Il y a peu de résultats visibles sur le terrain après huit ans de guerre au Mali, estime Mady Ibrahim Kanté, maître de conférences.
La France a commencé à retirer ses troupes du nord du Mali dans le cadre de la réorganisation de ses forces anti-insurrectionnelles, déployées dans la région du Sahel au titre de l’opération Barkhane. Les bases de l’armée française à Kidal, à Tessalit et à Tombouctou seront fermées d’ici la fin de l’année et remises à l’armée malienne, mais le soutien aérien sera maintenu. Le contingent actuel sera toutefois réduit, passant de 5,100 soldats français à environ 3,000. Adejuwon Soyinka a demandé à Mady Ibrahim Kanté d’expliquer l’importance des ces changements.
Qu’est-ce qui a changé depuis la première intervention de la France en 2013 ?
La France est intervenue au Mali en 2013, « suite à la demande » du gouvernement de transition du président Dioncounda Traoré de l’aider à combattre le terrorisme. Le président français alors en exercice, François Hollande, avait déclaré que l’objectif de l’intervention était de « lutter contre le terrorisme ».
L’intention déclarée était de déployer des troupes françaises au Mali aux côtés de l’armée malienne pour empêcher les forces islamistes d’aller vers le sud. On pourrait, cependant, faire valoir que l’objectif stratégique de l’intervention était d’assurer la protection de la sécurité et des intérêts économiques français dans la région du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest.
Au départ, l’intérieur du Mali était le centre d’intérêt, mais la réalité a montré que le terrorisme est un phénomène transfrontalier. En fait, le but de l’intervention de la France était de parvenir à inverser l’effet domino qui lui permettrait de faire face aux groupes terroristes de la région et de s’imposer à nouveau au Sahel.
Mais il y a peu de résultats manifestes ou effectifs sur le terrain après huit ans de guerre au Mali. En outre, l’opinion publique a commencé à voir les choses autrement au fur et à mesure que les Maliens et l’autorité de transition du pays ont vu la situation sécuritaire du pays se dégrader de jour en jour.
Alors que l’intervention française était censée aider le Mali dans sa lutte contre le terrorisme, la crise dans la région s’est transformée en conflit ethnique interne. Dans la région de Mopti, des conflits opposent les Peuls aux Dogons et les Bambaras aux Peuls. À Tombouctou et à Gao, il y a des conflits entre les Touaregs et les Arabes, d’une part, et entre les Touaregs et les Songhaïs, d’autre part.
Selon un récent rapport de la Mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), les forces françaises sont confrontées à de nombreux défis en matière de protection des civils. La France est, par ailleurs, accusée par de nombreux Maliens, de protéger et de soutenir des groupes armés séparatistes à Kidal, une des régions désertiques du nord.
Il est donc clair qu’elle a perdu le soutien du gouvernement malien, qui a accusé Paris de former les terroristes responsables de l’instigation et de l’exacerbation de l’ethnicisme dans le pays.
En outre, devant le mécontentement exprimé par la population face à la présence des forces françaises au Mali, la France n’a eu d’autre choix que de réduire ses effectifs militaires.
La France laisse-t-elle le Mali en meilleur état ?
Il faut d’abord savoir que le Mali a des liens historiques forts avec la France puisqu’il s’agit d’une ancienne colonie française. Dans l’ensemble de la région du Sahel, la France reste la première puissance occidentale. Mais la plupart des Maliens ont commencé à douter de la sincérité de cette dernière, et cette méfiance n’a eu de cesse de gagner du terrain.
L’autre fait nouveau est que l’intérêt grandissant de la Russie pour la région. Si toutes les troupes françaises devaient s’en aller demain, les forces russes – sous l’égide du groupe Wagner – seraient prêtes à combler le vide, la Russie ayant la capacité de le faire.
La Russie en a la capacité et a démontré récemment en République centrafricaine sa capacité de faire face à l’une des plus graves menaces de ce pays. De plus, l’opinion publique malienne est favorable à l’arrivée des Russes.
Quel avenir pour le Mali ?
Abandonnée par ses anciens alliés, l’armée malienne est désormais sur le terrain sans drones militaires français ni soutien logistique américain.
À cela s’ajoute la situation politique précaire du pays, avec un changement de gouvernement à la suite du coup d’État en fin mai. Un mois plus tard, le 20 juillet, le nouveau président du gouvernement de transition, le colonel Assimi Goïta, était la cible d’une tentative d’assassinat à la Grande Mosquée de Bamako.
Deux scénarios sont alors possibles :
Le premier serait que le Mali signe un nouvel accord de coopération avec puissances mondiales, comme par exemple la Russie et son groupe Wagner.Aux yeux de certains Maliens et du gouvernement, ce sont les mieux placés pour gérer la situation.
Quant au second scénario, il consistera à entreprendre des négociations avec les djihadistes, une démarche purement et simplement rejetée par la France.
Je pense, toutefois, que le gouvernement malien privilégiera les négociations avec les deux terroristes maliens Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa, avec lesquels ils pourraient alors mener une bataille commune contre l’État islamique et les groupes terroristes non maliens dans le pays.
Mais, la France n’a pas quitté la région et par extension le Mali. Elle maintiendra sa présence par le biais de l’Alliance pour le Sahel, qui a été lancée en 2017 par la France, l’Allemagne et l’Union européenne. Elle travaille en étroite collaboration avec le G5 Sahel mis en place par le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger dans le cadre d’actions conjointes pour lutter contre le crime organisé et le terrorisme.
La stabilité n’est cependant pas pour demain. Un récent rapport sur la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) fait état de sérieux défis à relever pour ce pays et indique :
Dans une situation de plus en plus difficile sur le plan de la sécurité, des moyens aériens additionnels sont de toute urgence nécessaires pour permettre à la Mission de continuer à assurer la bonne mise en œuvre de son mandat.
Mady Ibrahim Kanté, Maître de conférences, Université des sciences juridiques et politiques de Bamako
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.