La prise de pouvoir du colonel Assimi Goïta semble entériner la présence à long terme des militaires à la tête du Mali. Avec quelles perspectives ?
En intervenant le 24 mai pour destituer le président de la transition Bah N’Daw et son premier ministre Moctar Ouane, l’armée malienne a démontré une nouvelle fois sa volonté de garder la main sur les leviers du pouvoir.
Ce énième coup d’État est intervenu suite au limogeage par le duo N’Daw/Ouane du ministre de la Défense, le colonel Sadio Camara, et de celui de la Sécurité, le colonel Modibo Koné. Selon les auteurs du putsch, le couple exécutif n’aurait pas respecté la charte de la transition, qui précise que les questions de défense et de sécurité relèvent de la compétence du vice-président, le colonel Assimi Goïta.
Les militaires tendent désormais la main au Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), la seule coalition politique qui avait dénoncé la gestion de la première phase de cette transition.
Saisie par le cabinet du vice-président, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt constatant la vacance du pouvoir et a reconnu le colonel Assimi Goïta comme président de la transition à la veille d’un sommet extraordinaire de la Cédéao sur ce nouveau coup de force.
Nous avions déjà évoqué dans un article précédent le poids de l’armée dans l’espace politique malien. Ce nouveau coup d’État semble confirmer l’appétit des militaires maliens pour le pouvoir. Face à la crise que traverse le Mali, l’armée peut-elle encore être la solution ? Et quel peut être l’avenir de sa cohabitation avec le M5-RFP ?
Une armée tournée vers la conquête du pouvoir
Il y a plus de cinquante ans, le sociologue Georges Balandier affirmait que les coups d’État militaires s’expliquaient, en Afrique, par le désir des jeunes militaires de changer la situation. Il évoquait déjà le « néo-colonellisme » pour illustrer la prise du pouvoir par des jeunes colonels, qui disent vouloir mettre de l’ordre dans le désordre politique.
Le sociologue Francis Akindès se situe dans la même lignée quand il constate que les militaires et les civils se conduisent de la même manière lorsqu’ils arrivent aux commandes d’un pays, car le pouvoir est corrupteur. Les militaires « nouveaux entrants », explique-t-il, finissent par être pris au jeu. Le coup d’État aboutit toujours à une espèce de confiscation du pouvoir par les militaires. Les immixtions répétées de l’armée dans la vie politique ont eu pour effet de renouveler et d’augmenter le nombre de militaires qui ont directement participé, à divers niveaux, à la gestion du pouvoir politique. De son côté, le politologue Mahamane Tidjani Alou utilise l’expression « militaires politiciens » pour désigner les galonnés qui participent directement à l’exercice du pouvoir.
Quant à Niandou Souley, il attire l’attention sur le fait que les militaires ont l’habitude de prendre pour prétexte le désordre institutionnel pour s’emparer du pouvoir. Leur intention initiale est généralement de procéder à une rectification démocratique au moyen d’un « toilettage » des textes fondamentaux déjà existants. Mais par la suite, non seulement les hommes en uniforme substituent un régime présidentiel fort au régime semi-présidentiel d’antan, mais cherchent aussi, en général, à conserver le pouvoir.
La consécration du colonel Assimi Goïta comme nouveau président de la transition doit être vue comme un signe de la volonté farouche des militaires de conserver le pouvoir. C’est en effet la garantie de ne pas connaître des démêlés judiciaires : Goïta n’a pas oublié qu’il y a déjà eu, il n’y a pas si longtemps, un précédent au Mali. Les militaires constituent donc, au même titre que les religieux, des acteurs primordiaux du champ politique malien, en ce sens que la conquête du pouvoir – par la force – fait partie de leurs stratégies.
Au Mali, l’armée n’a pas vraiment assimilé les règles institutionnelles et, notamment, la question de la soumission du militaire au politique. N’Daw a d’ailleurs été démis avant tout parce qu’il cherchait à sortir de la tutelle de la junte qui l’avait porté au pouvoir. La tentative de mise à l’écart par Bah N’Daw et Moctar Ouane de deux « colonels-ministres » occupant des postes stratégiques a été perçue par Assimi Goïta et son entourage comme une tentative visant à desserrer l’étau mis en place par les militaires sur la transition.
En intervenant par la force, les militaires se lancent dans une opération de survie politique. Le coup d’État étant un crime imprescriptible selon la Constitution malienne, rien ne garantit une immunité politique à partir du moment où l’on n’est plus aux affaires. Mais un homme politique qui requiert l’anonymat va plus loin en affirmant que :
« La vraie raison qui pourrait expliquer les coups d’État au Mali, c’est la volonté d’enrichissement des militaires. L’armée est aujourd’hui une voie royale pour devenir riche. En vérité, s’ils commettent des coups d’État, c’est parce qu’ils ne veulent pas aller combattre sur les théâtres d’opérations et s’accrochent au pouvoir à Bamako. »
Il est vrai que la corruption est un fléau souvent évoqué à propos de l’armée malienne. On pense par exemple au détournement de plus de 1 230 milliards de francs CFA de programmation militaire sur la période 2014-2019. On constate de surcroît que les militaires ont fait le choix de l’exercice politique au détriment de la sécurisation du pays et de la lutte contre le djihadisme, qui sont leurs missions premières.
L’alliance M5-RFP et les militaires : un mariage d’amour ou de raison ?
Dans la nuit du 24 au 25 mai, les représentants du M5-RFP ont été conviés à Kati, fief des putschistes. Un nouveau gouvernement a été formé le 11 juin avec Choguel K. Maïga (l’une des figures du M5-RFP) comme premier ministre. Un gouvernement au sein duquel les militaires restent prédominants, et qui a été jugé illégitime par la communauté internationale, notamment par le président français qui, dans la foulée, a décidé de mettre fin à l’opération Barkhane.
« Il n’y a de mort en politique si ce n’est la mort naturelle » : cette maxime sied bien à la situation du M5-RFP, un mouvement que certains avaient trop vite fait d’enterrer. Avec ce second coup d’État, il est vrai que la marge de manœuvre des militaires semble forcément réduite. Ils jouent leur dernière carte. Mais cet accord avec le M5-RFP s’est fait au prix du reniement de certains points que le Mouvement jugeait jusqu’alors non négociables. Choguel K. Maïga a en effet reculé sur la dissolution du CNT, devant lequel il fera peut-être sa déclaration de politique et sa proposition sur les accords de paix d’Alger, puisqu’il s’engage à travailler avec la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). De même qu’il accepte finalement de travailler avec un président militaire, lui qui avait dénoncé la « militarisation de la transition ».
Il y a eu une ambivalence au sein du M5-RFP sur la qualification du coup d’État du 24 mai. Le nouveau Premier ministre Choguel K. Maïga, n’a pas condamné le coup d’État, se contentant de parler de « rectification de la transition ». En revanche, Madame Sy Kadiatou Sow et Modibo Sidibé ont appelé sans réserve à condamner le putsch.
Une rectification de la transition est-elle possible ?
Au regard de l’évolution des dynamiques politiques au Mali, cette deuxième phase de la transition semble être celle de la dernière chance pour le pays. La période transitoire est donc un moment opportun de mutation et d’ouverture. Comme l’expliquent Céline Thiriot et Adam Przeworski, les transitions découlent de ces deux processus concomitants que sont l’extirpation et la constitution.
Par extirpation, il faut entendre le processus de rupture avec l’ancien régime, et par constitution, le processus de sociogenèse d’un nouveau régime. Durant la transition, période où l’armée joue un rôle fondamental, Adam Przeworski souligne que partout où celle-ci reste cohérente et autonome, les éléments d’extirpation dominent le processus de transition. Selon ces auteurs, pour réussir une transition, il faut une rupture avec l’ancien système. Or, nous assistons au retour des mêmes mœurs politiques qui ont jadis fait descendre les Maliens dans la rue, à savoir les pratiques clientélistes, le népotisme, la corruption, etc. L’armée revient au centre du jeu plus forte que jamais.
Même si l’un de ses représentants occupe désormais le poste de premier ministre, le M5-RFP semble être le grand perdant de ce nouveau gouvernement, quand on sait qu’il a contribué à légitimer le putsch sur la scène internationale. Dans ces conditions, l’armée malienne peut-elle être la réponse à la crise que traverse le Mali ? Difficile de répondre par l’affirmative quand on sait que l’armée est aussi corrompue, sinon plus, que la classe politique. Le parallèle avec l’armée tchadienne, qui a pris le pouvoir après la mort d’Idriss Déby le 20 avril dernier, n’est par ailleurs guère probant, tant le rôle joué par cette dernière dans la lutte contre le terrorisme a été déterminant.
L’armée tchadienne est une armée chevronnée et aguerrie qui se bat sur le territoire malien. A contrario, l’armée malienne, en dépit des milliards investis pour sa refondation, n’enregistre aucune victoire dans la lutte contre l’insécurité. Le domaine où elle rayonne, c’est de disputer le pouvoir aux civils.
Ces « militaires politiciens » semblent faire un sans-faute politique depuis leur premier putsch contre IBK en août 2020. Toutefois, le capital de confiance initial dont ils ont bénéficié semble s’étioler. Et désormais, ils ne pourront plus attribuer les difficultés à telle ou telle autre force car plus aucun levier du pouvoir ne leur échappe…
Lamine Savane, PhD science politique, ATER, CEPEL (UMR 5112) CNRS, Montpellier, Post doctorant PAPA, Université de Ségou et Fousseyni Touré, Doctorant en Anthropologie, Institut de Pédagogie Universitaire (I.P.U), Université des sciences juridiques et politiques de Bamako
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.