Ce 8 mai, l’Algérie célèbre sa première « Journée nationale de la Mémoire », 76 ans après les massacres par l’armée française de Sétif, Guelma et Kherrata.
Le 8 mai 1945, une partie du monde, et particulièrement la France, célèbrent la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie. L’Algérie, alors française, fête elle aussi l’événement à Alger. Dans la région de Sétif, à trois-cents kilomètres de là, les indépendantistes manifestent dans les rues. Les scènes de liesse cèdent rapidement la place aux violences lorsque le sous-préfet demande le retrait des drapeaux algériens, qui trônent fièrement aux côtés du drapeau bleu-blanc-rouge. Âgé de 22 ans, Bouzid Saâl, un jeune scout musulman, refuse de répondre aux ordres de la police. Sur place, à Sétif, la tension est de plus en plus forte et des heurts éclatent. Le jeune Algérien est tué par le tir d’un policier. La célébration de la victoire sur les Nazis laisse alors place à des violences terribles, à Sétif mais également Guelma, Kherrata ou encore Bône.
Loi martiale et exécutions sommaires
Voulant profiter de la célébration de la fin de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs partis nationalistes algériens avaient, un peu plus tôt, appelé à des manifestations et ainsi décidé de rappeler leurs revendications, parmi lesquelles l’indépendance de l’Algérie. Prévenues, les autorités françaises de l’époque avaient donc imposé plusieurs conditions. Dont celle de n’agiter que les drapeaux français. L’assassinat de Bouzid Saâl provoqua un vent de panique, mais également de révolte. Dès l’après-midi, la colère se propagea dans plusieurs communes, mais aussi dans les campagnes algériennes. Débuta alors une véritable vendetta de la part du gouvernement provisoire du général de Gaulle, qui débuta une répression forte, à la tête de laquelle le général Duval fut impitoyable avec les indépendantistes.
Sétif et ses environs — sur une distance de 150 kilomètres à l’intérieur des côtes et jusqu’à la mer —, c’est l’armée qui prit le relais. La loi martiale imposée, l’armée française débuta une série d’exactions : sous couvert d’interdiction de circuler et de couvre-feu, des militants nationalistes furent arrêtés. Pire, des civiles et des jeunes scouts musulmans furent tout simplement exécutés, dès lors qu’ils étaient suspectés d’être indépendantistes. L’aviation entra même en action en mitraillant les localités qui abritaient de potentiels militants pro-algériens. Un vrai massacre, qui toucha aussi bien les femmes que les enfants et les vieilles personnes. Pendant près de deux semaines, les avions militaires ont détruit des villages entiers — près d’une cinquantaine — et rasé des hameaux. De quoi lancer les prémices de la guerre qui allait se dérouler neuf ans plus tard.
1 165 morts côté algérien, un bilan loin de la réalité
Le bilan donné par le général Duval fut loin de la réalité : le militaire avança le nombre de 1 165 morts côté algérien, contre 86 civils européens et 16 militaires. Le Parti du peuple algérien (PPA) estimait, de son côté, que 45 000 Algériens avaient péri. Un bilan aujourd’hui repris par le gouvernement algérien, alors que des historiens occidentaux avancent la mort d’au moins 20 000 à 30 000 personnes. Si le général Duval assurait avoir « donné la paix pour dix ans » à Paris, il faut savoir que jusqu’au mois de novembre 1945, des arrestations et des exécutions ont continué à être perpétrées par l’armée française. Il a fallu des années à la France pour faire un timide mea culpa. En 2005, après des années de censure par Paris, l’ambassadeur de France en Algérie décrivit les massacres de 1945 comme une « tragédie inexcusable ». Il fallut attendre 2015 pour qu’un membre du gouvernement participe aux commémorations en Algérie.
Alors qu’Emmanuel Macron, le président français, a commandé à l’historien Benjamin Stora une mission sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » l’an dernier, l’Algérie a décidé de célébrer ce samedi 8 mai sa première « Journée nationale de la Mémoire ». A propos des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, la France a encore du mal à voir la vérité en France. Pour Benjamin Stora, interrogé à propos de ce 8 mai 1945, « ce qui permet de faire avancer les choses et de regarder l’Histoire en face est à prendre ». S’il ne faut pas, assure-t-il, « oublier que les massacres de Sétif ont été reconnus, le 27 février 2005, par l’ambassadeur de France à Alger, Hubert Colin de Verdière », Stora assure que, « peut-être faut-il aller encore plus loin ». Dans son rapport, l’historien préconise notamment d’avancer sur la question des archives, avec comme objectif, le transfert de certaines archives de la France vers l’Algérie.