Un rapport de Human Rights Watch met en cause l’armée camerounaise et les séparatistes dans les massacres de civils dans le sud du Cameroun. Entre temps, des voix s’élèvent dans l’armée camerounaise, demandant le désengagement dans le nord du pays.
L’indéboulonnable Paul Biya pensait vivre des vacances tranquilles en Suisse. Mais le Cameroun s’est rappelé à son bon souvenir. Outre des manifestations populaires pour protester contre le régime en place, le président camerounais doit désormais faire face à des critiques virulentes concernant l’insécurité dans le pays. Un rapport de Human Rights Watch (HRW) a mis le feu aux poudres : l’ONG accuse l’armée camerounaise et les groupes armés séparatistes d’Ambazonie d’exactions « commises dans les régions anglophones du Cameroun ».
Mais Paul Biya a l’habitude d’être visé par les organisations non gouvernementales et ce n’est pas un rapport de HRW qui va l’inquiéter. En revanche, sur un autre front, la situation devient plus complexe pour le président de la République. Des soldats camerounais dans le nord appellent en effet à ce que l’Etat revoie ses priorités sécuritaires. L’armée camerounaise subit de lourdes pertes dans cette partie du pays, où les groupes terroristes sont omniprésents et bien organisés. Depuis juin, selon le porte-parole de l’armée, les forces de sécurité camerounaises ont été impliquées « dans au moins 30 combats violents avec des séparatistes ».
La situation est donc paradoxale : d’un côté, l’armée camerounaise est accusée d’avoir « répondu à la menace posée par les groupes séparatistes en commettant des attaques contre des civils et des violations des droits humains ». De l’autre, la même armée déplore un manque de moyens, d’équipements et d’attention de la part de l’Etat pour combattre la menace terroriste. Visé par les hauts gradés de son armée, le chef de l’Etat, lui, est aux abonnés absents.
Y a-t-il encore un pilote dans l’avion ?
Pendant ce temps, l’armée camerounaise est confrontée à une série de désertions, sur le front du nord. Au Sud, la corruption gangrène la région, jusque dans les rangs de l’armée. Dans les couloirs du palais, on semble plus intéressé par la succession de Paul Biya que par les problèmes sécuritaires. D’autant que la présidence de la République doit, en parallèle, trouver une solution à un différend diplomatique avec le Nigéria et contenir une opposition qui s’active et multiplie les critiques à l’encontre du chef de l’Etat.
La gestion maîtrisée de l’armée et des forces de l’ordre était autrefois l’une des forces de Paul Biya. Or, si les militaires commencent à perdre patience, le président camerounais aura fort à faire dans les semaines qui viennent. D’autant que les pays européens semblent peu enclins à soutenir le chef de l’Etat camerounais. Selon les propos du ministre camerounais délégué à la Présidence chargé de la Défense, Joseph Beti Assomo, l’armée traverse une « crise ». Si l’Etat dénonce des « cas d’indiscipline », le mal semble plus profond. Le non-règlement de la crise anglophone et le manque de moyens face au terrorisme semblent avoir bouleversé les alliances au sein de l’armée.
Une armée qui se sent de plus en plus esseulée. Des vétérans, blessés dans la lutte antiterroriste, accusent l’état-major et le commandant-en-chef de négligence. « Si les soldats avaient les moyens de se déplacer autrement qu’à moto comme les sécessionnistes, les militaires auraient compris qu’il s’agissait d’une présence étrangère », déclarait un officier sur le terrain. D’autres soldats appellent à la désertion : « Vous nous frustrez ! Désengagez-nous, qu’on rentre chez nous », crie ainsi un soldat à son supérieur dans vidéo devenue virale.
Les populations civiles trinquent
Si l’histoire d’amour entre Biya et l’armée semble se terminer, les militaires ne sont pour autant pas exempts de tout reproche : HRW indique dans son rapport que « les forces de sécurité camerounaises ont certes l’obligation de riposter de manière légale aux attaques des groupes séparatistes armés et de protéger les droits des personnes pendant les périodes de violence. Mais une fois de plus, nous apprenons qu’elles ont répondu à la menace posée par les groupes séparatistes en commettant des attaques contre des civils et des violations des droits humains ».
Parmi les faits reprochés aux militaires, le meurtre de deux civils par des soldats camerounais, le viol d’une femme âgée de 53 ans ou encore la destruction et le pillage d’au moins 33 bâtiments parmi lesquels des magasins, des logements ou encore la maison d’un chef traditionnel dans la région du nord-ouest. HRW accuse également l’armée de centaines de meurtres dans la région camerounaise anglophone. Amnesty international, dans un autre rapport, dénonce des bombardement sur des villages de la région du sud et des incendies de champs appartenant aux villageois anglophones.