Avec la légalisation du cannabis dans plusieurs pays occidentaux, une industrie extrêmement rentable est née. L’Afrique, grâce à un climat favorable, peut-elle se positionner sur ce marché ?
Le potentiel est immense. Alors que l’Afrique pourrait devenir l’un des hubs de l’industrie du cannabis, à des fins médicales ou récréatives, les autorités de la majorité des pays restent réticentes à légaliser. Et le retard pris risque de coûter cher. Car ce secteur prospère sur le reste de la planète : des recherches récentes estiment que le marché mondial du cannabis représentera 70 milliards de dollars d’ici 2028. Qu’attend le continent pour s’intéresser à ce sujet ?
Quelques pays pionniers ont, d’ores et déjà, en Afrique, compris le potentiel inestimable de ce marché. C’est le cas du Maroc ou encore du Rwanda. Certains Etats, eux, refusent catégoriquement d’envisager de venir concurrencer ces deux pays. Selon nos informations, le Cameroun, par exemple, refuse toute proposition dans ce secteur, malgré le potentiel commercial du cannabis.
Au grand détriment des investisseurs. Car avec une main-d’œuvre relativement bon marché et un climat propice, l’Afrique pourrait devenir l’un des producteurs les plus performants sur la planète. Mais les dirigeants africains freinent des quatre fers, pour plusieurs raisons parmi lesquelles leurs difficultés actuelles de lutter contre le narco-trafic. Autre raison : « Les industries pharmaceutiques européennes ou américaines refusent généralement d’importer le cannabis africain, qu’elles estiment sous-contrôlé », nous explique un acteur du secteur.
Qu’y a-t-il à retenir de l’expérience occidentale ?
Plusieurs pays occidentaux ont pourtant légalisé totalement ou partiellement le cannabis. Le Canada a été l’un des premiers pays à le faire à l’échelle nationale. Le Mexique attend l’approbation de son sénat. Enfin, lors de chaque campagne électorale aux Etats-Unis, des Etats légalisent le cannabis, par le biais de leurs législateurs ou par voie de référendum. En Afrique, les lois ont bien du mal à évoluer sur ce thème.
Pourtant, la culture du cannabis est bien installée. Et ce depuis la colonisation. Au Maroc, en Guinée ou encore en Côte d’Ivoire, plusieurs documentaires de l’époque coloniale démontrent que cette plante était utilisée pour calmer et mieux contrôler les populations. Dans d’autres pays, surtout en Afrique Centrale, la consommation du cannabis est jugée contraire à la morale. De quoi bloquer les évolutions législatives.
L’Afrique pourrait pourtant tirer son épingle du jeu. Car au Canada, par exemple, les coûts de production du cannabis sont trop élevés, notamment en raison d’un climat inadapté. Les marges sont minces et le business pas aussi rentable qu’il n’y paraît. Les coûts élevés de la main-d’œuvre n’y sont pas étrangers. La fameuse « ruée verte », qui a conduit les sociétés du secteur en bourse, est un désastre : les compagnies cotées en bourse ont perdu les deux-tiers de leur valeur, à Toronto ou à New York.
Freins moraux et législatifs
Toutefois, l’échec de l’expérience commerciale du cannabis au Canada n’empêche pas de se rendre compte de l’importance de ce marché dans le monde. Le Mexique, quand il aura légalisé le cannabis, devrait devenir l’un des plus gros producteurs du monde. De quoi faire réfléchir les Etats africains.
Mais avant de penser chiffres, encore faut-il faire évoluer les lois nationales. Cela passera indubitablement par un débat dans chaque pays africain intéressé par ce marché. De plus, outre la culture de la plante et la production industrielle des dérivés, les pays doivent s’intéresser à la logistique et à la distribution. C’est là qu’un accord avec des laboratoires pharmaceutiques devient inévitable, pour réussir à écouler les stocks. Pour ce faire, les pays qui se lanceront dans ce secteur devront être irréprochables en termes de gestion des stocks, de réglementation, de technologie logicielle de surveillance, de marque et de protection intellectuelle.
Les dirigeants devront également légiférer. Dans certains pays africains, le débat sur le cannabis est un débat purement légal, comme en Tunisie ou au Sénégal, pays dans lesquels le modèle législatif d’origine francophone reste inflexible. La législation se base, en effet, principalement sur l’échelonnement de la jurisprudence sur les projets de loi et non sur les usages ou sur les débats parlementaires. Ces Etats pensent, parfois à tort, que la légalisation du cannabis conduirait à une certaine impunité pour les trafiquants de drogue.
L’Afrique a une place à prendre
Le potentiel du continent à se créer un espace au sein de cette industrie émergente est indéniable. D’autant que le marché est déjà dynamique.
Un spécialiste du secteur assure qu’« il y a aujourd’hui une place à prendre dans les techniques agricoles spécialisées qui aboutissent à des cannabinoïdes purs, comme la biosynthèse ». Pour ce chercheur, il faut cependant que, en parallèle, « les acteurs africains étudient les partenariats possibles avec des entreprises occidentales, spécialisées dans le cannabis, fortement capitalisées et établies, pour travailler sur une variété de produits dérivés ».
Un travail qui ne se fait pas en quelques mois. On le voit dans les pays pionniers du secteur en Afrique, confrontés à des lacunes au niveau des cadres de gouvernance et de l’incitation à l’investissement. Au Maroc, par exemple, les licences sont devenues inaccessibles. Et au Rwanda, les partenariats public-privé (PPP) et accords fiscaux pour les entreprises employant localement sont au point mort.
De surcroit, ces deux pays n’ont pas jugé bon de mettre en œuvre un système d’information sur ce sujet, qui permettrait d’inciter localement à se lancer dans cette industrie. « Il faudrait des programmes d’études pour aider à approfondir la compréhension de l’industrie et à améliorer l’ingéniosité africaine », résume notre spécialiste, qui assure que les botanistes africains ont pourtant le potentiel pour « créer des souches de cannabis brevetables, qui permettraient aux cultures originaires du continent de se démarquer sur un marché encombré mais rentable ».
Les ministres du Commerce et les négociateurs de la Loi sur le libre-échange continental en Afrique (AfCFTA) ont actuellement une marge de manœuvre, qui leur permettrait de réguler le secteur à l’échelle continentale. Pour ce faire, « il faut prévoir de solides règles de protection de la propriété intellectuelle et veiller à leur application en Afrique », indique un juriste. Reste à savoir si l’Afrique a réellement envie de s’imposer sur le marché du cannabis et, par conséquent, de garder la main sur le secteur, alors que la plante est aujourd’hui cultivée pour alimenter le secteur informel.