Face aux coups d’État frappant l’Afrique de l’Ouest, il est nécessaire de sortir d’une analyse ramenant ces phénomènes à des dynamiques locales et de prendre en compte les causes internationales, estime le chercheur Bakary Sambe.
Comment expliquer les nombreux coups d’État qui surviennent en Afrique de l’Ouest et qui relèvent des « nouvelles pathologies de la démocratie » – qu’ils prennnent la forme d’interventions militaires contre le pouvoir civil ou de violations de la Constitution visant à permettre à des présidents sortants d’effectuer un mandat supplémentaire ? Ces phénomènes récurrents ne peuvent être analysés sous le seul point de vue local d’une nature des régimes qui serait particulière sous nos tropiques.
Au niveau global, le politologue américain Larry Diamond attribuait ces « vents défavorables à la démocratie » à une combinaison entre « la colère russe », « la complaisance américaine » et « l’ambition chinoise ». Il aurait dû ajouter un phénomène non moins déterminant : le pragmatisme diplomatique, pratique globalisée qui revient, pour les grandes puissances, à défendre avant tout leurs intérêts stratégiques.
C’est sur cet autel des intérêts stratégiques immédiats que sont souvent sacrifiés les sacro-saints principes de démocratisation évoqués durant les années 1990. De l’eau a coulé sous les ponts depuis la conférence de La Baule convoquée par François Mitterrand en 1990, du temps où les puissances occidentales s’érigeaient en défenseurs des valeurs démocratiques. Cette conférence avait insisté, entre autres, sur la nécessité d’instaurer un multipartisme dans les pays africains comme condition de l’aide et du soutien économique de la France.
Face aux coups d’État, la faillite des instances régionales
Ces vents défavorables à la démocratie ne sont plus le seul fait d’un climat tropical qui serait « naturellement » hostile à l’État de droit. Ils proviennent aussi des inconséquences des puissances occidentales, qui semblent pousser le réalisme diplomatique à un niveau jamais observé durant ces dernières décennies.
Les instances régionales africaines ne font pas mieux et sont victimes du discrédit du leadership politique mais aussi de l’image de « syndicats de chefs d’État » dont les affublent les populations, qui voient en elles les symboles mêmes d’une gouvernance antidémocratique, dont les leaders s’empressent de condamner les coups de force militaires mais ne se gênent pas pour mettre en place des « coups d’État constitutionnels » afin de perdurer au pouvoir.
En effet, sur la scène politique ouest-africaine, les coups d’État sont, toujours, immédiatement condamnés puis, progressivement, admis et finalement validés pour une durée à laquelle il suffit de coller l’appellation de « transition ». Le lifting démocratique est ainsi réussi et l’opération de normalisation des régimes issus de coups d’État se poursuit sans entraves.
Même la durée des transitions est déterminée par la capacité des juntes militaires à manœuvrer avec un système démocratique qu’ils ont désormais appris à torpiller de l’intérieur.
Ce recul est dû à des causes internes, qu’il semble de plus en plus vain de tenter d’expliquer, au vu de la surabondance de la littérature qui leur est consacrée. Mais il faudrait aussi analyser ces causes sous l’angle des contradictions et des inconséquences, aussi bien des organisations régionales africaines que de la communauté internationale.
La désillusion démocratique
Il y a d’abord les effets de la désillusion démocratique. Suivant le mouvement global de « la fin de l’Histoire » cher à Francis Fukuyama, la conférence de la Baule annonçait un processus de démocratisation, avec ses conférences nationales aboutissant au multipartisme dans les pays africains.
Promesse leur avait été faite d’un développement économique qui suivrait – dans l’idéal – le respect strict des orientations des politiques d’ajustement structurel et de privatisation de l’économie, indispensables aux investissements étrangers. On connaît la suite.
Entretemps, le multipartisme qui devait achever le processus démocratique réveilla le spectre de l’ethnicisme et du régionalisme, allumant le feu des conflits intercommunautaires qui fait toujours rage sur le continent. Aujourd’hui, ces conflits sont ravivés par les effets du terrorisme et du radicalisme religieux au Sahel.
Finalement, après des décennies, ni la démocratie ni la paix durable ne furent au rendez-vous en Afrique de l’Ouest. Les organisations régionales ou sous-régionales sont-elles victimes de l’image des leaders politiques qui les incarnent ou sont-elles aussi tombées dans le piège de leurs partenaires du Nord, qui ne jurent que par la stabilité, même au prix d’énormes concessions à des régimes antidémocratiques ou à des juntes militaires ?
L’abandon international face aux réalités « politico-diplomatiques », nid du populisme religieux
Ces dernières années, aucune élection présidentielle contestée n’a été invalidée ni par la Cédéao, ni par l’Union africaine, ni par les organisations internationales, qui finissent toujours par constater stoïquement le statu quo « malgré les incidents mineurs constatés çà et là qui, toutefois, ne portent pas atteinte à la sincérité du scrutin ». Cette expression est désormais consacrée et fleurit dans les rapports des observateurs internationaux, devenus impuissants devant les réalités « politico-diplomatiques ».
Avec une telle situation, on dirait que, paradoxalement, l’épée de Damoclès militaire s’est progressivement substituée à la hantise des sanctions occidentales du FMI ou de la Banque mondiale. D’ailleurs, ces menaces de sanctions n’ont plus beaucoup d’effet dans un contexte fortement marqué par un multilatéralisme déréglé.
Dans les années 1980-1990, lorsqu’un régime de n’importe quel pays africain enfreignait les règles du jeu démocratique, il s’exposait aux sanctions financières des partenaires internationaux, notamment occidentaux. Cette crainte est aujourd’hui complètement dissipée par la disponibilité de fonds alternatifs, parfois beaucoup plus importants, de la part de pays moins regardants sur la transparence ou le respect des droits humains tels que ceux du Moyen-Orient ou d’Asie désignés comme « donateurs autoritaires » dans les cercles de la coopération internationale. C’est un soulagement pour tous les régimes mais un supplice pour les sociétés civiles africaines.
Elles sont non seulement devenues orphelines de partenaires internationaux avec lesquels elles partageaient les mêmes valeurs démocratiques mais de plus en plus bousculées par des mouvements religieux ou populistes se saisissant de la fibre nationaliste, célébrant même des coups d’État (comme récemment au Mali) : ici se fait ressentir un autre vent défavorable à la démocratie.
L’avenir de la démocratie paraît sombre sous nos tropiques, où les anciens régimes vieillissent mal tandis qu’à l’horizon pointent de nouveaux mouvements populistes se nourrissant, au besoin, de la manipulation des symboles religieux. Pour se donner une légitimité qu’ils ont depuis longtemps perdue en matière politique, les États, qui ne sont plus pourvoyeurs de citoyenneté et de sécurité, les concurrencent dans cette course folle. Les acteurs politiques suivent le même chemin, eux aussi sans perspectives à offrir à une jeunesse désemparée, et se jettent dans les bras de religieux qui ont le vent en poupe au Sahel, à contre-courant de l’édification de sociétés véritablement démocratiques.
Bakary Sambe, Directeur régional de Timbuktu Institute. Enseignant chercheur au Centre d’étude des Religions, Université Gaston Berger
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.