Alors que l’Etat algérien élimine un par un les partis politiques les plus populaires, les élections législatives en Algérie vont vers un taux d’abstention record. Quelles sont les raisons ?
La campagne électorale algérienne a commencé le 21 mai. Toutefois, les Algériens démontrent un intérêt accru pour la vague de répression des marches du Hirak, ainsi qu’à l’interdiction de plusieurs partis de participer aux élections législatives. Selon les experts, les taux d’abstention de vote sera historique. Alors que le dernier référendum constitutionnel n’a présenté que 27% de taux de participation, la situation pourrait être pire lors des législatives du 12 juin.
Depuis la chute de Bouteflika en 2019, les marches du Hirak représentent une expression populaire de protestation continue. La Haute instance indépendante de surveillance des élections (HIISE) est très discrète. L’autorité nationale des élections (ANIE), elle, n’a retenu que 19 partis politiques aux élections, sur 39 inscrits. Pour la plupart, les listes inscrites sont indépendantes, et les listes partitaires soutiennent l’armée. Ce qui pourrait être expliqué de deux manières. Soit les acteurs politiques se rangent progressivement du côté du pouvoir, soit le pouvoir aurait fabriqué une large assise d’opposants fantoches.
Quoi qu’il en soit, le Hirak se fait entendre malgré la répression. Les protestataires n’ont pas été muselés par l’interdiction des manifestations et l’arrestation de dizaines d’activistes toutes les semaines. Cette mouvance a d’ailleurs culminé à 800 personnes en 24 heures, vendredi dernier. Cette semaine, quelques dizaines de journalistes, étudiants et militants ont été arrêtés.
#hirak #Algerie
Au revoir l’Algérie de la corruption et bienvenue à la nouvelle Algerie de la corruption, de la terreur et de la misère. pic.twitter.com/lOm5rXbuy9— fanfan (@farezfarez) May 21, 2021
Eliminer les chefs du Hirak provoquerait-il des élections illégitimes ?
Vraisemblablement, le Haut conseil de sécurité (HCS) voudrait étouffer le Hirak à temps pour les élections du 12 juin. Or, en interdisant deux formations politiques d’obédiences contradictoires, le HCS joue un jeu dangereux. Le mouvement indépendantiste MAK et le parti islamiste Rachad ont été désignés comme « organisations terroristes ». Ce geste n’a pas provoqué de dissensions dans les rangs du Hirak. On observe d’ailleurs un soutien inédit de la part de tous les citoyens aux militants des uns et des autres, arrêtés depuis.
A mesure que la mise aux fers de ces personnes perdure, la classe politique algérienne se montre solidaire. Toutefois, les partis d’opposition commencent à perdre leur mordant pour les élections. Parallèlement, les jeunes Algériens se montrent moins propices à voter. Sachant que le taux de participation au référendum était de 27%, que se passerait-il si les taux baissent encore pour les législatives ?
Certes, le HCS a démontré une résilience inouïe durant les deux dernières décennies. Cependant, la popularité de l’armée et du président Tebboune continue de chuter. Le pouvoir algérien a compté, durant les deux dernières années, sur deux facteurs pour légitimer son monopole. Premièrement, les Algériens, dans leur majorité, sont peu favorables aux partis de droite. Pour la plupart, les mouvements islamistes représentent une continuité aux mouvements terroristes qui ont ravagé le pays. En effet, la « décennie noire », la guerre civile algérienne, a fait jusqu’à 170 000 morts entre 1991 et 2002 selon certaines estimations. Depuis, la dictature militaire semblait meilleure pour beaucoup d’Algériens.
Le second argument du HCS a été la représentativité des « causes algériennes ». A savoir le soutien de la cause palestinienne, un degré de nationalisme non négligeable, ainsi qu’un fort sentiment anti-français. D’ailleurs, Tebboune a été salué pour ne pas avoir fait de concessions politiques en faveur de la France.
Ils sont 181 femmes et hommes aujourd'hui dans les geôles du régime.
Coupable d'aimer leur pays.
Ils sont les héros du Hirak.
Ne jamais les oublier. Ni leurs familles et proches.Sbah el khir. pic.twitter.com/zPJ0jPfXyR
— casbah 16 (@16Casbah) May 27, 2021
Les élections en Algérie ne sont plus politique
La profonde crise de confiance algérienne ne vient donc pas uniquement de la pseudo-dictature militaire. Ce fait a été observé avec une certaine résignation de la part des citoyens algériens. L’abstention est un appel au changement. Selon la sociologue et politologue Louisa Dris-Aït Hamadouche, les Algériens, en général, ne votent plus pour les personnes ou pour les idées. Ils ne votent simplement plus.
En 1990, les Algériens s’étaient engagés massivement à voter contre le Front de libération nationale (FLN). Le parti alors au pouvoir représentait un nationalisme panarabe auquel les citoyens n’adhéraient pas. De plus, la montée des idéologies socialistes, et le début de la contestation kabyle étaient incompatibles avec une mouvance vers « l’union arabe ».
Ensuite, en 1995, les taux de participation au scrutin présidentiel portaient une autre signification. Les mouvements islamistes s’étaient peu à peu convertis à la violence contre les civils et les représentants de l’Etat. Les votants avaient exprimé une volonté d’éjecter les candidats du Front islamique du salut (FIS) et les personnalités soutenues par le Groupe islamique armé (GIA). Le plébiscite de Liamine Zéroual, un militaire, à plus de 61% des voix, résume cette philosophie.
Puis, en 1999, les Algériens ont commencé à s’abstenir, la vision apolitique du FLN n’a pas aidé à la réhabilitation du parti. Le parti avait apporté son support aux généraux de l’armée, qui avaient ramené Abdelaziz Bouteflika de sa retraite anticipée, afin d’en faire le président du pays pendant 20 ans. Ainsi, et à force d’organiser des élections scandaleuses, où les résultats étaient connus d’avance, l’Algérie ne vote plus.
Le Hirak ne voulait pas uniquement changer cela, mais surtout toucher le quotidien des gens. Les taux de chômage et de précarité en Algérie sont si hauts, depuis si longtemps, que les Algériens ont perdu l’espoir, jusqu’au Hirak.
Alger aujourd'hui à la 119e vendredi du Hirak pacifique et prodémocratie, marche toujour interdite, la répression se poursuit toujours. pic.twitter.com/ENPNdQtUvr
— said SALHI (@saidsalhi527) May 28, 2021