Le Nigéria est le sixième pays du monde, et le premier en Afrique, à lancer sa cryptomonnaie. L’eNaira concurrencera-t-il le Bitcoin sur le continent ?
Le président du Nigéria, Muhammadu Buhari, vient de dévoiler la cryptomonnaie lancée par les autorités financières de son pays. L’eNaira est une monnaie électronique échelonnée sur la monnaie nationale, mais dont le fonctionnement dépasse celui d’une simple duplication.
Depuis avril, la Banque centrale du Nigéria (CBN) avait interdit les comptes en devises électroniques pour les particuliers, mettant un coup d’arrêt à l’expansion des finances parallèles dans le pays. Ce qui avait signifié la fin officielle des cryptomonnaies les plus populaires — Bitcoin ou encore Ethereum — pour les 207 millions d’habitants. Cette décision avait alors provoqué un tollé dans les médias et auprès de la jeunesse nigériane. Le Nigéria est le second pays d’Afrique en termes de flux de monnaies électroniques, et les cryptomonnaies étaient devenues courantes dans le monde des affaires.
Afin de répondre aux aspirations de la jeunesse nigériane, la CBN a annoncé le développement du eNaira en juin dernier. Prévue pour être lancée en 2022, la cryptomonnaie est finalement entrée en phase de test fin juillet. Le eNaira sera donc accessible au grand public dès aujourd’hui, et dans la communauté mondiale des traders, tous les regards se tournent vers le Nigéria. En effet, le eNaira part déjà avec plus de 30 millions d’utilisateurs potentiels, et le marché juteux du commerce électronique nigérian n’est plus accessible qu’avec cette cryptomonnaie.
Un développement rapide
Les spécialistes s’attendent à des soucis techniques lors du lancement du eNaira. Les prochains jours feront, en effet, office de test grandeur nature pour les data centers de la CBN. Le lancement du eNaira sera aussi primordial pour les trois acteurs clés de son développement.
Tout d’abord, les enjeux pour le président Muhammadu Buhari sont importants : le président nigérian a pris de plein fouet les critiques quant à sa position envers les géants des TIC. D’abord en raison de la suspension des cryptomonnaies, ensuite avec le lancement d’Amazon Web Services (AWS) — qui monopolise le cloud des institutions étatiques nigérianes —, et enfin après son différend avec Twitter, qui a été suspendu pendant plus de trois mois au Nigéria. Buhari n’a donc d’autre choix que la réussite de son eNaira pour faire baisser la pression sur son gouvernement, déjà hautement critiqué par la presse internationale et l’opposition nigériane.
Ce lancement est également un défi pour , la reine de la sécurité informatique financière de la CBN, Rakiya Mohammed, qui est le visage du eNaira, qui était initialement prévu pour être un projet de numérisation de la monnaie physique, le naira, et qui a été changé en monnaie fiduciaire étatique (CBDC). Cela signifie que le contrôle du flux de eNaira, sa sécurité et son accessibilité seront assurés par la directrice de technologies des informations de la CBN. Rakiya Mohammed est, en effet, devenue une figure publique de premier plan depuis plusieurs mois. En cas de succès de la cryptomonnaire, la jeune femme pourrait briguer une carrière politique.
Une influence américaine
Mais c’est surtout vers le codage du eNaira que les regards se tournent. Certes, la sécurité des serveurs de la CBN semble être assurée. Mais pour une CBDC, l’essentiel est que la monnaie, ses applications et ses accès soient impénétrables. Et la cybersécurité sera assurée par une fintech américaine, Bitt Inc, dirigée par l’homme d’affaires américain Brian Popelka.
Un nom inconnu en Afrique. Cependant, Popelka est un faiseur de miracles aux Etats-Unis. Il a rejoint l’équipe d’Overstock en 2002 et a sauvé la plateforme de commerce électronique d’une disparition que l’on pensait inévitable. En 2016, Overstock est devenu le premier concurrent d’eBay, grâce à la vente des vieux supports de musique, de jeux vidéo et de vieilles licences de logiciels abandonnés (abandonware). Popelka a fondé Bitt Inc en 2017 et s’est installé sur l’île de la Barbade, où sa proximité avec la gouverneure et possible future présidente, Sandra Mason, lui a permis de gérer les finances du pays. Ainsi, Popelka a déployé le premier produit de Bitt Inc, mMoney, dans les banques de l’île, un paradis financier particulièrement sécurisé.
Une future réussite du eNaira signifierait donc, pour Popelka, une porte d’entrée vers Afrique. Il faut rappeler que dans d’autres pays, comme le Kenya ou l’Afrique du Sud, le terrain est plus que propice pour le commerce et les finances électroniques.