Jeudi dernier à Abuja, au Nigéria, un général de l’armée a été tué. Il s’agit du troisième membre de l’état-major assassiné en deux mois. Malgré la mort du chef de Boko Haram, le Nigéria est en proie aux violences.
Généraux assassinés, avions militaires abattus et black-out médiatique… Dans le nord du Nigéria, la guerre contre le terrorisme et la grande criminalité a plus que jamais repris. Les enjeux politico-économiques sont passés en arrière-plan et la guerre d’usure a laissé place à une bataille plus violente. Le statu quo, qui a permis à Muhammadu Buhari de se concentrer sur les affaires nationales, est-il en train de prendre fin ?
Si la mort d’Abubakar Shekau a, contre toute attente, fait baisser la pression exercée par les terroristes sur les forces de sécurité nigérianes, le nord du pays reste encore en proie à ces violences. Dimanche, un Alpha Jet de l’armée a été abattu dans les cieux du Zamfara, région du nord dans laquelle l’Etat fédéral a apporté un gros soutien militaire. Le pilote, Abayomi Dairo, a survécu et a réussi à s’échapper de la zone du crash.
Trois jours plus tôt, le général Hassan Ahmed, membre de l’état-major, avait été assassiné dans la capitale politique, Abuja. L’enterrement d’Ahmed, avec les honneurs, a poussé les Nigérians à s’interroger sur ce qui se déroule vraiment dans le pays. Que se passe-t-il réellement entre Kaduna et la frontière tchadienne ? Les deux attentats ont un facteur en commun : ils ont tous les deux été revendiqués par Boko Haram. Or, il n’aura fallu que quelques heures pour comprendre que ces revendications étaient opportunistes. Les vidéos publiées vendredi dernier et lundi ont en effet été filmées en avril dernier. De son côté, l’armée nigériane accuse les « bandits » de ces attentats. Une rhétorique qui semble écarter un regain de terrorisme de la part des organisations historiques.
Nigeria fighter plane shot down by bandits, military says https://t.co/zo85C0pcqT
— BBC News (World) (@BBCWorld) July 19, 2021
L’armée dans la ligne de mire des « bandits »
La reprise de la région périphérique de l’Etat du Zamfara a permis au gouvernement nigérian de réaliser de grandes avancées, du lancement d’un TGV qui traverse le pays de Kano à Lagos en passant par Abuja, jusqu’à l’inauguration de deux nouvelles routes et des principales infrastructures du projet d’électrification du Nigéria (NEP), entre autres. Des projets qui n’avaient pu être enclenchés que grâce au retour du calme, aussi précaire soit-il.
La capture de Nnamdi Kanu, le chef de l’Ipob, la branche armée du mouvement sécessionniste biafrais, a permis aux autorités de calmer l’agitation ambiante dans le sud du pays. Et bien avant, la mort d’Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram, a semble-t-il porté un coup fatal à l’organisation, au Nigéria en tout cas. La totalité des lieutenants de Shekau ont rejoint l’organisation Etat Islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO), dont le théâtre de guerre ne se situe pas au Nigéria.
Mais alors, les deux attentats de la semaine dernière interviennent ont été incompris, tant pour leur violence qu’au niveau du timing. L’armée nigériane réorganise son déploiement sous le commandement de son nouveau chef d’état-major Faruk Yahaya. Ce dernier a pris la place d’Ibrahim Attahiru, tué dans un mystérieux crash d’avion, dans la région où l’Alpha Jet de Dairo avait été attaqué.
Comme pour les derniers kidnappings de début juillet, l’armée accuse des « bandits » de tous ces actes qui ressemblent à s’y méprendre à l’œuvre de terroristes. A écouter le gouvernement local, il n’existerait plus de menace terroriste au Nigéria et seul un grand banditisme serait à l’origine des derniers drames survenus au Nigéria. Avec cependant une question qui brûle les lèvres : pourquoi donc, dans ce cas, l’armée nigériane est-elle visée ?
What?! Another one…
Army general shot dead, sister abducted near Abujahttps://t.co/gl91iYxsXV#Nigeria https://t.co/88qxXp5A6Y
— Malinka🔸Tanya P (@Malinka1102) July 16, 2021
Le testament de Shekau, Daech qui prend la place de Boko Haram ?
Il faut, d’une part, regarder au-delà des frontières. Le statu quo au Nigéria s’arrête en effet à la frontière nord. Au Niger, de Diffa à Zinder, dans la région frontalière désertique, le terrorisme de l’Etat Islamique sévit encore et toujours. Pour l’armée nigériane, la stabilité relative du nord-ouest du pays contraste avec la situation dans la région située plus à l’est. Du Kaduna jusqu’à la frontière avec le Tchad et le Cameroun, c’est le black-out total. Aucun spécialiste ne s’aventure à tenter de décrypter ce qui se passe dans cette zone.
La dernière intervention de l’armée nigériane dans cette région, historiquement contrôlée par Boko Haram, date d’ailleurs du 16 juin. Depuis, plus rien. Les soldats nigérians dépêchés alors en réponse à un kidnapping dans le Kaduna avaient, à l’époque, subi de lourdes pertes. Et ce malgré l’annonce de la mort de Boko Haram après la disparition de Shekau. Dans cette région accidentée, c’est encore le chaos total. Jusqu’à jeudi dernier, on présumait que l’armée avait réussi à contenir les violences et préparait une intervention décisive. Toutefois, l’assassinat de Hassan Ahmed, qui était notamment chargé de la logistique militaire au nord, laisse présager le pire.
En effet, l’armée est bel et bien visée, semble-t-il pour son efficacité durant les derniers mois. Le nouveau chef d’état-major Faruk Yahaya est connu pour être incorruptible. Or, auparavant, plusieurs hauts gradés de l’armée nigériane ont été accusés de se laisser corrompre par les cadres de Boko Haram. Les dernières attaques sont-elles une façon, pour l’EIAO, d’envoyer un message d’intimidation à l’armée ? Ou de mettre la main sur le territoire de Boko Haram ? C’est en tout cas l’avis de l’opinion publique nigériane.
En attendant, les troubles sont un caillou dans la chaussure de Muhammadu Buhari. Alors qu’il tente d’imposer le Nigéria en tant que hub commercial pour les pays voisins, Buhari subit, via son armée, plusieurs revers qui risquent un peu plus de mettre à mal ses projets économiques et sociaux.
https://afriquechronique.com/lafrique-daujourdhui/comment-abubakar-shekau-constitue-encore-une-menace-mort-ou-vif/