Les manifestations de soutien de la cause palestinienne se multiplient en Tunisie. Celle d’hier, organisée par des syndicats et des partis politiques, a réclamé une loi punissant les liens avec Israël.
Depuis l’escalade de la violence israélienne en territoire palestinien colonisé, plusieurs pays africains ont montré leur soutien au peuple palestinien. Pour certains pays, la sémantique prudente de certains chefs d’Etats montre une réticence et de la lâcheté, selon les médias. Toutefois, même dans ces pays-là, les manifestations populaires exhibaient une volonté différente de celle des Etats. En effet, les peuples algérien, marocain, tunisien, sénégalais et sud-africain, plus que d’autres populations africaines ont lancé des appels à leurs gouvernements respectifs pour clarifier leurs positions. Dans le cas tunisien, les populations par milliers ont manifesté, exigeant que cette position devienne une loi.
En effet, à la suite de la normalisation des relations diplomatiques avec les autorités d’apartheid israéliennes de la part du Maroc, les Tunisiens craindraient un scénario pareil. Selon une majorité de la classe politique, certains dirigeants tunisiens n’hésiteraient pas à pactiser avec Israël pour promouvoir leurs propres intérêts. Or, l’aversion pour l’entité sioniste est un sentiment séculaire chez une majorité des Tunisiens. Par ailleurs, les Tunisiens de confessions juive sont parmi les critiques les plus vifs de la colonisation sioniste en Palestine.
D’ailleurs, le grand rabbin de Tunisie, Haïm Bittan, a souvent appelé à ce que les juifs tunisiens promeuvent leur pays. Bittan a aussi souvent qualifié ce que fait Israël en Palestine de « crime contre l’humanité ». Il a en plus officiellement défendu « le droit du peuple palestinien à sa terre ».
Une position sans doute plus claire que celle des chefs d’Etat et nombreux politiciens tunisiens. Et pour raison. Outre l’amitié de la Tunisie avec la Palestine, l’entité sioniste avait commis des crimes sur le territoire tunisien.
Les crimes d’Israël en Tunisie
D’abord, après l’exode palestinien de 1948, plusieurs Tunisiens ont voyagé pour participer à la lutte armée. Malgré que le pays fût encore militairement occupé par la France. Cette mouvance a connu une hausse dans les années 1980, où des milliers de militants, dont une majorité marxiste, ont également rejoint le front. En 1982, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) avait installé son siège à Tunis, après l’agression sioniste au Liban. Trois ans plus tard, Israël avait bombardé la Tunisie, en prenant en cible l’OLP.
Néanmoins, de nombreux Tunisiens sont morts aux côtés des Palestiniens dans l’attentat israélien de 1985. Cependant, cette tragédie a promu les relations entre la Tunisie et la Palestine. Notamment, la femme de Yasser Arafat, Souha Arafat, avait trouvé refuge en Tunisie pendant des années, et s’y était mariée.
Le 16 avril 1988, Khalil Al-Wazir, vice-président de l’OLP, a été assassiné à Tunis. Sous le joug du dictateur Ben Ali, les relations entre la Tunisie et la Palestine étaient officiellement au point mort. Comme elles le sont aujourd’hui. Ce qui expliquerait la récente crainte des populations.
Le 15 décembre 2016, le service de renseignement israélien, le Mossad, a assassiné un ressortissant tunisien à Sfax. Mohamed Zouari, ingénieur en aéronautique, a été tué par huit agents israéliens clandestins. Le meurtre de Zouari, qui aurait été à l’origine du programme d’avions sans pilote du mouvement de résistance Hamas, avait suscité un tollé en Tunisie. Toutefois, à part l’emprisonnement de 7 Tunisiens et d’un Marocain, rien ne s’en est suivi sur le plan judiciaire. Sur le plan politique, le directeur de la sûreté nationale au ministère de l’Intérieur, Abderrahman Belhaj Ali, a été limogé.
#Tunis protesters march in solidarity with #Palestinians#Israel #Palestine #Tunisia pic.twitter.com/VclqYIYf3K
— Ruptly (@Ruptly) May 20, 2021
Lorsque les opposés s’accordent
Donc, face à tous les crimes d’Israël en Tunisie, et la mouvance des pays de la zone MENA à soutenir l’apartheid et le génocide israéliens, les Tunisiens ont réclamé une loi. Le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Tabboubi, a appelé à des mesures concrètes. Selon lui, le gouvernement devrait considérer le boycott de certains produits américains et européens, issus d’enseignes israéliennes. Il penserait aussi que ces échanges commerciaux promeuvent « l’ennemi sioniste » en soutenant des pays qui appuient Israël.
L’ancien ministre de la Santé et membre éminent du parti Ennahdha, Abdellatif Mekki, a déclaré : « Il faut criminaliser la normalisation avec Israël », a-t-il affirmé. Mekki a ensuite continué : « composer avec Israël est un crime. Cela représenterait un soutien de l’occupant des terres du peuple palestinien ».
Malgré l’accord des opposés de la politique tunisienne sur leur refus inconditionné de toute relation future avec Israël, en plus de la position beaucoup plus claire de la synagogue de Tunis, et de la majorité écrasante du peuple, le président tunisien est plus hésitant. En effet, France 24 a interrogé Kaïs Saïed sur son avis sur la normalisation du Maroc avec Israël. Il a donc répondu : « Chacun est libre de choisir. Cependant, celui qui dénie le droit des palestiniens à leur terre commet une trahison », a-t-il poursuivi. Cela n’aurait pas été la première déclaration énigmatique ou sophiste de la part de Kaïs Saïed.
La Tunisie, qui siège au Conseil de sécurité de l’ONU, n’a que peu de poids auprès des instances internationales. Toutefois, les dirigeants du pays ont le choix de voter la loi qui criminalise la normalisation avec Israël. Une décision souveraine, qui rapprocherait sans doute les politiciens querelleurs de leur propre peuple. Dossier à suivre.