Le président ivoirien Alassane Ouattara et son prédécesseur Laurent Gbagbo se rencontreront ce mardi 27 juillet. Est-ce la première étape de la réconciliation nationale tant attendue ?
C’est sans aucun doute le tête-à-tête le plus attendu de la décennie en Côte d’Ivoire. Pour la première fois depuis son retour, Laurent Gbagbo sera reçu par Alassane Ouattara. Une rencontre qui s’est faite attendre. Depuis le retour de l’ex-chef de l’Etat en Côte d’Ivoire, le 17 juin dernier, après avoir été emprisonné et jugé par la CPI pendant une décennie, les Ivoiriens attendent de pied ferme ce tête-à-tête entre ex-rivaux. Mais l’organisation de ce rendez-vous a tardé, les formations politiques respectives des deux hommes ayant dû travailler les contours de la rencontre. Cette dernière revêt un statut si symbolique qu’il semblait inconcevable qu’elle soit improvisée. Et chaque prise de parole ou annonce a des conséquences politiques pour l’un ou l’autre des protagonistes.
Il faut dire que le passif entre les deux hommes est lourd : Gbagbo et Ouattara se sont disputés la victoire lors de l’élection présidentielle de 2010. Un scrutin qui promettait le malheur au perdant. La Côte d’Ivoire, début 2011, a subi de nombreuses violences post-électorales et les partisans des deux hommes, qui s’étaient proclamés vainqueurs de la présidentielle, s’étaient affrontés. Des violences qui avaient entraîné la mort de plus de 3 000 personnes. L’arrestation de Gbagbo, dans sa résidence, en avril 2011, puis son transfert devant la Cour pénale internationale ont fini de rendre les deux protagonistes irréconciliables.
Et ce ne sont pas les derniers événements — la candidature de Ouattara pour un troisième mandat pourtant anticonstitutionnel — qui ont calmé les esprits : libre depuis qu’il a été relaxé en appel par la CPI, Laurent Gbagbo n’a pas hésité à fustiger son rival. En marge d’une rencontre avec Henri Konan Bédié, Gbagbo a déclaré à propos de ce troisième mandat qu’« on peut décider que nous n’avons aucune Constitution et vivre comme ça. Mais si nous avons une Constitution, il faut se battre pour être du côté de la Constitution ». Une façon pour Gbagbo de renouer avec le « Sphinx de Daoukro » et d’envoyer un message fort à Ouattara : la « réconciliation nationale », si elle doit avoir lieu, ne sera pas une décision unilatérale du président ivoirien actuel. Gbagbo a lui aussi son mot à dire.
Véritable avancée en vue ou déception ?
Les Ivoiriens semblent attendre, cet après-midi, que soit posée la première pierre de cette réconciliation promise. Néanmoins, il sera difficile pour Ouattara et Gbagbo de faire fi de leurs différends. Dans une interview au Monde, pendant la campagne présidentielle, le président ivoirien avait ouvert la porte à un dialogue avec Gbagbo, sans toutefois envisager de retirer l’épée de Damoclès qui plane au-dessus de l’ancien chef de l’Etat, à savoir une condamnation à vingt ans de prison. Le porte-parole de Gbagbo, Justin Koné Katinan, douche les attentes des Ivoiriens en parlant, pour ce tête-à-tête, d’une simple « visite de courtoisie à son aîné ». Le FPI admet cependant que cette rencontre permettra d’« apaiser l’atmosphère politique » et assure que « Laurent Gbagbo est dans un esprit d’ouverture, de dialogue et de réconciliation ».
Le porte-parole du gouvernement, Amadou Coulibaly, préfère mettre en avant son président comme l’initiateur d’une possible réconciliation : « Le dialogue dans notre pays se poursuivra, car c’est la volonté du gouvernement », dit-il. Des deux côtés, l’heure est donc plutôt à l’apaisement. Mais derrière ce calme apparent se cache un objectif pour les deux hommes : remporter la bataille de la communication et se voir attribuer l’initiative du dialogue, s’il a lieu. Un enjeu de taille pour un Ouattara pas au mieux dans les sondages d’opinion et un tournant pour Laurent Gbagbo, qui a encore le choix entre prendre à cœur le rôle de « vieux sage » que le président souhaiterait lui faire jouer ou celui de garder sa place dans l’opposition.
Si l’on peut également s’attendre à une série de discussions sur les opposants toujours emprisonnés par le pouvoir, la rencontre Gbagbo-Ouattara pourrait également… ne rien donner. On se souvient, après la présidentielle chaotique d’octobre 2020, que HKB et Ouattara s’étaient rencontrés à l’hôtel du Golfe le 11 novembre 2020. Cela avait donné lieu à une série de clichés qui avaient été largement diffusés dans les médias. Mais le tête-à-tête n’avait duré que cinq minutes, les deux hommes avaient alors promis de se revoir dans les plus brefs délais. Depuis, Bédié et Ouattara n’ont jamais voulu rediscuter et accorder leurs violons. Le rendez-vous d’aujourd’hui entre Gbagbo et Ouattara « n’effacera pas leurs énormes différences, mais mènera à des relations plus cordiales », promet cependant l’analyste d’ISS Africa, Fahiraman Rodrigue Koné.