Dans l’espace de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, les voyageurs doivent obligatoirement effectuer, à leurs frais, de coûteux tests de dépistage de la Covid-19.
Le paiement du test Covid-19 rendu obligatoire pour chaque voyageur est en passe de devenir un outil de mobilisation de ressources financières pour les États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Cette institution regroupe le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.
Sans aborder le débat sur les utiles mesures de protection sanitaire contre la Covid-19, il est néanmoins opportun de prendre conscience de l’émergence de plates-formes de collecte de fonds mises en place par les États ouest-africains après l’ouverture des frontières aériennes le 1ᵉʳ août 2020.
La chronologie des impacts sur l’économie des mesures anti-Covid
Au tout début de l’apparition de la pandémie, un certain nombre de mesures avaient été prises dans ces pays. Elles ont progressivement évolué : fermeture des marchés, confinement partiel, confinement total, mise en place du travail à distance, etc. Puis, un niveau supérieur de restrictions fut atteint avec la fermeture des frontières aériennes et terrestres.
Ces mesures avaient peu ou prou étouffé les économies de la région si bien que, parfois, les marchés ont été rouverts de façon précoce. Ce fut notamment le cas du marché central de Ouagadougou).
La vie active a progressivement repris ses droits dans l’ensemble de ces pays, avec la levée de certaines mesures barrières, jusqu’à l’ouverture des frontières aériennes. Quant aux frontières terrestres, elles restent toujours globalement fermées même si, notons-le, une réouverture prochaine est envisagée.
Des tests plus chers pour les passagers prenant l’avion
Derrière l’ouverture des frontières aériennes se développe un système de collecte de fonds via l’instauration du test obligatoire de Covid-19 pour chaque voyageur. Ceux ci doivent passer par des plates-formes robustes et – souvent – intuitives, comme c’est le cas au Burkina Faso ou ailleurs dans la sous-région. Les voyageurs qui décident d’utiliser la voie aérienne pour se rendre dans un pays voisin doivent payer chacun 25 000 francs CFA ; ce coût sera de 5 000 francs CFA pour ceux qui opteront pour la voie terrestre quand ces frontières seront ouvertes de nouveau.
Une question demeure : pourquoi, pour le même test, faudrait-il payer deux montants différents selon que le voyageur opte pour la voie aérienne ou terrestre ? Les laboratoires mobilisent en effet la même énergie et la même technologie pour réaliser les tests sur les voyageurs empruntant la voie aérienne et sur ceux empruntant la voie terrestre. Ces deux tests ne devraient-ils pas être proposés au même prix ?
L’une des explications réside dans le fait que les coûts des tests ont été stratégiquement fixés en fonction des flux créés par ces deux types de voyageurs. De fait, les voyageurs empruntant les voies terrestres semblent être plus nombreux que ceux qui prennent l’avion dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest. Les tests à 5 000 francs CFA réservés aux voyageurs traversant les frontières terrestres concerneraient donc un grand nombre de personnes, permettant aux États de récolter des montants très élevés malgré le faible prix individuel grâce à l’effet de masse. Ce qui est problématique ici est que, dans certains États, on ne prend pas en compte les résultats des tests réalisés dans les autres pays membres, comme c’est le cas au Togo. La règle est que chaque voyageur fasse le test payant, à l’arrivée comme au départ.
Des laboratoires, des frontières et des flux
Après s’être dotés de laboratoires de dépistage performants, les pays de l’UEMOA semblent avoir trouvé un vecteur de collecte de fonds auprès des voyageurs. Le flux journalier de voyageurs par voie aérienne dans des pays comme le Burkina Faso, le Togo, le Sénégal ou encore la Côte d’Ivoire montre que ces fonds pourraient être un moyen opportun de combler les déficits budgétaires liés en partie au ralentissement des activités économiques dans le contexte de la Covid-19.
La porosité de fait des frontières terrestres mais aussi l’insécurité croissante pourraient expliquer les réticences à les rouvrir et les atermoiements dont font preuve les gouvernants. Dès lors, face à l’insécurité, les voyageurs appartenant à la classe moyenne optent pour la voie aérienne tandis que les plus pauvres traversent discrètement les frontières par voie terrestre sans faire le test Covid-19, sous le regard impuissant des États membres.
La Covid-19 comme outil de management ?
La Covid-19, en plus d’offrir des possibilités de collecte de fonds, constitue pour certains États de la zone UEMOA un moyen de convocation de certaines mesures coercitives, notamment à des fins politiques. Nous avons par exemple observé que, pendant des moments de fortes tensions entre les syndicats et certains gouvernements de la région, le durcissement des mesures barrières contre le Covid-19 a permis de maîtriser et/ou de calmer des situations qui auraient pu aboutir à une remise en cause des pouvoirs politiques en place. Ce fut notamment le cas dans la gestion des grèves des syndicats des travailleurs au Burkina Faso. De ce point de vue, la crise sanitaire a été utilisée comme un outil de management. Nous pouvons ici reprendre la notion économique d’« effet d’aubaine » pour souligner à la fois cet effet sur l’innovation en Afrique mais aussi sur la gouvernance des populations africaines.
Une mise en perspective avec le financement participatif
Finalement nous traversons depuis 2020 une situation pleine d’apprentissages à la fois en termes de santé publique, de technologies mobilisées, de gouvernance des flux, de financement et d’activité socio-économique.
Les populations devraient pouvoir en tirer des leçons en appliquant en leur sein les modèles développés par les États de la région depuis l’apparition de la pandémie. Ceux-ci ont montré qu’il est possible de mobiliser des fonds importants à travers des petites contributions financières individuelles via des plates-formes robustes et fiables. Tout repose sur le nombre élevé des personnes concernées et mobilisées. Les populations de l’UEMOA devraient s’en inspirer pour, par exemple, renforcer le financement participatif en vue de réaliser des projets stratégiques de résilience.
Seydou Ramdé, Docteur en Sciences de Gestion, Université Aube Nouvelle
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.