L’échec de l’armée américaine après la chute de Kaboul, désormais aux mains des Talibans, fait penser au Mali. Le pays africain risque-t-il d’être confronté à un scénario afghan ?
La chute de Kaboul a provoqué un séisme mondial. Un électrochoc qui s’est propagé jusqu’en Afrique. Au Mali, notamment, confronté à une guerre sans fin contre le terrorisme, la question de l’échec de l’appui militaire international fait débat. Alors que le président français a récemment annoncé la fin de l’opération Barkhane dans sa forme actuelle, un retrait progressif des troupes françaises peut-il déboucher sur un scénario afghan dans le nord du Mali, malgré la formation d’une coalition internationale ?
Car on le sait depuis trop longtemps : le nord du Mali est devenu un bourbier pour les forces militaires. Et difficile d’envisager une victoire claire et nette, dans une zone où les terroristes prospèrent. En Afghanistan, la situation semblait similaire : le temps aidant, les ennemis ont subi quelques revers mais ont réussi à profiter de la méconnaissance du terrain par les militaires occidentaux. « Ce genre de guerre se perd lorsqu’elle s’éternise », résume Gérard Chaliand, auteur de « Pourquoi perd-on la guerre, un nouvel art occidental ». En Afghanistan, les soldats américains sont restés vingt ans sur place. Au Mali, Barkhane — et Serval avant elle — durent depuis huit ans déjà, et les forces français se sont enlisées année après année.
Barkhane, armée d’occupation ou de soutien ?
Si, au Mali comme en Afghanistan, les terroristes sont craints par les populations locales, l’image des armées occidentales ne sont pas pour autant positives. De Bamako à la campagne malienne, l’intervention française est devenue extrêmement impopulaire. Notamment à cause d’une inefficacité qui n’est plus à prouver. « À partir du moment où les promesses ne sont pas tenues, alors la population en tire certaines conclusions (…). Elle tient les acteurs internationaux comme étant redevables de leurs promesses déçues », assure Thierry Vircoulon, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
La France a-t-elle oublié les populations pour se concentrer uniquement sur sa guerre contre le terrorisme ? « Pour gagner, il faudrait être capable d’apporter une solution en permettant le développement d’une classe moyenne large. Il y aurait alors un soutien local », estime Gérard Chaliand en parlant de l’Afghanistan. C’est également le cas pour le Mali : la France voulait à tout prix régler la situation sur le terrain militaire, quand Bamako envisage, depuis 2019, un dialogue inclusif avec les groupes armés islamistes. Or, « il n’y a pas de réconciliation si on n’inclut pas l’ensemble des acteurs, y compris ceux que l’on n’aime pas », assure Adam Baczko, chargé de recherches au CNRS et chercheur au Centre de recherches internationales (CERI).
En se fixant une stratégie décidée depuis Paris, l’opération Barkhane est apparue, comme l’était l’armée américaine à Kaboul, comme une force d’occupation, qui ne prenait pas en compte les aspirations des populations locales. L’intervention de Paris au Nord-Mali ressemble à de l’impérialisme, même si elle est soutenue par le pouvoir en place. Paris veut imposer son idéologie de « nation building », c’est-à-dire de reconstruction d’un état démocratique, sans se soucier des Maliens et de leur avis. Et en France, également, difficile de faire passer la pilule d’une guerre lointaine. « Or cette politique est aujourd’hui doublement perdante : au plan intérieur, le coût humain de la politique du rang international est difficilement défendable devant l’opinion publique ; et, au plan extérieur, l’interventionnisme militaire des autorités françaises accroît la francophobie en Afrique », affirme Thierry Vircoulon coordinateur de l’Observatoire pour l’Afrique centrale et australe de l’IFRI.
Les talibans ne sont pas les terroristes sahéliens
Un autre problème de l’armée française au Mali, et plus généralement de la diplomatie parisienne, c’est la méconnaissance du théâtre des opérations. Il existe un « risque pour l’armée française de bavures et d’être manipulée et entraînée à son corps défendant dans des règlements de comptes interethniques », assure Thierry Vircoulon. « Le bilan plus qu’incertain de huit ans d’intervention française s’explique en partie par l’ignorance du tissu social local et la méconnaissance du terrain », poursuit l’anthropologue Jean-Pierre Olivier de Sardan. Ce qui enlise indéniablement le conflit dans le Nord-Mali, qui n’est rien d’autre qu’une guerre asymétrique. Or, rares sont les armées à avoir réussi à venir à bout d’ennemis quasi invisibles.
Reste qu’entre Kaboul et Bamako, une différence permet de distinguer les deux conflits : à l’inverse des talibans, « les groupes djihadistes au Sahel n’ont ni les bases, ni les capacités et ni la popularité pour gouverner », affirme le chercheur au Policy Center for the New South, Rida Lyammouri. En Afghanistan, les talibans n’ont jamais caché leur intention d’incarner l’Etat. « L’intervention occidentale en Afghanistan est un modèle de toutes les erreurs à ne pas commettre, il y aurait des leçons à tirer de l’intervention afghane parce que c’est vraiment l’endroit où la justice a été négligée », nuance Adam Baczko. La France ne prend cependant pas ce chemin… « Pour avoir oublié ces leçons pourtant bien connues, le gouvernement français se retrouve aujourd’hui dans la même impasse que le gouvernement américain », écrivait en janvier Thierry Vircoulon. Pour le Mali, le pire reste à craindre.