En plein Forum mondial pour la Paix, qui débute ce jeudi 11 novembre, le président français Emmanuel Macron accueille, demain, un nouveau sommet international consacré à la Libye.
Le président français Emmanuel Macron organise, ce vendredi 12 novembre, sa propre conférence sur la Libye. Les dirigeants d’une vingtaine d’Etats, présents à Paris à l’occasion du Forum mondial pour la Paix, qui a débuté aujourd’hui, se joindront à lui. Parmi eux, la vice-présidente américaine Kamala Harris, le Premier ministre italien Mario Draghi, la chancelière allemande sortante Angela Merkel ou encore le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), António Guterres.
Selon nos informations, le président du Niger Mohamed Bazoum, son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le chef de la junte tchadienne Mahamat Déby sont également attendus. Des invités indispensables pour Emmanuel Macron, qui cherche, à l’occasion de ce sommet, des alliés.
Président du Comité de haut niveau de l’Union africaine (UA) sur la Libye, le président congolais Denis Sassou N’Guesso est également arrivé à Paris ce jeudi matin. Il sera probablement le seul chef d’Etat sur place à militer pour une solution africaine en Libye. Alors qu’en octobre, Jean-Yves Le Drian affirmait que « tous les pays du voisinage de la Libye » serait conviés, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a décliné l’invitation. Depuis plusieurs jours, il refuse de prendre au téléphone Emmanuel Macron.
Le chef de l’Etat congolais devra donc être persuasif. Car si Paris a décidé d’organiser cette énième conférence, à un mois et demi de la présidentielle libyenne, c’est bien au contraire pour tenter de mettre un coup d’arrêt à la médiation africaine, accélérer l’agenda des élections et tenter de remettre en avant l’Europe dans ce dossier complexe. Or, depuis l’échec du sommet de Berlin II et du Forum de Genève, l’influence européenne en Libye a montré ses limites. Cette conférence, que Jean-Yves Le Drian annonce « coprésidée avec l’Italie et l’Allemagne et associant étroitement les Nations unies » sera-t-elle un nouveau fiasco ?
Entre la France et la Libye, une histoire de désamour
Paris veut en tout cas tirer son épingle du jeu. Cela fait plusieurs décennies que la France et la Libye ont des relations diplomatiques tendues. Le soutien français au Tchad lors de la crise tchado-libyenne au début des années 1980, l’appui franco-américain au coup d’Etat de Hissène Habré, contesté par la Libye, ou encore la prise d’initiative française, via le président François Mitterrand, pour mettre à l’index le régime de Mouammar Kadhafi ont rendu les liens entre Tripoli et Paris très fragiles.
Certes, un début d’amitié entre Kadhafi et le président français Nicolas Sarkozy a laissé planer l’espoir d’une amélioration des relations franco-libyennes. Il faut dire que le financement de la campagne électorale française, d’un côté, et la vente d’armes et un accord nucléaire de l’autre avaient permis à Paris et Tripoli d’avancer, le temps de quelques mois, main dans la main. Mais Nicolas Sarkozy n’a finalement pas tardé à trahir Kadhafi. En 2011, la France a été le premier pays à reconnaître le Conseil national de transition, tandis que Paris a activement participé à la traque contre l’ancien Guide de la révolution.
Sous la présidence de François Hollande, la France a semblé perdre la main sur le dossier libyen, tiraillée entre un soutien apporté à Fayez el-Sarraj, proche du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, et un soutien envers Khalifa Haftar, sous la pression de Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense. Depuis la fin de la guerre civile, le successeur de François Hollande, Emmanuel Macron, a été mis sur la touche et les dirigeants libyens ont préféré se tourner vers des alliés plus fiables, comme la Turquie ou la Russie.
« La France n’a pas respecté la souveraineté de la Libye »… et maintenant ?
Il a fallu attendre l’annonce de la séparation entre les paramilitaires russes de Wagner et les forces de Khalifa Haftar, ainsi que la candidature à la présidentielle, appuyée par l’Occident, du maréchal libyen pour qu’Emmanuel Macron trouve enfin des relais en Libye. Les conditions sont propices à un retour en force de Paris : la loi électorale tout juste promulguée a été dictée par Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et exécutée par Aguila Salah, allié du maréchal Haftar et proche du Maroc.
Du pain béni pour l’Elysée, d’autant que Jean-Yves le Drian est, depuis, devenu ministre des Affaires étrangères et peut donc ouvertement soutenir celui qu’il a toujours défendu, le maréchal Haftar. Ce dernier est aujourd’hui l’un des favoris dans les urnes et, pour le président Emmanuel Macron, faire le bon choix est important pour montrer que la France compte sur le plan géopolitique. Et même si le chef de l’Etat français sait que Haftar n’arrivera pas à gouverner le pays, la présence de celui-ci dans l’est libyen permet de garantir à Paris un accès privilégié au pré carré français — Niger, Tchad et Soudan — via la Méditerranée.
Il s’agit aussi pour Paris d’un moyen de faire main basse sur un ex-allié de la Russie, de faire pression sur la Turquie, bien établie commercialement et militairement dans l’ouest libyen, et d’accéder aux ressources libyennes les plus convoitées : le pétrole. Si, comme le déclarait Emmanuel Macron en septembre dernier, la France « n’a pas respecté la souveraineté de la Libye », la nouvelle posture de l’Hexagone ne semble guère prendre en compte les aspirations du peuple libyen.
Que peut faire l’Afrique ?
Côté africain, la position reste inchangée : la transition politique libyenne ne pourra se faire qu’après le retrait des forces étrangère présentes en Libye. Ce que l’ingérence française n’encourage pas forcément. Les conséquences pourraient être désastreuses : la Libye doit organiser de façon expéditive des élections qui risquent de donner lieu à des violences post-électorales dans tout le pays.
C’est sur ce point que devrait appuyer l’Union africaine, qui sera représentée par Denis Sassou N’Guesso. Le président congolais devrait tenter de faire prendre conscience à ses homologues des risques auxquels la Libye sera confrontée. Pour ce faire, le président du Comité de haut niveau de l’UA sur la Libye pourra rappeler que, en 2014, la guerre civile a profité aux groupes terroristes, qui se se sont renforcés au Mali, au Niger et au Burkina Faso, et ont vu leur influence grandir en Afrique.
Nombreux sont les observateurs à estimer que sans la guerre civile libyenne de 2014, le terrorisme djihadiste en Afrique serait encore confiné au Bassin du Tchad. Or, désormais, la nébuleuse terroriste s’étend du sud libyen jusqu’au Golfe de Guinée dans le sud, et jusqu’à la Mer rouge à l’est du continent.
L’appétit de l’Occident dans ce dossier risque de déstabiliser une fois encore la Libye. Le président congolais a cependant travaillé son dossier : il a obtenu l’appui du Conseil présidentiel libyen, à la suite de la visite de travail de Mohammed el-Menfi à Brazzaville en juillet. Il peut également se targuer d’avoir obtenu des promesses de la part de la communauté ibadite nord-africaine, dont le chef historique Farhat Jaâbiri a affirmé son soutien à Denis Sassou N’Guesso en juin dernier. Enfin, le chef de l’Etat congolais est très respecté sur la scène internationale et est l’un des seuls présidents africains à être hermétique à la pression française.
Le Congo avait d’ailleurs, auparavant, participé à l’initiative algérienne, dans le cadre du sommet des voisins de la Libye. Sassou N’Guesso sait qu’il dispose d’un précieux soutien algérien tout en étant capable de ménager les susceptibilités marocaine et égyptienne.
La Libye au bord de l’implosion ?
Reste à savoir si la rivalité entre les différentes factions libyennes permettra à la transition d’aller jusqu’au bout. Car même si l’élection présidentielle est confirmée, le rôle de la communauté internationale ne devra pas s’arrêter au lendemain du 24 décembre. Il semble impossible que l’annonce des résultats se passe sans heurts et ce n’est pas la commission 5+5, marginalisée par les forces de l’est libyen, ni même l’ONU ou l’Union européenne qui permettront d’apporter une paix durable.
L’Afrique a donc un véritable rôle à jouer, comme l’a rappelé le président algérien Abdelmadjid Tebboune. Ce dernier sera absent du sommet de Paris, fâché avec Emmanuel Macron. « Il ne s’agit pas de moi, mais d’un problème national. Aucun Algérien n’accepterait mon contact avec ceux qui nous ont insultés », explique le président algérien. Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a annoncé que « l’Algérie sera représentée », sans préciser de quelle façon.
Côté libyen, l’ambiance est également délétère. Le différend entre le gouvernement d’Abdel Hamid Dbeibah (GNU) et le Conseil présidentiel d’el-Menfi, après la suspension de la ministre des Affaires étrangères Najla Mangoush, a un peu plus enfoncé la Libye dans la crise. Conséquence : le Premier ministre se présentera en tant que candidat à la prochaine élection. Outre les deux autres candidats déclarés, Khalifa Haftar et Fathi Bachagha, il ne faut pas minimiser les ambitions de Saïf al-islam Kadhafi et du représentant des Frères musulmans Khaled al-Michri. Un casse-tête pour la communauté internationale. Car chaque candidat est soutenu par au moins une faction armée. Un contexte explosif, et Paris semble bien incapable de calmer la situation, surtout en soutenant ouvertement le maréchal Haftar et en fermant la porte aux autres candidats.