L’exploitation et les abus auxquels nécessitent une réaction plus pro-active et moins passive, selon le professeur Chen Reis.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) est sous le feu des critiques après que des allégations d’exploitation et d’abus sexuels ont fait surface le mois dernier. Plus de 50 femmes ont accusé des travailleurs humanitaires de plusieurs organisations de crimes commis lors de la dixième épidémie d’Ébola en République démocratique du Congo.
Face à ces allégations, L’OMS a ouvert une enquête indépendante qui a identifié 83 auteurs présumés, dont 21 personnes ayant travaillé pour elle pendant la riposte au virus Ébola. L’enquête a mis en évidence le manque de direction des responsables de la lutte contre le virus Ébola et des personnes chargées de lutter contre les délits commis par des employés et des partenaires.
Le cas de l’OMS n’est malheureusement que le dernier d’une longue série de scandales d’exploitation sexuelle signalés au sein des Nations Unies et des systèmes humanitaires depuis les années 1990.
Les Nations Unies et les systèmes humanitaires, dont l’OMS fait partie, cherchent depuis des décennies à résoudre ce problème en évaluant les systèmes organisationnels, en créant des outils, en élaborant des politiques et en proposant des formations.
En 2010, le comité permanent inter-organisations, un mécanisme clé de la coordination humanitaire mondiale, a même procédé à un examen des organisations membres afin de savoir comment prévenir l’exploitation et les abus sexuels et y faire face. Il a constaté un manque d’engagement et de soutien de haut niveau pour cette activité ainsi qu’une mise en œuvre incohérente des politiques qui ont donné lieu à un examen externe de suivi est actuellement en cours.
Malgré tout, la maltraitance des femmes et des enfants vulnérables persiste.
Mes recherches et mon travail sur l’aide humanitaire et la violence sexuelle indiquent que la culture de l’organisation et du système peut être un obstacle à la prise de mesures appropriées. Les dirigeants des organisations humanitaires doivent privilégier la prévention. En outre, les compétences en la matière doivent être mobilisées et les organisations humanitaires doivent travailler en étroite collaboration avec les organisations féminines locales.
Voici quelques idées clés sur la manière dont les organisations humanitaires pourraient mieux prévenir l’exploitation et les abus sexuels et y faire face.
S’attaquer à la violence sexuelle
Les survivants et leurs besoins doivent être au centre des systèmes de signalement, d’enquête et d’intervention.
Le rapport de l’OMS a fait référence à plusieurs incidents au cours desquels la protection de la réputation de l’organisation semble avoir été la principale préoccupation, contrairement à la révocation des coupables et au soutien aux survivants. Les expériences, les besoins et les souhaits des victimes et des survivants doivent primer sur le reste.
Les rapports ne sont que la partie émergée de l’iceberg et les survivants rencontrent de nombreuses contraintes qui les empêchent de dénoncer l’exploitation et les abus sexuels.
Les organisations doivent se concentrer sur la sécurité et le bien-être des victimes et des survivants en temps opportun et leur priorité ne devrait pas consister à minimiser les préjudices causés à l’organisation et à son personnel.
Des politiques strictes en matière d’exploitation et d’abus sexuels sont essentielles mais insuffisantes.
Les organisations doivent mettre en œuvre des politiques qui régissent la conduite du personnel et des organisations partenaires avec lesquelles elles travaillent sur le terrain. Même si la commission a bien noté que le cadre juridique et politique de l’OMS en matière d’exploitation et d’abus sexuels était adéquat, elle a également constaté que cette organisation n’était « absolument pas préparée à faire face aux risques ou aux cas d’exploitation et d’abus sexuels ».
Les organisations doivent appliquer des politiques visant à prévenir et à combattre l’exploitation et les abus sexuels et à exiger que les contrevenants rendent des comptes aux auteurs de ces forfaits.
Tout ceci nécessite, en plus du personnel et des ressources, le soutien politique des États membres, des responsables humanitaires et des organisations.
Les donateurs devraient soutenir généreusement les efforts visant à mettre en place des mécanismes solides destinés à prévenir et à combattre l’exploitation et les abus sexuels. Des fonds doivent également être mis à la disposition des survivants pour les assister et les dédommager.
Plus de femmes doivent occuper des postes de direction et d’autres fonctions dans les interventions d’urgence.
D’après le rapport de la commission, sur les quelque 2 800 personnes travaillant pour l’OMS dans le cadre de la lutte contre Ébola, plus de 73 % étaient des hommes tout comme les 77 % occupant des postes de direction. Tous les hauts responsables qui ont été mis en cause pour n’avoir pas appliqué la politique de tolérance zéro de l’OMS étaient des hommes. La prédominance des hommes aux postes de direction peut contribuer à une culture organisationnelle et à un environnement propices au harcèlement et à l’agression des femmes.
Recruter plus de femmes à tous les niveaux de la réponse humanitaire permettrait de mieux répondre à la diversité des besoins d’aide, ce qui pourrait changer les performances des systèmes humanitaires et modifier la culture organisationnelle.
Les acteurs humanitaires doivent s’associer aux organisations féminines locales et les soutenir.
Les organisations féminines locales contribuent à l’apport de connaissances culturelles et historiques et jouissent d’une certaine crédibilité au sein des communautés, pouvant permettre de trouver une riposte plus efficace et plus responsable. Elles peuvent aussi contribuer à une riposte plus efficace et plus responsable. Elles peuvent aussi être des alliées potentielles de taille par rapport au contrôle et au filtrage du personnel local. Elles peuvent promouvoir la participation des femmes autochtones et faire en sorte que les femmes vulnérables soient informées des politiques des organisations internationales, notamment où et comment signaler un incident.
Les spécialistes de la prévention de l’exploitation et des abus sexuels et de la lutte contre ces atteintes doivent collaborer à la conception et à la mise en œuvre des interventions d’urgence.
Face à des crises aiguës et à des épidémies mortelles, la prévention de l’exploitation et des abus sexuels et la réponse aux accusations doivent être prises au sérieux et planifiées.
Le rapport de la commission indépendante a relevé des manquements dans l’adoption de mesures appropriées en matière de sélection et de formation du personnel. L’OMS a nommé quelques points focaux chargés de s’occuper de cette question, mais sans indiquer clairement les compétences et les mandats qui leur étaient attribués.
Le traitement d’un problème aussi important que l’exploitation et les abus sexuels ne devrait pas être confié à un point focal, surtout si la personne déléguée a d’autres responsabilités et pourrait ne pas avoir suffisamment de connaissances ou de pouvoirs pour agir. Cette démarche fait penser à exercise consistant à remplir une sipmle formalité et montre que l’organisation n’en fait pas une priorité.
Les organisations devraient recruter des équipes d’experts spécialisés dans la lutte contre l’exploitation et les abus sexuels pour toutes leurs opérations, soumettre régulièrement leurs programmes à l’appréciation d’experts indépendants et tirer des leçons de ces évaluations.
L’exploitation et les abus sexuels nécessitent une réaction plus pro-active et donc moins passive. Au lieu de céder aux lenteurs bureaucratiques et à l’inaction, l’OMS devrait apporter des réponses aux rapports d’abus et d’exploitation sexuels à l’instar des rapports de cas de maladies infectieuses, telles qu’Ébola, en ouvrant une enquête rapide et approfondie menée par des experts.
Toutes les organisations humanitaires devraient se pencher de manière proactive sur leurs activités visant à prévenir ces situations et à les combattre, et se concentrer sur le respect des meilleures pratiques. Le moment est venu de faire de la rhétorique de la tolérance zéro une réalité.
Chen Reis, Associate Clinical Professor and Director, Humanitarian Assistance Program, University of Denver
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.