Avec le retour de Ramtane Lamamra à la tête de la diplomatie algérienne et les tensions avec l’Allemagne, le Maroc tente un coup de force dans le dossier libyen.
Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, tente coûte que coûte de faire du royaume l’un des acteurs clé de la résolution de la crise libyenne. Coup sur coup, le chef de la diplomatie chérifienne a rencontré les chefs du corps législatif libyen, Khaled al-Michri et Aguila Salah, avant de recevoir, fin juin, le Premier ministre libyen Abdel Hamid Dbeibah. Pour les observateurs, ces rendez-vous illustrent le forcing diplomatique mis en place par le Maroc, qui se verrait bien être un des acteurs du processus de transition en Libye.
Cette volonté de reprendre la main sur le dossier libyen doit beaucoup au retour de Ramtane Lamamra à son poste de ministre des Affaires étrangères. Un come-back qui montre clairement la volonté politique algérienne de tendre la main au pouvoir libyen. Lamamra a, par le passé, été à l’origine des relations retrouvées entre Alger et Tripoli.
Autre cause de l’activité accrue de Bourita dans ce dossier : les tensions avec l’Allemagne. L’invitation du ministre marocain des Affaires étrangères à participer aux discussions lors du sommet Berlin II sur la Libye, refusée officiellement par le ministre, cause encore des frictions entre Rabat et Berlin. La position de l’Allemagne dans la crise qui oppose les royaumes marocain et espagnol, ainsi que dans le dossier sahraoui, a tendu les relations entre les deux pays. Ce qui expliquerait la déclaration de Nasser Bourita le jour du sommet de Berlin II sur la Libye, le ministre affirmant qu’il n’existe « pas de solution berlinoise à un problème d’Afrique du Nord ».
Profiter de l’échec du Forum libyen de Genève
Afin de concrétiser les aspirations du trône marocain en Libye, le diplomate préféré de Mohammed VI a donc exprimé, selon Africa Intelligence, son souhait d’organiser une nouvelle conférence sur la Libye au Maroc. Plus précisément à Bouznika, à mi-chemin entre Rabat et Casablanca. La dernière conférence de Bouznika avait donné lieu à d’âpres discussions en Libye.
En voulant faire de Bouznika le haut-lieu du plan de stabilisation de la Libye, le Maroc espère ainsi damer le pion au Forum libyen de Genève qui, quatre mois après avoir élu l’union quadripartite à la tête de la Libye, a échoué au moment de négocier les modalités des prochaines élections. Un échec qui incomberait d’ailleurs, selon les délégués, à l’entêtement onusien de tirer les ficelles de la transition libyenne.
Profitant de cet échec, Nasser Bourita veut inviter de nouveaux participants lors d’un nouveau round de discussions, au Maroc cette fois. Toujours selon la même source, le sommet de Bouznika voudrait en effet rassembler des émissaires des deux chambres parlementaires en Libye. Les dirigeants de ces institutions, à savoir Khaled al-Michri et Aguila Salah, le meilleur ennemi du président actuel el-Menfi, sont impopulaires en Libye. De plus, ils n’ont que peu de poids politique en Libye.
Un pied de nez à l’Allemagne, à l’Algérie et à l’UA ?
L’initiative de Mohammed VI et de Nasser Bourita ressemble donc, comme le résume Africa Intelligence, à « un pied de nez » à l’Allemagne, mais aussi à l’Europe. Le royaume semble vouloir également prendre de vitesse Ramtane Lamamra, alors que les tensions algéro-marocaines sont à leur paroxysme. Le leadership régional se jouerait donc également dans le dossier libyen. Mais l’Algérie s’est intéressée à la Libye dès 2017, sous l’impulsion du ministre Ramtane Lamamra, qui a promis de « ne ménager aucun effort pour la consolidation des relations, et le soutien continu des décisions souveraines » avec Tripoli.
Par ailleurs, en proposant une nouvelle conférence marocaine sur la Libye, le Maroc persiste dans sa stratégie consistant à penser que le processus doit être « nord-africain ». Outre Berlin II, l’Union africaine avance elle aussi ses pions sous la houlette du président congolais Denis Sassou-N’Guesso, qui préside le Comité de haut niveau de l’UA sur la Libye. Le chef de l’Etat a récemment rencontré le leader spirituel des ibadites, en vue de rencontres avec des acteurs libyens importants en septembre prochain. Le Congolais doit également recevoir, ce vendredi, le président libyen el-Menfi. Une multiplication des rencontres diplomatiques, lors desquelles « DSN » tente de focaliser l’attention des leaders libyens sur l’importance de la paix et de remettre l’Union africaine au cœur du dossier.