A la suite de son coup d’Etat du 5 septembre en Guinée, le chef du CNRD, Mamady Doumbouya, a annoncé la mise en place d’un gouvernement de transition. Qui dirigera la transition guinéenne aux côtés des putschistes ?
Comme au Mali un peu plus tôt, la gouvernance de la Guinée après le coup d’Etat devrait inévitablement passer par la case du « gouvernement d’unité nationale ». Certes, la junte en Guinée assume son coup de force qui a mis fin au règne d’Alpha Condé. Mais d’ores et déjà, il est question de former un gouvernement composé notamment de civils, comme le souhaite la communauté internationale. Si la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) délibère encore sur les futures sanctions à appliquer au pouvoir militaire guinéen — une mission diplomatique de la Cedeao s’est rendue à Conakry ce jeudi 9 septembre —, l’Union africaine (UA), l’ONU et les pays occidentaux ne tarderont pas à emboîter le pas à l’instance ouest-africaine en demandant à Mamady Doumbouya des garanties.
Même si Mamady Doumbouya compte diriger la Guinée pendant une durée qui devra être définie, un Premier ministre civil devrait rapidement être désigné, au risque que l’Etat guinéen risque d’être sous le coup d’un embargo. Si, au Mali, les réactions avaient été tardives et parfois timides, le contexte est d’autant plus urgent en Guinée, alors que trois voisins du pays ont condamné individuellement le coup d’Etat : la Sierra Leone, le Libéria et la Côte d’Ivoire.
L’occasion pour les opposants d’Alpha Condé de monter au créneau un par un. Ainsi, l’opposant historique Cellou Dalein Diallo a rapidement annoncé son soutien au coup d’Etat, en apportant cependant quelques réserves. Diallo a fait part de ses « inquiétudes » quant à la feuille de route à adopter pour la transition. Le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD), en attendant d’annoncer un calendrier et des mesures, a fait libérer 700 prisonniers d’opinion ou des opposants accusés par le régime d’Alpha Condé de vouloir le renverser. Autant dire que la valse des noms pour la primature s’annonce particulièrement intéressante. Du Collectif pour la Transition en Guinée (CTG) d’Ibrahim Sorel Keïta à l’ancien Premier ministre de la transition Kabiné Komara, en passant par Cellou Dalein Diallo, nombreux sont ceux qui peuvent prétendre à un poste dans le futur gouvernement. Encore faut-il que Mamady Doumbouya leur offre des garanties quant à sa vision politique.
Les dinosaures de l’armée guinéenne appelés en renfort
Mais avant que les civils ne prennent le pouvoir, ce sont bien les militaires du CNRD qui sont aujourd’hui au pouvoir. Après dix ans de réclusion, le commandant Alpha Oumar Diallo, alias « AOB », a été libéré par la CNRD. Le militaire, qui a été accusé de tentative d’assassinat contre Alpha Condé en 2010, avec une trentaine de soldats, a foulé à nouveau les rues de Conakry sous les applaudissements et les cris de joie d’une foule importante. « AOB » n’est pas un proche du CNRD, mais il pourrait vite le devenir. Le militaire était le bras droit du général Nouhou Thiam, décédé en 2020 et proche de Moussa Dadis Camara, le chef de la junte qui avait conduit le dernier coup d’Etat en Guinée entre 2008 et 2010. Alpha Oumar Diallo serait un allié de taille pour conduire la transition, d’autant que Doumbouya a besoin du soutien de toute l’armée guinéenne afin de réussir sa transition.
Selon la presse guinéenne, le retour en Guinée de deux autres militaires, eux aussi autrefois écartés par Alpha Condé, est imminent. Le général Boundouka Condé, actuel attaché militaire de l’ambassade de Guinée en Allemagne et ami de l’ancien président de la transition guinéenne Sékouba Konaté, et le général Aboubacar Sidiki Camara, alias « Idi Amin » en raison de son physique impressionnant, actuellement ambassadeur de Guinée à Cuba, pourraient avoir été rappelés par le CNRD. Ancien chef d’état-major adjoint pendant le premier mandat d’Alpha Condé, « Idi Amin » avait dû s’exiler à cause de sa tendance socialiste et de son influence grandissante au sein de l’armée. Le militaire serait à Conakry depuis mardi et aurait même déjà rencontré Mamady Doumbouya. Il est pressenti comme ministre de la Défense dans le prochain gouvernement de transition.
Quels civils dans le gouvernement ?
Du côté des soldats et anciens militaires, Mamady Doumbouya devra donc s’appuyer sur des civils. Mais la liste des opposants crédibles reste restreinte. Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), a été Premier ministre sous Lansana Conté. Diallo est aujourd’hui le chef de file naturel de l’opposition politique. Le meilleur ennemi d’Alpha Condé se dit « soulagé » de la chute de l’ancien président. Il se dit aussi « inquiet » car « lorsque les militaires viennent au pouvoir, ils restent souvent plus longtemps que prévu ». Le CNRD de Mamady Doumbouya, même s’il a libéré plusieurs partisans de Cellou Dalein Diallo, ne semble pas lui porter beaucoup d’égards. Un meeting organisé par l’UFDG en soutien au coup d’Etat a même été refusé. Une alliance du CNRD avec Dalein Diallo serait naturelle, mais ressemble pour Doubouya à un choix par défaut.
Parmi les prétendants à un poste dans le futur gouvernement, le Premier ministre d’Alpha Condé, Ibrahima Kassory Fofana espère jouer sa carte. Allié politique du président déchu, il a répondu présent à la cérémonie organisée par Mamady Doumbouya au lendemain du putsch. Il s’est vu retirer son passeport et a été gentiment exhorté à rejoindre le nouveau pouvoir de Conakry, comme tous les ministres et chefs d’entreprises publiques et d’administrations de l’Etat. Kassory Fofana n’a pas bronché et le technocrate-en-chef de l’économie guinéenne a donc une chance de poursuivre l’aventure, lui qui connaît bien les rouages de l’Etat. Sa désignation dans un gouvernement d’unité nationale pourrait plaire aux instances financières et diplomatiques internationales — il est le premier interlocuteur du FMI et de la BAD — et serait un message fort envoyé par Doumbouya à la communauté internationale.
D’autres noms de civils circulent : l’ancien ministre de la Justice, Cheick Sako, avait démissionné en 2019, dénonçant la modification de la Constitution qui permit à Alpha Condé de se maintenir au pouvoir. L’avocat, proche de l’ONU et éminent juriste, a une réputation de « Mr Propre » en Guinée. Il a en outre défendu la cause des victimes du massacre du stade de Conakry, lorsque les soldats de la junte de Dadis Camara avaient tué 157 manifestants de la société civile et violé des dizaines de femmes, provoquant ainsi l’implosion de la junte en 2009. Le nom de l’ex-Premier ministre Kabiné Komara ressort également. Consensuel, Komara a déjà dirigé une transition et bénéficie d’une belle image à l’international. Reste à savoir quelles seront les exigences de la communauté internationale et de la Cedeao, qui demanderont certainement que Mamady Doumbouya s’appuie sur un gouvernement mixte, qui réunirait militaires et civils.