Ce mercredi 7 juillet, le Premier ministre algérien, sous la houlette du président, a nommé les nouveaux membres du gouvernement. Un remaniement qui laisse une grande place à la diplomatie. Parmi les nouveaux ministres, qui est celui des Affaire étrangères, Ramtane Lamamra ?
L’Algérie s’est dotée d’un nouvel exécutif ce mercredi. Certaines nominations ont toutefois attiré l’attention plus que d’autres. En l’occurrence, le retour sur le ring d’un diplomate chevronné, Ramtane Lamamra. Ce « Monsieur Afrique » par excellence illustre à lui seul les ambitions de l’Etat algérien. Lamamra a hérité de la valise diplomatique du ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum, qui avait tenu la barre depuis la chute de Bouteflika.
On pourrait considérer que ce retour en grâce de Lamamra s’inscrit dans une politique de continuité. Lamamra a effectivement occupé le poste de ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale sous Bouteflika pendant près de cinq ans, entre 2013 et 2017. Depuis son départ du gouvernement, Ramtane Lamamra n’a pas chômé : il a été très actif dans les instances africaines et mondiales.
Libye et Mali, les deux victoires de Lamamra
Lors de son passage dans les gouvernements successifs du Premier ministre Abdelmalek Sellal, Lamamra a marqué de son empreinte la diplomatie algérienne, en « africanisant » cette dernière. Aux actions algériennes dans le dossier libyen s’est ajoutée le début du conflit armé au Fezzan, région frontalière et très volatile en raison du tribalisme qui y règne. Pendant que les trois gouvernements libyens se faisaient la guerre, Lamamra signait des contrats entre les entreprises publiques libyennes et algériennes. L’un des accords les plus marquants restera celui de la reconstruction des avant-postes de l’armée dans le désert et celui du raffinage des hydrocarbures, en pleine crise pétrolière.
Cette intervention de la diplomatie algérienne entre 2014 et 2016 a permis au gouvernement d’unité nationale (GNU) libyen, après la guerre, de profiter de la situation au Fezzan. Pour le plus grand bonheur de Fayez el-Sarraj, puis d’Abdel Hamid Dbeibah, cette zone procure plus de 42 % du pétrole libyen et il s’agit de la seule région du pays où l’Etat est présent sans avoir besoin de l’appui de la communauté internationale.
Après la Libye, Lamamra, toujours ministre des Affaires étrangères, s’est intéressé pour la première fois au Mali. Il avait alors déclaré : « Notre approche au Mali sera toujours faite de sollicitude fraternelle. Nous ne croyons pas aux solutions exclusivement militaires ». Et, en effet, c’était sous l’égide de la diplomatie algérienne que l’Etat malien avait conclu les Accords d’Alger avec les rebelles Azawad. Des accords qui tiennent encore, d’ailleurs, malgré les deux coups d’Etat et les offensives terroristes successives.
La diplomatie fraternelle à l’algérienne
En 2013, dès son arrivée au ministère des Affaires étrangères, Lamamra a réuni les pays sahéliens autour de l’initiative de la LOPIS, un organisme social qui gère la formation des cadres religieux et qui a d’ailleurs contribué à la déradicalisation progressive dans le nord du Burkina Faso. Grâce à l’initiative, plus de 3 000 jeunes auraient quitté les groupes terroristes. L’Algérie s’est basée sur la même approche pour accompagner la pacification du Nord malien, où l’Algérie a formé les soldats, mais également des centaines d’ingénieurs et d’acteurs industriels et sociaux, afin d’assurer la reconstruction après la défaite d’Aqmi. Une défaite, par ailleurs, dans laquelle l’Algérie a joué un rôle important à la rencontre des frontières malienne, nigérienne et tunisienne.
Lamamra serait-il le symbole de cette nouvelle diplomatie algérienne en direction de l’Afrique, entamée depuis le début de la dernière décennie ? Le ministre des Affaires étrangères avait guidé les interventions dans les pays amis, souvent de façon inconditionnelle. Des interventions qui incluent une coordination sociale, militaire, industrielle et même des aides humanitaires. On se souvient notamment du rôle joué par l’Algérie en Tunisie en 2016, au Niger en 2015 et en 2021 ou encore au Mali entre 2014 et 2020.
« Monsieur Afrique » est, en quelque sorte, le symbole du nouveau soft power algérien. Et malgré son bilan pour le moins flatteur, Ramtane Lamamra a subi, comme d’autres caciques du régime, la chute de Bouteflika et de son gouvernement. Une fin de règne qui a provoqué le limogeage du ministre d’Etat, qui avait été, pendant moins d’un mois, le conseiller spécial auprès du président pour les Affaires diplomatiques.
Spécialiste des conflits
Si Ramtane Lamamra a débuté, après son limogeage, une traversée du désert, celle-ci ne l’a pas arrêté. Et c’est hors des frontières qu’il s’est fait une place. Au sein de plusieurs instances internationales, il a travaillé sur la résolution diplomatique des conflits dans plus de treize pays africains. Depuis 2019, il a intégré le conseil d’administration du Stockholm International Peace Research Institute (SPIRI), où il a utilisé l’accès à l’éducation dans le contrôle des conflits.
Après avoir manqué de peu le poste d’envoyé spécial de l’ONU en Libye, Ramtane Lamamra a donc retrouvé son portefeuille des Affaires étrangères. Tout sauf un hasard. Sa nomination intervient en pleine formation d’une nouvelle unité nationale algérienne, mais également à un moment où la diplomatie algérienne en Afrique suit une courbe ascendante. Avec les transitions malienne et libyenne qui s’achèvent parallèlement, il fallait un homme d’expérience. Car l’Algérie aura fort à faire pour jouer un rôle dans ces deux dossiers, mais aussi pour juguler les tensions avec le Maroc, suivre les nouveaux accords bilatéraux avec une dizaine de pays subsahariens et faire le point sur la relation Algérie-France. Expérimenté et touche-à-tout, Lamamra a le pedigree parfait pour gérer ces différents dossiers.
Ramtane Lamamra aura également la lourde charge de représenter l’Algérie dans les actions diplomatiques à venir en Afrique. Avec le Portugal et les Etats-Unis qui mènent la charge de l’OTAN et de l’UE au Mozambique et en RDC, le nouveau ministre des Affaires étrangères saura se positionner sur ces deux dossiers chauds. Lamamra a effectivement été ambassadeur au Portugal en 2004 et aux Etats-Unis en 1996. De surcroît, il avait débuté sa carrière à l’Union africaine en Ethiopie et à Djibouti, dans des contextes similaires à ceux que traverse la Corne de l’Afrique actuellement.
Quels projets futurs pour Lamamra ?
Tous les éléments sont donc réunis pour que Lamamra ait les mains libres, lui qui se place généralement en marge de la politique et préfère s’entretenir avec les hommes d’affaires et les diplomates. En plein rapprochement avec la Turquie et la Russie, et avec ces nouvelles perspectives africaines, l’ex-ministre revenu en grâce a un chantier devant lui, qui lui interdira d’être dans la demi-mesure. Lors d’une conférence de presse qu’il a tenue jeudi, Lamamra a avancé que son projet immédiat concernait trois pays.
D’abord, sur la question libyenne, Lamamra a appelé à « une issue à la faveur de la paix, de l’union des rangs ». Il a aussi annoncé : « Nous ne ménagerons aucun effort pour la consolidation des décisions souveraines de la Libye ». Ensuite, il a abordé la question palestinienne. « Le peuple palestinien est l’initiateur de la paix, mais la paix est désormais la responsabilité de la communauté internationale toute entière. (…) Ce qui exige la reconnaissance de l’Etat indépendant de Palestine », a déclaré Ramtane Lamamra. Puis, sur l’Afrique, il a rappelé « le rôle pionnier de l’Algérie » et le fait que de nombreux pays africains attendent à ce qu’elle « fasse plus ». Selon Lamamra : « L’Afrique est partie intégrante de l’identité, du destin et de l’avenir de l’Algérie ». Parlant notamment de « l’exportation de la paix, la stabilité et la sécurité à travers le continent africain ». Selon le ministre algérien des Affaires Etrangères, cela commencera par l’espace sahélo-saharien « jusqu’aux foyers de tension partout sur le continent ».