II a prévu de se rendre au Lesotho et au Swaziland. Il tente de contourner l’Afrique du Sud, mais les conditions météorologiques obligent l’avion du souverain pontife à faire escale à Johannesburg. Le ministre sud-africain des Affaires étrangères, « Pik » Botha, se précipite alors pour obtenir une photo avec le pape. A cette époque, l’Afrique du Sud tente de renouer le dialogue avec le reste du monde.
Mais difficile pour un pays qui a mis en place les lois racistes de l’apartheid de trouver des interlocuteurs. Le 13 décembre 1988 sera signé le protocole de Brazzaville, qui aboutira à l’accord de paix signé entre l’Afrique du Sud , les Etats Unis, Cuba et l’Angola, annonçant l’indépendance de la Namibie, actant secrètement la légalisation de l’ANC par le régime raciste et ouvrant la voie à la libération de Nelson Mandela, et à la fin officielle des lois de l’apartheid.
« De Klerk est appelé à jouer un rôle très important »
Si Mandela fut le héros de cette période, un autre homme a joué un rôle important. La première fois où j’ai entendu parler de Frederik De Klerk, ce fut lors d’un dîner à Pretoria chez Cornelis Schabort, alias « Corn», un homme d’affaires sud-africain qui m’avait été présenté par le chef du renseignement militaire, le général van Tonder.
Corn avait un rôle très actif et important dans la politique de son pays en tant que membre très influent de la société secrète de l’élite afrikaner, l’Afrikaner Broederbond (Ligue des frères afrikaners). Après ce dîner, au moment de fumer un cigare, Corn me dit simplement, après un long silence : « On aimerait bien que tu rencontres Frederik De Klerk. Il est appelé à jouer un rôle très important ».
Je n’avais, auparavant, jamais entendu parler de De Klerk. Son curriculum vitæ n’était d’ailleurs pas vraiment rempli. De Klerk était alors ministre de l’Education et leader du Parti national dans la province du Transvaal. Je ne voyais pas en quoi ce dirigeant politique, inconnu au bataillon, pouvait jouer un rôle important en Afrique du Sud, d’autant qu’il n’avait jamais pris position pour ou contre la politique internationale de l’Afrique du Sud. Pire, De Klerk semblait coulé dans le moule classique de l’élite politique afrikaner.
Mais Corn se trompait rarement. Et les informations, qu’il obtenait de l’intérieur, se révélaient rarement inexactes. Je tentai d’en apprendre un peu plus sur De Klerk. Ce dernier était avocat de formation, calviniste pratiquant et pour le moins très conservateur. Bien loin du portrait que Corn m’en avait fait : celui d’un « Gorbatchev sud-africain » en devenir.
Je décidai donc d’aller à la rencontre de ce futur roi de la politique sud-africaine. J’ai rencontré à plusieurs reprises Frederik De Klerk. Ce qui me marqua en premier lieu fut sa méconnaissance de la stratégie politique. De Klerk était un Afrikaner, comme j’en avais rencontré des dizaines. Mais je compris rapidement Corn lorsque je m’aperçus que le ministre était en réalité un exécutant. Il était à l’écoute et malléable, prêt à participer à n’importe quelle négociation. Plus tard, Mandela sera d’ailleurs mécontent que le prix Nobel de la Paix soit conjointement décerné à De Klerk, qu’il considérait comme un simple messager.
Le futur président sud-africain n’était-il rien de plus qu’un « chargé de mission » ? Mais pas n’importe lequel. Je compris en effet bien plus tard quel rôle allait jouer De Klerk. A l’époque, les diplomates européens n’avaient pas le droit de se rendre dans une Afrique du Sud sous embargo, ni de dialoguer avec le régime sur place.
« Pick » Botha , ministre des Affaires étrangères m’informa qu’un jeune secrétaire d’Etat portugais aux Affaires étrangères et à la Coopération, José Manuel Barroso, lui aussi promis à un grand avenir, devait se rendre à Johannesburg pour y rencontrer exclusivement l’importante communauté portugaise. « Pick » me demanda de pouvoir le rencontrer et d’intervenir auprès des Portugais avec qui j’avais de bonnes relations — ces derniers ne souhaitaient pas déroger aux sanctions et refusèrent. Ils acceptèrent cependant de me confier l’organisation d’une rencontre secrète « avec des personnalités influentes ».
Barroso avait été autorisé à me rencontrer et à se rendre à une entrevue que j’avais organisée. Rendez-vous fut pris à Pretoria, dans le périmètre sécurisé des résidences ministérielles. Débuta alors un petit-déjeuner très secret, à quatre : Barroso, De Klerk alors ministre de l’Education, « Corn » Schabort et moi-même.
Les confidences de De Klerk à Barroso
Si l’Histoire ne s’écrivit certainement pas à ce moment-là, je fus cependant le témoin d’un bouleversement : le ministre de l’Education De Klerk déroula en effet une liste d’informations confidentielles au Portugais : P.W. Botha allait quitter le pouvoir, et c’est De Klerk, lui-même, qui allait lui succéder. De Klerk s’engagea à démanteler l’apartheid et, dès la fin de ces lois discriminatoires signées, à libérer Nelson Mandela. Il s’engagea enfin à négocier avec l’ANC.
Barroso fut étonné d’être le témoin privilégié de ce flot d’informations, qu’il rapporta à Lisbonne. De mon côté, je fis une note adressée à François Mitterrand, via son fils Jean-Christophe. Le président français donna son accord pour recevoir le nouveau président De Klerk officiellement à Paris, après son arrivée au pouvoir, à la grande surprise de son gouvernement et de l’opinion française. Je le reçus à diner durant sa visite chez « Laurent ». Peu de personnalités acceptèrent de se joindre à nous.
Le 2 février 1989, l’histoire se mit en marche : Frederik De Klerk fut élu à la tête du Parti national, délogeant Botha. Le 14 août 1989, ce dernier démissionna et, dès le lendemain, De Klerk fut le dernier président blanc d’Afrique du Sud. La suite appartient désormais à l’Histoire.
* Jean-Yves Ollivier est un homme d’affaires, « auto-entrepreneur en diplomatie privée », président-fondateur de la Fondation Brazzaville et auteur de « Ni vu, ni connu » (éditions Fayard).