Très actif lors de la crise politique gambienne de 2016, le président sénégalais Macky Sall observe avec attention la situation dans le pays voisin. Notamment l’alliance entre les partis du président Adama Barrow et de Yahya Jammeh.
L’alliance politique, annoncée le 5 septembre dernier, entre le Parti national du peuple (NPP), du président gambien Adama Barrow, et l’Alliance patriotique pour la réorientation et la construction (ARPC), de son prédécesseur Yahya Jammeh, a fait beaucoup parler en Gambie, où la question d’une réconciliation nationale avec ou sans l’ancien dictateur fait débat.
On est loin de 2016, où Jammeh avait été chassé du pouvoir par un Adama Barrow jusqu’ici inconnu. A l’époque, le président sénégalais Macky Sall avait joué un rôle important. Le chef d’Etat avait, en décembre 2016, appuyé la victoire d’Adama Barrow. Le refus de Yahya Jammeh de céder le pouvoir avait alors inquiété Macky Sall, qui avait pris l’initiative, après les échecs de l’ONU et de la Cedeao, de pousser Jammeh à accepter la défaite. Le président sénégalais avait alors menacé le président gambien sortant d’intervenir militairement, déployant des soldats sénégalais et la marine nigériane le long des frontières gambiennes.
Depuis la passation du pouvoir, les relations entre la Gambie et le Sénégal ne cessent de s’améliorer sur tous les plans. Entraide judiciaire, commerce, transports… De nombreux accords de coopération sont signés chaque années entre la Gambie et le Sénégal, qui ont mis en place un « conseil présidentiel sénégalo-gambien » annuel. L’alliance politique entre les partis d’Adama Barrow et Yahya Jammeh peut-elle fragiliser les rapports entre les deux voisins ?
Barrow et Sall, une relation gagnant-gagnant
Alors que le NPP et l’ARPC annonçaient leur alliance, le Sénégal a déployé plus de 600 Casques blancs dans le cadre de la Micega, la mission de la Cedeao en Gambie. Cette force mandatée par l’ONU, estimée à 7 500 soldats, a le droit d’intervenir en cas de menace sur le sol gambien. Avec une majorité de soldats et équipements sénégalais et nigérians, l’activité des militants de Yahya Jammeh pourrait bien faire l’objet d’une étroite surveillance de la part de la Micega.
Cependant, les Casques blancs ont en ligne de mire l’élection présidentielle gambienne de décembre. La communauté internationale a tout intérêt à ce que le scrutin se déroule de façon paisible. Seulement voilà, la coalition de l’opposition, le Parti démocratique unifié (UDP), qui a fait élire Adama Barrow en 2016, se sent aujourd’hui trahie. La conseillère en communication du président, Fatou Jaw-Manneh, a démissionné, estimant que Barrow « a ouvert la boite de pandore » en s’alliant avec l’ARPC de Jammeh. Plus tôt, c’est un désaccord entre Adama Barrow et Ousainou Darboe, son vice-président, qui avait provoqué une crise interne à l’UDP.
L’opposition est donc aujourd’hui partagée : si les votes en faveur d’Adama Barrow seront conditionnés par une prise de position politique claire contre Yahya Jammeh, le président gambien reste très populaire. D’autant que l’amitié entre Macky Sall et Adama Barrow a été bénéfique au pays. La Gambie enregistre aujourd’hui un volume d’échanges quotidiens de 1,3 million de dollars avec le Sénégal, contre 56 000 dollars en 2014. De plus, vue du Sénégal, la stabilité gambienne est bénéfique, contribuant grandement au calme dans la région frontalière de la Casamance, qui a connu des décennies de violences provoquées par les sécessionnistes Diola.
Le retour de Jammeh est-il vraiment possible ?
Un retour de Yahya Jammeh en Gambie pourrait représenter un risque pour la stabilité de la région. D’origines Diola, et avec son soutien actif du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) dans le passé, Jammeh avait largement attisé la haine raciale dans le sud sénégalais. Si la situation semble stable, elle reste néanmoins fragile : lors des troubles politiques au Sénégal en mars dernier, les manifestants casamançais avaient été porteurs de slogans violents. La région du sud sénégalais est la seule et unique qui connait encore des tiraillements ethniques.
Malgré l’alliance entre le NPP et l’ARPC, Macky Sall devrait logiquement soutenir Adama Barrow. Il en va de la sécurité et de la stabilité politique en Gambie. Reste donc la question d’un éventuel retour de Yahya Jammeh. Celui-ci représenterait un échec de la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC), qui travaille depuis de longs mois sur les crimes perpétrés par le régime Jammeh, durant 22 années. Le Sénégal se pose désormais en observateur attentif de la situation en Gambie. Adama Barrow, quant à lui, ne s’est pas encore exprimé sur les conditions de son alliance avec l’ARPC, laissant le parti de Jammeh communiquer seul : le président gambien amnistiera-t-il Yahya Jammeh contre une réconciliation nationale espérée ? Acceptera-t-il la demande de Yahya Jammeh de revenir en Gambie ? Ou des procès contre le dictateur auront-ils finalement lieu ? Adama Barrow dispose d’un large panel d’options. Il a encore trois mois pour prendre la décision qui satisfera un large électorat.